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de vous y reposer? Vite, prenez votre livre ou vos papiers; lisez, ne saluez qu'à peine ces gens qui passent dans leur équipage; ils vous en croiront plus occupé ; ils diront: Cet homme est laborieux, infatigable; il lit, il travaille jusque dans les rues ou sur la route: apprenez du moindre avocat, qu'il faut paraitre accablé d'affaires, froncer le sourcil, et rêver à rien très-profondément; savoir à propos perdre le boire et le manger, ne faire qu'apparoir dans sa maison, s'évanouir et se perdre comme un fantôme dans le sombre de son cabinet; se cacher au public, éviter le théâtre, le laisser à ceux qui ne courent aucun risque à s'y montrer, qui en ont à peine le loisir, aux GoMONS, aux DUHAMELS.

Il y a un certain nombre de jeunes magistrats que les grands biens et les plaisirs ont associés à quelques-uns de ceux qu'on nomme à la cour de petits-maitres ils les imitent; ils se tiennent fort au-dessus de la gravité de la robe, et se croient dispensés, par leur âge et par leur for tune, d'être sages et modérés. Ils prennent de la cour ce qu'elle a de pire: ils s'approprient la vanité, la mollesse, l'intempérance, le libertinage, comme si tous ces vices lui étaient dus; et, affectant ainsi un caractère éloigné de celui qu'ils ont à soutenir, ils deviennent enfin, selon leurs souhaits, des copies fidèles de très-méchants originaux.

Un homme de robe à la ville, et le même à la cour, ce sont deux hommes. Revenu chez soi, il reprend ses mœurs, sa taille et son visage, qu'il y avait laissés : il n'est plus ni si embarrassé, ni si honnête.

Les Crispins se cotisent, et rassemblent dans leur famille jusqu'à six chevaux pour allonger un équipage qui, avec un essaim de gens de livrée où ils ont fourni chacun leur part, les fait triompher au Cours ou à Vincennes, et aller

de pair avec les nouvelles mariées, avec Jason qui se ruine, et avec Thrason qui veut se marier, et qui a consigné 1.

J'entends dire des Sannions, même nom, mêmes armes; la branche aînée, la branche cadette, les cadets de la seconde branche: ceux-là portent les armes pleines, ceux-ci brisent d'un lambel, et les autres, d'une bordure dentelée. Ils ont avec les Bourbons, sur une même couleur, un même métal; ils portent, comme eux, deux et une ce ne sont pas des fleurs de lis, mais ils s'en consolent; peut-être dans leur cœur trouvent-ils leurs pièces aussi honorables, et ils les ont communes avec de grands seigneurs qui en sont contents. On les voit sur les litres et sur les vitrages, sur la porte de leur château, sur le pilier de leur haute justice, où ils viennent de faire pendre un homme qui méritait le bannissement: elles s'offrent aux yeux de toutes parts; elles sont sur les meubles et sur les serrures; elles sont semées sur les carrosses : leurs livrées ne déshonorent point leurs armoiries. Je dirais volontiers aux Sannions : Votre folie est prématurée, attendez du moins que le siècle s'achève sur votre race; ceux qui ont vu votre grand-père, qui lui ont parlé, sont vieux, et ne sauraient plus vivre longtemps; qui pourra dire comme eux : Là il étalait, et vendait très-cher?

Les Sannions et les Crispins veulent encore davantage que l'on dise d'eux qu'ils font une grande dépense, qu'ils n'aiment à la faire : ils font un récit long et ennuyeux d'une fête ou d'un repas qu'ils ont donné ; ils disent l'argent qu'ils ont perdu au jeu, et ils plaignent fort haut celui qu'ils n'ont pas songé à perdre. Ils parlent jargon et mystère sur

1 Déposé son argent au trésor public pour une grande charge. ( La Bruyère.)

de certaines femmes; ils ont réciproquement cent choses plaisantes à se conter; ils ont fait depuis peu des découvertes; ils se passent les uns aux autres qu'ils sont gens à belles aventures. L'un d'eux, qui s'est couché tard à la campagne, et qui voudrait dormir, se lève matin, chausse des guêtres, endosse un habit de toile, passe un cordon où pend le fourniment, renoue ses cheveux, prend un fusil ; le voilà chasseur, s'il tirait bien : il revient de nuit, mouillé et recru, sans avoir tué; il retourne à la chasse le lendemain, et il passe tout le jour à manquer des grives ou des perdrix.

Un autre, avec quelques mauvais chiens, aurait envie de dire, Ma meute: il sait un rendez-vous de chasse, il s'y trouve, il est au laisser-courre, il entre dans le fort, se mêle avec les piqueurs ; il a un cor. Il ne dit pas, comme Ménalippe: Ai-je du plaisir? il croit en avoir; il oublie lois et procédure : c'est un Hippolyte. Ménandre, qui le vit hier sur un procès qui est en ses mains, ne reconnaîtrait pas aujourd'hui son rapporteur. Le voyez-vous le lendemain à sa chambre, où l'on va juger une cause grave et capitale ; il se fait entourer de ses confrères, il leur raconte comme il n'a point perdu le cerf de meute, comme il s'est étouffé de crier après les chiens qui étaient en défaut, ou après ceux des chasseurs qui prenaient le change, qu'il a vu donner les six chiens : l'heure presse : il achève de leur parler des abois et de la curée, et il court s'asseoir avec les autres pour juger.

Quel est l'égarement de certains particuliers qui, riches du négoce de leurs pères, dont ils viennent de recueillir la succession, se moulent sur les princes pour leur garde-robe et pour leur équipage, excitent, par une dépense excessive

et par un faste ridicule, les traits et la raillerie de toute une ville qu'ils croient éblouir, et se ruinent ainsi à se faire moquer de soi!

Quelques-uns n'ont pas même le triste avantage de répandre leurs folies plus loin que le quartier où ils habitent ; c'est le seul théâtre de leur vanité. L'on ne sait point dans l'Ile qu'André brille au Marais, et qu'il y dissipe son patrimoine : du moins, s'il était connu dans toute la ville et dans ses faubourgs, il serait difficile qu'entre un si grand nombre de citoyens qui ne savent pas tous juger sainement de toutes choses, il ne s'en trouvât quelqu'un qui dirait de lui, Il est magnifique, et qui lui tiendrait compte des régals qu'il fait à Xante et à Ariston, et des fêtes qu'il donne à Élamire; mais il se ruine obscurément. Ce n'est qu'en faveur de deux ou trois personnes qui ne l'estiment point, qu'il court à l'indigence, et qu'aujourd'hui en carrosse, il n'aura pas dans six mois le moyen d'aller à pied.

Narcisse se lève le matin pour se coucher le soir; il a ses heures de toilette comme une femme; il va tous les jours fort régulièrement à la belle messe aux Feuillants ou aux Minimes : il est homme d'un bon commerce, et l'on compte sur lui au quartier de ** pour un tiers ou pour un cinquième à l'hombre ou au reversi; là il tient le fauteuil quatre heures de suite chez Aricie, où il risque chaque soir cinq pistoles d'or. Il lit exactement la Gazette de Hollande et le Mercure galant il a lu Bergerac, Desmarets2, Lesclache, les historiettes de Barbin, et quelques recueils de poésies. Il se promène avec des femmes à la Plaine ou au Cours, et il est d'une ponctualité religieuse sur les visites. Il fera demain ce qu'il fait aujourd'hui et ce qu'il fit hier; et il meurt ainsi après avoir vécu.

Cyrano. (La Bruyère.) 2 Saint-Sorlin. (Id.\

Voilà un homme, dites-vous, que j'ai vu quelque part: de savoir où, il est difficile; mais son visage m'est familier. Il l'est à bien d'autres; et je vais, s'il se peut, aider votre mémoire : est-ce au boulevard sur un strapontin, ou aux Tuileries dans la grande allée, ou dans le balcon à la comédie? est-ce au sermon, au bal, à Rambouillet? où pourriez-vous ne l'avoir point vu? où n'est-il point? s'il y a dans la place une fameuse exécution ou un feu de joie, il paraît à une fenêtre de l'hôtel de ville; si l'on attend une magnifique entrée, il a sa place sur un échafaud; s'il se fait un carrousel, le voilà entré, et placé sur l'amphithéâtre; si le roi reçoit des ambassadeurs, il voit leur marche, il assiste à leur audience, il est en haie quand ils reviennent de leur audience. Sa présence est aussi essentielle aux serments des ligues suisses que celle du chancelier et des ligues mêmes. C'est son visage que l'on voit aux almanachs représenter le peuple ou l'assistance. Il y a une chasse publique, une Saint-Hubert, le voilà à cheval : on parle d'un camp et d'une revue, il est à Houilles, il est à Achères; il aime les troupes, la milice, la guerre; il la voit de près, et jusqu'au fort de Bernardi. CHANLEY sait les marches, JACQUIER les vivres, Du METZ l'artillerie : celui-ci voit, il a vieilli sous le harnois en voyant, il est spectateur de profession, il ne fait rien de ce qu'un homme doit faire, il ne sait rien de ce qu'il doit savoir; mais il a vu, dit-il, tout ce qu'on peut voir, et il n'aura point regret de mourir : quelle perte alors pour toute la ville! Qui dira après lui, Le Cours est fermé, on ne s'y promène point; le bourbier de Vincennes est desséché et relevé, on n'y versera plus ? qui annoncera un concert, un beau salut, un prestige de la foire? qui vous avertira que Beaumavielle mourut hier, que Rochois est enrhumée, et ne chantera de huit jours ?

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