pour en relever la fraîcheur ! Les rayons échappés obliquement au disque lumineux du soleil donnaient à ces diamans liquides l'éclat de l'escarboucle, et la couleur versatile du rubis. Plein d'admiration et d'enthousiasme, je tombais à genoux sur la terre humide, et les mains élevées au ciel, je rendais grâces au dieu créateur des biens charmans dont son inépuisable libéralité payait mes travaux et mes sueurs. Mais, hélas! ils ne sont plus! un tourbillon épais s'est élevé du milieu de ce parterre: l'aquilon en fureur l'a chassé devant lui, et mes arbrisseaux ont disparu. Tiges rompues, rameaux brisés, feuillages dispersés, tristes débris des plus jolis enfans de la terre et de mes soins! c'est donc ainsi que la mort, l'impitoyable mort va briser, disperser, réduire en poudre ces solides ossemens, ces nerfs si vigoureux, cette chair qui les couvre, et dont l'éclat et la fraîcheur l'emportent aujourd'hui sur l'éclat et la fraîcheur de vos roses! O anéantissesement! o destruction!... Tout est donc né pour le changement et la mort! et le torrent qui roule en mugissant au bas de cette roche couverte de lierre, est moins rapide que le cours de mes années !... Vous les avez donc détruits dans votre juste vengeance, o dieux, dieux de tous les êtres! vous les avez détruits, ces aimables végétaux, pour me punir d'en avoir fait les seuls amusemens de ma jeunesse ! Jamais cependant, tant qu'ils ont occupé mes loisirs, jamais l'impie ne m'entendit lui applaudir dans ces lieux de débauche où, le cerveau troublé par les vapeurs funestes d'une liqueur enchanteresse, il débite ses maximes blasphématoires, et verse le poison de sa doctrine infâme dans le sein de ses imprudens auditeurs. Jamais, quand l'étoile du soir nous ramène des champs, je n'entrai sous la chaumière pour y assister à ces veillées dangereuses que la vérité fuit, suivie de la timide innocence, et où elles laissent régner à leur place l'homicide médisance et l'odieux mensonge. Mon seul plaisir, c'était de voler à mes rosiers; d'arroser d'une eau claire et raffraîchissante leurs pieds desséchés par l'ardeur du soleil. La culture des fleurs est la volupté des ames sensibles, et mon cœur y trouvait plus de charmes que dans aucun de ces amusemens que le monde corrompu nous offre. Pourquoi donc en suis-je privé?.. Hélas! peut-être les chérissais-je trop? Ils étaient devenus ma divinité, je les adorais! Ma passion pour eux était excessive, je l'avoue; mais aussi qu'ils passent comme l'ombre, les jours du malheureux dont le cœur est inaccessible au sentiment! son cœur est plus froid que le marbre des colonnes de ce temple antique qui s'élève majestueusement au - dessus de la colline; son ame est incapable de tout attachement vertueux: il voit, d'un œil égal, tomber à ses côtés son ami que le trépas moissonne à l'improviste, et se faner dans ses jardins le lys éclatant qu'un brûlant rayon du soleil dévore au midi d'un jour d'été; il entend d'une oreille également tranquille, et les cris du pauvre gémissant sur le seuil de sa porte, et le bruit des aquilons qui balancent en mugissant les arbres nombreux de ses vastes héritages. Dès qu'une de mes roses commençait à s'épanouir, dès que son calice entrouvert embaumait l'air des plus doux parfums, mon doigt s'approchait de la tige, je détachais la fleur naissante; mais était - ce pour en faire une offrande à l'amour, un hommage à la beauté?.... Oh non! non. Cette suave et délicieuse odeur ne me rappelait ni les voluptueux bosquets de Cythère, ni le sang répandu du chasseur Adonis. La tendresse paternelle m'inspirait seule de cueillir cette rose: à l'instant, je courais, je volais la porter à l'auteur de mes jours. O respectable vieillard ! je te trouvais étendu sur le lit de douleur: l'impitoyable goutte, fille du péché, te tourmentait, minait tes os durcis par l'âge; mais ton esprit, ne restant qu'à regret dans ton corps affaibli, s'élevait sans cesse vers le dispensateur de tout bien, dont il attend la couronne due à son héroïque patience. Tes doigts desséchés pressaient en frémissant la fleur que je t'offrais; des larmes d'attendrissement roulaient sur le bord de tes paupières abattues; je soulevais de la main ton bras défaillant et les parfums que tu respirais semblaient ressusciter tes organes, et leur donner l'assurance d'une existence , Depuis que le ciel m'a enlevé ce bon père, la saison des roses ne se passa jamais sans me voir aller chaque jour humecter de mes pleurs la rose destinée à servir d'offrande à ses mânes; je l'effeuillais sur son tombeau champêtre, et je me rappelais avec plaisir ce vœu du meilleur des hommes, qu'il répétait chaque fois que ma main respectueuse lui présentait |