QUOIQUE la Julie, qui depuis long-temps étoit sous presse, ne parût point encore à la fin de 1760, elle commençoit à faire grand bruit. Madame de Luxembourg en avoit parlé à la cour, madame d'Houdetot à Paris. Cette dernière avoit même obtenu de moi, pour SaintLambert, la permission de la faire lire en manuscrit au roi de Pologne, qui en avoit été enchanté. Duclos, à qui je l'avois aussi fait lire, en avoit parlé à l'Académie. Tout Paris étoit dans l'impatience de voir ce roman; les libraires de la rue Saint-Jacques et celui du Palais-Royal étoient assiégés de gens qui en demandoient des nouvelles. Il parut enfin, et son succès, contre l'ordinaire, répondit à l'empressement avec lequel il étoit attendu. Madame la dauphine, qui l'avoit lu des premières, en parla à M. de Luxembourg comme d'un ouvrage ravissant. Les sentiments furent partagés chez les gens de lettres, mais dans le monde il n'y eut qu'un avis, et les femmes surtout s'enivrèrent et du livre et de l'auteur, au point qu'il y en avoit peu, même dans les hauts rangs, dont je n'eusse fait la conquête, si je l'avois entrepris. J'ai de cela des preuves que je ne veux pas écrire, et qui, sans avoir besoin de l'expérience, autorisent mon opinion. Il est singulier que ce livre ait mieux réussi en France que dans tout le reste de l'Europe, quoique les François, hommes et femmes, n'y soient pas fort bien traités. Tout au contraire de mon attente, son moindre succès fut en Suisse, et son plus grand à Paris, L'amitié, l'amour, la vertu, règnent-ils donc à Paris plus qu'ailleurs? Non, sans doute : mais il y règne encore ce sens exquis qui transporte le cœur à leur image, et qui nous fait chérir dans |