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intention étoit de le lui donner. Quand je la vis paroître enfuite mon cœur fut déchiré, mais la présence de tant de monde fut plus forte que mon repentir. Je craignois peu la punition, je ne craignois . que la honte; mais je la craignois plus que la mort, plus que le crime, plus que tout au monde. J'aurois voulu m'enfoncer, m'étouffer dans le centre de la terre l'invincible honte l'emporta fur tout, la honte feule fit mon impudence, & plus je devenois criminel, plus l'effroi d'en convenir me rendoit intrépide. Je ne voyois que l'horreur d'être reconnu, déclaré publiquement, moi préfent, voleur, menteur, calomniateur. Un trouble univerfel m'ôtoit tout autre fentiment. Si l'on m'eût laiffé revenir à moi-même, j'aurois infailliblement tout déclaré. Si M. de la Roque m'eût pris à part, qu'il m'eût dit; ne perdez pas cette pauvre fille. Si vous êtes coupable avouez-le moi; je me ferois jetté à fes pieds dans l'instant; j'en fuis parfaitement fûr. Mais on ne fit que m'intimider quand il falloit me donner du courage. L'âge eft encore une attention qu'il eft jufte de faire. A peine étois-je

forti de l'enfance, ou plutôt j'y étois encore. Dans la jeuneffe les véritable noirceurs font plus criminelles encore que dans l'âge mûr; mais ce qui n'est que foi bleffe l'eft beaucoup moins, & ma faut au fond n'étoit gueres autre chofe. Aufffon fouvenir m'afflige-t-il moins à cause du mal en lui-même, qu'à cause de celui qu'il a dû caufer. Il m'a même fait ce bien de me garantir pour le refte de ma vie de tout acte tendant au crime par l'impreffion terrible qui m'eft reftée du feul que j'aye jamais commis, & je crois fentir que mon averfion pour le menfonge me vient en grande partie du regret d'en avoir pu faire un auffi noir. Si c'est un crime qui puiffe être expié, comme j'ofe le croire, il doit l'être par tant de malheurs dont la fin de ma vie eft accablée, par quarante ans de droiture & d'honneur dans des occafions difficiles, & la pauvre Marion trouve tant de vengeurs en ce monde, que quelque grande qu'ait été mon offense envers elle, je crains peu d'en emporter la coulpe avec moi. Voilà ce que j'avois à dire fur cet article. Qu'il me foit permis de n'en reparler jamais.

Fin du Livre fecond.

LES

CONFESSIONS

DE

J. J. ROUSSEAU.

LIVRE TROISIEME.

SORTI de chez Madame de Vercellis

-à-peu-près comme j'y étois entré, je retournai chez mon ancienne hôteffe, & j'y reftai cinq ou fix femaines, durant lefquelles la fanté, la jeuneffe & l'oifiveté me rendirent fouvent mon tempérament importun. J'étois inquiet, distrait, rêveur; je pleurois, je foupirois, je defirois un bonheur dont je n'avois pas d'idée, & dont je fentois pourtant la privation. Cet état ne peut fe décrire & peu d'hommes même le peuvent imaginer; parce que la plupart ont prévenu cette plénitude de vie, à la fois tourmentante & délicieuse qui dans l'ivreffe du defir donne un avantgoût de la jouiffance. Mon fang allumé

174 rempliffoit inceffamment mon cerveau de filles & de femmes, mais n'en fentant pas le véritable usage, je les occupois bifarrement en idée à mes fantaifies fans en favoir rien faire de plus; & ces idées tenoient mes fens dans une activité trèsincommode, dont par bonheur elles ne m'apprenoient point à me délivrer. J'aurois donné ma vie pour retrouver un quartd'heure une demoiselle Goton. Mais ce n'étoit plus le tems où les jeux de l'enfance alloient là comme d'eux-mêmes. La honte, compagne de la confcience du mal étoit venue avec les années; elle avoit accrû ma timidité naturelle au point de la rendre invincible, & jamais ni dans ce tems-là ni depuis, je n'ai pu parvenir à faire une propofition lafcive, que celle à qui je la faifois ne m'y ait en quelque forte contraint par fes avances, quoique fachant qu'elle n'étoit pas fcrupuleufe, & prefque affuré d'être pris au mot.

LES CONFESSIONS.

Mon féjour chez Madame de Vercellis m'avoit procuré quelques connoiffances que j'entretenois dans l'efpoir qu'elles pourroient m'être utiles. J'allois voir quel, quefois entr'autres un abbé favoyard ap

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vantages plus

coute ma vie; & les maxi

s l'ordre fucs idées, j'aou trop bas; ros & tantôt foin de me e montrer à i me décourablement de

ens; mais il les obftacles er parti, de n lui, bien

ur monter à

pour m'en ai de la vie

: de fauffes

C

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