X Tout homme peut faire ce qu'a fait Mahomet : car il n'a point fait de miracles; il n'a point été prédit. Nul homme ne peut faire ce qu'a fait Jésus-Christ. Mahomet [s'est établi] en tuant, Jésus-Christ en faisant tuer les siens; Mahomet en défendant de lire, les apôtres en ordonnant de lire. Enfin cela est si contraire, que si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, Jésus-Christ a pris celle de périr humainement. Et au lieu de conclure que, puisque Mahomet a réussi, JésusChrist a bien pu réussir, il faut dire que, puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ devoit périr. ARTICLE XII DESSEIN DE DIEU DE SE CACHER AUX UNS, ET DE SE DÉCOUVRIR AUX AUTRES I Dieu a voulu racheter les hommes, et ouvrir le salut à ceux qui le chercheroient. Mais les hommes s'en rendent si indignes, qu'il est juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause de leur endurcissement, ce qu'il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due. S'il eût voulu surmonter l'obstination des plus endurcis, il l'eût pu en se découvrant si manifestement à eux qu'ils n'eussent pu douter de la vérité de son essence, comme il paroîtra au dernier jour, avec un tel éclat de foudres et un tel renversement de la nature, que les morts ressuscités et les plus aveugles le verront. Ce n'est pas en cette sorte qu'il a voulu paroître dans son avénement de douceur, parce que tant d'hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu'ils ne veulent pas. Il n'étoit donc pas juste qu'il parût d'une manière manifestement divine, et absolument capable de convaincre tous les hommes; mais il n'étoit pas juste aussi qu'il vînt d'une manière si cachée qu'il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheroient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connoissable à ceux-là; et ainsi, voulant paroître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère sa connoissance, en sorte qu'il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent, et obscures à ceux qui ne le cherchent pas. II Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. Il y a assez de clarté pour éclairer les élus, et assez d'obscurité pour les humilier. Il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables. Si le monde subsistoit pour instruire l'homme [de l'existence] de Dieu, sa divinité reluiroit de toutes parts d'une manière incontestable; mais, comme il ne subsiste que par Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, et pour instruire les hommes et de leur corruption et de leur rédemption, tout y éclate des preuves de ces deux vérités. Ce qui y paroît ne marque ni une exclusion totale, ni une présence manifeste de divinité, mais la présence d'un Dicu qui se cache: tout porte ce caractère. S'il n'avoit jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle seroit équivoque, et pourroit aussi bien se rapporter à l'absence de toute divinité qu'à l'indignité où seroient les hommes de le connoître. Mais de ce qu'il paroît quelquefois, et non pas toujours, cela ôte l'équivoque. S'il paroît une fois, il est toujours; et ainsi on n'en peut conclure, sinon qu'il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes. [Le dessein de Dieu est plus de perfectionner la volonté que l'esprit. Or la clarté parfaite ne serviroit qu'à l'esprit, et nuiroit à la volonté.] S'il n'y avoit point d'obscurité, l'homme ne sentiroit pas sa corruption. S'il n'y avoit point de lumière, l'homme n'espéreroit point de remède. Ainsi, il est non-seulement juste, mais utile pour nous, que Dieu soit caché en partie et découvert en partie, puisqu'il est également dangereux à l'homme de connoître Dieu sans connoître sa misère, et de connoître sa misère sans connoître Dieu. IV Il est donc vrai tout instruit l'homme de sa condition; mais il le faut bien entendre: car il n'est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n'est pas vrai que tout cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu'il se cache à ceux qui le tentent, et qu'il se découvre à ceux qui le cherchent; parce que les hommes sont tous ensemble indignes de Dieu et capables de Dieu indignes par leur corruption, capables par leur première nature. V Il n'y a rien sur la terre qui ne montre ou la misère de l'homme, ou la miséricorde de Dieu; ou l'impuissance de l'homme sans Dieu, ou la puissance de l'homme avec Dieu. Tout l'univers apprend à l'homme ou qu'il est corrompu ou qu'il est racheté. Tout lui apprend sa grandeur ou sa misère. L'abandon de Dieu. paroît dans les païens; la protection de Dieu paroît dans ies Juifs. VI Tout tourne en bien pour les élus, jusqu'aux obscurités de l'Écriture; car ils les honorent, à cause des clartés divines; et tout tourne en mal pour les autres, jusqu'aux clartés; car ils les blasphèment à cause des obscurités qu'ils n'entendent pas. VII Si Jésus-Christ n'étoit venu que pour sanctifier, toute l'Écriture et toutes les choses y tendroient, et il seroit bien aisé de convaincre les infidèles. Si Jésus-Christ n'étoit venu que pour aveugler, toute sa conduite seroit confuse, et nous n'aurions aucun moyen de convaincre les infidèles. Mais comme il est venu in sanctificationem et in scandalum, comme dit Isaïe (Is., VIII, 14), nous ne pouvons convaincre les infidèles et ils ne peuvent nous convaincre; mais par là même nous les convainquons, puisque nous disons qu'il n'y a point de conviction dans toute sa conduite de part ni d'autre. Jésus-Christ est venu aveugler ceux qui voyoient clair et donner la vue aux aveugles; guérir les malades et laisser mourir les sains; appeler à pénitence et justifier les pécheurs, et laisser les justes dans leurs péchés; remplir les indigents et laisser les riches vides. Que disent les prophètes de Jésus-Christ? Qu'il sera évidemment Dieu ? Non : mais qu'il est un Dieu véritablement caché; qu'il sera méconnu, qu'on ne pensera 'point que ce soit lui; qu'il sera une pierre d'achoppement à laquelle plusieurs heurteront, etc. Dieu, pour rendre le Messie connoissable aux bons. |