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triage, de brûler le rebut lui-même, sans s'en rapporter à qui que ce fût, et de m'envoyer tout ce qui auroit été mis à part. J'acceptai l'offre, fort aise d'être délivré de ce soin, pour pouvoir passer le peu d'heures qui me restoient avec des personnes si chères, que j'allois quitter pour jamais. Il prit la clef de la chambre où je laissois ces papiers, et, à mon instante prière, il envoya chercher ma pauvre tante, qui se consumoit dans la perplexité mortelle de ce que j'étois devenu, et de ce qu'elle alloit devenir, en attendant à chaque instant les huissiers, sans savoir comment se conduire et que leur répondre. La Roche l'amena au château, sans lui rien dire; elle me croyoit déjà bien loin; en m'apercevant, elle perça l'air de ses cris, et se précipita dans mes bras. O amitié, rapport des cœurs, habitude, intimité! Dans ce doux et cruel moment se rassemblèrent tant de jours de bonheur, de tendresse et de paix passés ensemble, pour faire mieux sentir le déchirement d'une première séparation, après nous être à peine perdus de vue un seul jour pendant près de dix-sept ans. Le maréchal, témoin de cet embrassement, ne put retenir ses larines; il nous laissa. Thérèse ne vouloit plus me quitter. Je

lui fis sentir l'inconvénient qu'elle me suivît en ce moment, et la nécessité qu'elle restât pour liquider mes effets et recueillir mon argent. Quand on décrète un homme de prise de corps, l'usage est de saisir ses papiers, de mettre le scellé sur ses effets, ou d'en faire l'inventaire, et d'y nommer un gardien. Il falloit bien qu'elle restât pour veiller à ce qui se passeroit, et tirer de tout le meilleur parti possible. Je lui promis qu'elle me rejoindroit dans peu: M. le maréchal confirma ma promesse; mais je ne voulus jamais lui dire où j'allois, afin qu'interrogée par ceux qui viendroient me saisir elle pût protester avec vérité de son ignorance sur cet article. En l'embrassant, au moment de nous quitter, je sentis en moi-même un mouvement très-extraordinaire, et je lui dis dans un transport, hélas! trop prophétique: «Mon enfant, il faut t'armer de courage; tu as partagé la prospérité de mes beaux jours, il te reste, puisque tu le veux, à partager mes misères. N'attends plus qu'affronts et calamités à ma suite. Le sort que ce triste jour commence pour moi me poursuivra jusqu'à ma dernière heure. >>>

Il ne me restoit plus qu'à songer au départ. Les huissiers avoient dû venir à dix heures. Il en étoit quatre après midi quand je partis, et ils n'étoient pas encore arrivés. Il avoit été décidé que je prendrois la poste. Je n'avois point de chaise : M. le maréchal me fit présent d'un cabriolet, et me prêta des chevaux et un postillon jusqu'à la première poste, où, par les mesures qu'il avoit prises, on ne fit aucune difficulté de me fournir des chevaux.

Comme je n'avois point dîné à table, et ne m'étois pas montré dans le château, les dames vinrent me dire adieu dans l'entresol où j'avois passé la journée. Madame la maréchale m'embrassa plusieurs fois d'un air assez triste; mais je ne sentis plus dans ces embrassements les étreintes de ceux qu'elle m'avoit prodigués il y avoit deux ou trois ans. Madame de Boufflers m'embrassa aussi, et me dit de fort belles choses. Un embrassement qui me surprit davantage, fut celui de madame de Mirepoix; car elle étoit aussi là. Madame la maréchale de Mirepoix est une personne extrêmement froide, décente, et réservée, et ne me paroît pas tout-àfait exempte de la hauteur naturelle à la maison de Lorraine. Elle ne m'avoit jamais témoigné beaucoup d'attention. Soit que, flatté d'un honneur auquel je ne m'attendois pas; je cherchasse à m'en augmenter le prix; soit qu'en effet elle eût mis dans cet embrassement un peu de cette commisération naturelle aux cœurs généreux, je trouvai dans son mouvement et dans son regard je ne sais quoi d'énergique qui me pénétra. Souvent en y repensant, j'ai soupconné dans la suite que, n'ignorant pas à quel sort j'étois condamné, elle n'avoit pu se défendre d'un moment d'attendrissement sur ma destinée.

M. le maréchal n'ouvroit pas la bouche; il étoit pâle comme un mort. Il voulut absolument m'accompagner jusqu'à ma chaise, qui m'attendoit à l'abreuvoir. Nous traversâmes tout le jardin sans dire un seul mot. J'avois une clef du parc dont je me servis pour ouvrir la porte, après quoi, au lieu de remettre la clef dans ma poche, je la lui tendis sans mot dire. Il la prit avec une vivacité surprenante, à laquelle je n'ai pu m'empêcher de penser souvent depuis ce temps-là. Je n'ai guère eu dans ma vie d'instant plus amer que celui de cette séparation. L'embrassement fut long et muet: nous sentîmes l'un et l'autre que c'étoit un dernier

adieu.

Entre la Barre et Montmorency, je rencontrai dans un carrosse de remise quatre hommes en noir, qui me saluèrent en souriant. Sur ce que Thérèse m'a rapporté, dans la suite, de la figure des huissiers, de l'heure de leur arrivée, et de la façon dont ils se comportèrent, je n'ai point douté que ce ne fussent eux, surtout ayant appris dans la suite qu'au lieu d'être décrété à sept heures, comme on me l'avoit annoncé, je ne l'avois été qu'à midi. Il fallut traverser tout Paris. On n'est pas fort caché dans un cabriolet tout ouvert. Je vis dans les rues plusieurs personnes qui me saluèrent d'un air de connoissance; mais je n'en reconnus aucune. Le même soir je me détournai pour passer à Villeroi. A Lyon, les courriers doivent être menés au commandant. Cela pouvoit être embarrassant pour un homme qui ne vouloit ni mentir ni changer de nom. J'allois avec une lettre de madame de Luxembourg prier M. de Villeroi de faire en sorte que je fusse exempté de cette corvée. M. de Villeroi me donna une lettre dont je ne fis point usage, parce que je ne passai pas à Lyon. Cette lettre est restée encore cachetée parmi mes papiers. M. le duc me pressa beaucoup de coucher à Villeroi; mais j'aimai mieux reprendre la grande route, et je fis encore deux postes le même jour.

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