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arrivé qu'une fois dans l'enfance, avec un enfant de mon âge; encore fut-ce elle qui en fit la premiere proposition.

En remontant de cette forte aux premieres traces de mon être sensible, je trouve des élémens qui, semblant quelquefois incompatibles, n'ont pas laissé de s'unir pour produire avec force un effet uniforme & fimple, & j'en trouve d'autres qui, les mêmes en apparence, ont formé par le concours de certaines circonstances de si différentes combinaisons, qu'on n'imagineroit jamais qu'ils eussent entr'eux aucun rapport. Qui croiroit, par exemple, qu'un des ressorts les plus vigoureux de mon ame fût trempé dans la même source d'où la luxure & la mol lesse ont coulé dans mon sang ? Sans quitter le sujet dont je viens de parler, on en va voir sortir une impression bien

différente.

J'étudiois un jour seul ma leçon dans la chambre contigue à la cuisine. La servante avoit mis sécher à la plaque les peignes de Mlle. Lambercier. Quand elle revint les prendre, il s'en trouva un dont tout un côté de dents étoit brisé. A qui s'en prendre de ce dégât ? personne autre que moi n'étoit entré dans la chambre. On m'interroge; je nie d'avoir touché le peigne. M. & Mlle. Lambercier se réunissent; m'exhortent, me pressent, me menacent; je persiste avec opiniâtreté; mais la conviction étoit trop forte, elle l'emporta fur toutes mes protestations, quoique ce fût la premiere fois qu'on m'eût trouvé tant d'audace à mentir. La chose fut prise au sérieux; elle méritoit de l'être. La méchanceté, le mensonge, l'obstination parurent également dignes de punition, mais pour le coup ce ne fut pas par Mlle. Lambercier qu'elle me fut infligée. On écrivit à mon oncle Bernard; il vint. Mon pauvre coufin étoit chargé d'un autre délit non moins grave: nous fûmes enveloppés dans la même exécution. Elle fut terrible. Quand, cherchant le remede dans le mal même, on eût voulu pour jamais amortir mes sens dépravés, on n'auroit pu mieux s'y prendre. Aussi me laisserent ils en repos pour long-tems.

On ne put m'arracher l'aveu qu'on exigeoit. Repris à plusieurs fois, & mis dans l'état le plus affreux, je fus inébranlable. J'aurois

J'aurois souffert la mort & j'y étois résolu. Il fallut que la force même cédât au diabolique entêtement d'un enfant ; car on n'appella pas autrement ma constance. Enfin je fortis de cette cruelle épreuve en pieces, mais triomphant.

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Il y a maintenant près de cinquante ans de cette aventure & je n'ai pas peur d'être puni derechef pour le même fait. Hé bien, je déclare à la face du Ciel que j'en étois innocent, que je n'avois ni caffé ni touché le peigne, que je n'avois pas approché de la plaque, & que je n'y avois pas même songé. Qu'on ne me demande pas comment ce dégât se fit; je l'ignore, & ne puis le comprendre ; ce que je fais très-certainement, c'est que j'en étois innocent.

Qu'on se figure un caractere timide & docile dans la vie ordinaire, mais ardent, fier, indomptable dans les pafssions; un enfant toujours gouverné par la voix de la raison, toujours traité avec douceur, équité, complaisance; qui n'avoit pas même l'idée de l'injustice, & qui, pour la premiere fois, en éprouve une si terrible, de la part précisément des gens qu'il Mémoires. Tome I.

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chérit & qu'il respecte le plus. Quel ren versement d'idées ! quel défordre de sentimens ! quel bouleversement dans fon cœur, dans sa cervelle, dans tout fon petit être intelligent & moral! Je dis qu'on s'imagine tout cela, s'il est possible; car pour moi, je ne me sens pas capable de démêler, de suivre la moindre trace de ce qui se passoit alors en moi.

Je n'avois pas encore assez de raison pour sentir combien les apparences me condamnoient, & pour me mettre à la place des autres. Je me tenois à la mienne, & tout ce que je sentois, c'étoit la rigueur d'un châtiment effroyable pour un crime que je n'avois pas commis. La douleur du corps, quoique vive, m'étoit peu sensible, je ne sentois que l'indignation, la rage, le désespoir. Mon coufin, dans un cas à peu près semblable, & qu'on avoit puni d'une faute involontaire comme d'un acte prémédité, se mettoit en fureur à mon exemple, & fe montoit, pour ainsi dire, à mon unisson. Tous deux dans le même lit nous nous embrassions avec des transports convulsifs, nous étouffions; & quand nos jeunes cœurs un peu

Toulagés, pouvoient exhaler leur colere, nous nous levions fur notre séant, & nous nous mettions tous deux à crier cent fois de toute notre force: Carnifex, Car nifex, Carnifex.

Je sens en écrivant ceci que mon pouls s'éleve encore; ces momens me feront toujours préfens, quand je vivrois cent mille ans. Ce premier sentiment de la violence & de l'injustice est resté si profon dément gravé dans mon ame, que toutes les idées qui s'y rapportent me rendent ma premiere émotion; & ce sentiment, relatif à moi dans son origine, a pris une telle consistance en lui-même, & s'est tellement détaché de tout intérêt personnel, que mon cœur s'enflamme au spectacle ou au récit de toute action injuste, quel qu'en foit l'objet & en quelque lieu qu'elle fe commette, comme si l'effet en retomboit fur moi. Quand je lis les cruautés d'un tyran féroce, les fubtiles noir ceurs d'un fourbe de prêtre, je partirois volontiers pour aller poignarder ces miférables, dussai-je cent fois y périr. Je me fuis souvent mis en nage, à poursuivre à la course, ou à coups de pierre un coq,

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