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ARTICLE II

QU'IL EST PLUS AVANTAGEUX DE CROIRE QUE DE NE PAS CROIRE CE QU'ENSEIGNE LA RELIGION CHRÉTIENNE 1

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Notre âme est jetée dans le corps, où elle trouve nombre, temps, dimension. Elle raisonne là-dessus et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre chose.

L'unité jointe à l'infini ne l'augmente de rien, non plus qu'un pied à une mesure infinie. Le fini s'anéantit en présence de l'infini et devient un pur néant. Ainsi notre esprit devant Dieu; ainsi notre justice devant la justice divine.

Il n'y a pas si grande disproportion entre notre justice et celle de Dieu qu'entre l'unité et l'infini 2.

Il faut que la justice de Dieu soit énorme comme sa miséricorde or, la justice envers les réprouvés est moins énorme et doit moins choquer que la miséricorde envers les élus.

1. Dans l'édition de 1779, cet article a pour titre : Qu'il est difficile de démontrer l'existence de Dicu par les lumières naturelles, mais que le plus sûr est de la croire; dans le volume de M. Cousin et dans l'édition de M. Faugère : Infini. Rien. Nous conservons le titre de 1670.

2. Port-Royal a mis: Il n'y a pas si grande disproportion entre l'unité et l'infini qu'entre notre justice et celle de Dieu.

Nous connoissons qu'il y a un infini et ignorons sa nature, comme nous savons qu'il est faux que les nombres soient finis; donc il est vrai qu'il y a un infini en nombre, mais nous ne savons ce qu'il est. Il est faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair; car, en ajoutant l'unité, il ne change point de nature: cependant c'est un nombre, et tout nombre est pair ou impair; il est vrai que cela s'entend de tous nombres finis. Ainsi on peut bien connoître qu'il y a un Dieu sans savoir ce qu'il est.

Nous connoissons donc l'existence et la nature du fini, parce que nous sommes finis et étendus comme lui. Nous connoissons l'existence de l'infini et ignorons sa nature, parce qu'il a étendue comme nous, mais non pas des bornes comme nous; mais nous ne connoissons ni l'existence ni la nature de Dieu, parce qu'il n'a ni étendue ni bornes.

Mais par la foi nous connoissons son existence; par la gloire nous connoîtrons sa nature. Or, j'ai déjà montré qu'on ne peut bien connoître l'existence d'une chose sans connoître sa nature.

Parlons maintenant selon les lumières naturelles.

S'il y a un Dicu, il est infiniment incompréhensible, puisque, n'ayant ni parties ni bornes, il n'a nul rapport à nous nous sommes donc incapables de connoître ni ce qu'il est, ni s'il est. Cela étant, qui osera entreprendre de résoudre cette question? Ce n'est pas nous, qui n'avons aucun rapport avec lui.

Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison? Ils déclarent, en l'exposant au monde, que c'est une sottise, stultitiam.

Et puis vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas! S'ils la prouvoient, ils ne tiendroient pas parole: c'est en manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens. Oui; mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les ôte du blâme de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui la reçoivent.

Examinons donc ce point, et disons: Dieu est, ou il n'est pas. Mais de quel côté pencherons-nous? La raison n'y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu à l'extrémité de cette distance infinie où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux.

Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix; car vous n'en savez rien. Non mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix; car encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier.

Oui, mais il faut parier: cela n'est pas volontaire; vous êtes embarqué; [et ne point parier que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas. ] Lequel prendrez-vous donc? Voyons, puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins: vous avez deux choses à perdre, le vrai et le bien, et deux choses à engager, votre raison et votre volonté, votre connoissance et votre béatitude; et votre nature a deux choses à fuir, l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, puisqu'il faut nécessairement choisir, en choisissant l'un que l'autre. Voilà un point vidé; mais votre béatitude?

Pesons le gain et la perte, en prenant croix, que Dieu

est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. Cela est admirable: oui, il faut gager; mais je gage peut-être trop. Voyons. Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une, vous pourrieź encore gager. Mais s'il y en avoit trois à gagner, il faudroit jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer) et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes force à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur; et cela étant, quand il y auroit une infinité de hasards dont un seul seroit pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux, et vous agiriez de mauvais sens, étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d'une infinité de hasards il y en

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un pour vous, s'il y avoit une infinité de vie infiniment heureuse à gagner. Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela est tout parti1: partout où est l'infini et où il n'y a pas infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n'y a point à balancer, il faut tout donner; et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison, pour garder la vie plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant.

Car il ne sert de rien de dire qu'il est incertain si on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde; et que l'in

1. C'est-à-dire conforme à la règle de tout parti, de toutjeu. (Note de M. Cousin.)

finie distance qui est entre la certitude de ce qu'on s'expose et l'incertitude de ce qu'on gagnera égale le bien fini qu'on expose certainement, à l'infini qui est incertain. Cela n'est pas ainsi : tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n'y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu'on s'expose et l'incertitude du gain; cela est faux. Il y a, à la vérité, infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l'incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu'on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte; et de là vient que s'il y a autant de hasards d'un côté que de l'autre, le parti est à jouer égal contre égal; et alors la certitude de ce qu'on expose est égale à l'incertitude du gain; tant s'en faut qu'elle en soit infiniment distante. Et ainsi notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l'infini à gagner. Cela est démonstratif; et si les hommes sont capables de quelques vérités, celle-là est du nombre.

Je le confesse, je l'avoue. Mais encore n'y a-t-il pas moyen de voir le dessous du jeu? - Oui, l'Écriture, et le reste, etc.

Qui; mais j'ai les mains liées et la bouche muette; on me force à parier, et je ne suis pas en liberté; on ne me relâche pas, et je suis fait d'une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse?

Il est vrai. Mais apprenez au moins votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez; travaillez donc non pas à

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