tale le système parfait de recherches qui porterait sur la connaissance a priori. Ce qu'il entreprend est un simple essai, une esquisse d'une telle philosophie. II reste à faire, dit-il, un novum organum, qui ne serait ni celui d'Aristote ni celui de Bacon, et qui serait l'organum de la raison pure. La critique est un canon de ce nouvel organum. D'ailleurs Kant n'hésite point à le reconnaître : la critique doit être une réforme entière et radicale de la philosophie, et, par conséquent, celle de l'histoire même de la philosophie, puisque la critique seule peut fournir à l'histoire une pierre de touche infaillible pour apprécier la valeur des systèmes. Sans elle que peut faire l'histoire, sinon de déclarer vaines les assertions des autres au nom de ses propres assertions, qui n'ont pas plus de fondement? L'Introduction expose clairement les principaux traits de cette grande entreprise. Ce qui y frappe au premier coup-d'œil, comme dans le Discours de la Méthode, c'est la hardiesse et l'énergie de la pensée. Kant s'y donne ouvertement pour un véritable ré-volutionnaire. Comme Descartes, il dédaigne tous les systèmes antérieurs à sa Critique; il s'exprime sur le passé de la philosophie du ton tranchant et superbe des philosophes du xvın siècle. En parlant avec ce dédain de tous les systèmes qui ont précédé, et en les présentant comme un amas d'hypothèses arbitraires qui contiennent à peine quelques vérités comme par hasard, il ne lui vient pas une seule fois à l'esprit que les au teurs de ces systèmes sont des hommes, ou ses égaux ou ses supérieurs, Platon, Aristote, Descartes, Leibnitz. Mais pourquoi serait-il respectueux envers le génie? il ne l'est pas même envers la nature humaine. Il lui accorde bien une disposition innée à la métaphysique, mais c'est une disposition malheureuse et qui jusqu'ici n'a produit que des chimères; et il se flatte, lui, à la fin du xvme siècle, de commencer pour la première fois la vraie métaphysique, après trois mille ans d'efforts inutiles. On serait tenté de supposer dans un tel dessein, sous de telles paroles, un orgueil immense. Pas le moins du monde. Kant était le plus modeste et le plus circonspect des hommes; mais l'esprit de son temps était en lui. Et puis on ne fait pas les révolutions avec de petites prétentions, et Kant voulait faire une révolution en métaphysique. Comme toute révolution, celle-là devait donc proclamer l'absurdité de tout ce qui avait précédé; sans quoi il n'aurait fallu songer qu'à améliorer, et non pas à tout détruire pour tout renouveler. Kant, comme Descartes, auquel il faut sans cesse le comparer, préoccupé de sa méthode, ne voit qu'elle partout. Ce n'est pas de son propre génie qu'il a une grande opinion, c'est de celui de sa méthode. C'est de là qu'il se relève, c'est de là qu'il triomphe. Descartes a dit quelque part qu'en se comparant aux autres hommes, il s'était trouvé supérieur à très-peu et inférieur à beaucoup, et qu'il devait tout à sa méthode. Socrate aussi, deux mille ans avant Kant et Descartes, rapportait tout à sa méthode qui, au fond, était la même que celle du philosophe français et du philosophe allemand. Cette méthode est la vraie; c'est la méthode psychologique qui consiste à débuter par l'homme, par le sujet qui connaît, par l'étude de la faculté de connaître, de ses lois, de leur portée et de leurs limites. Elle naît avec Socrate, se développe avec Descartes, se perfectionne avec Kant, et avec tous les trois elle produit chaque fois une révolution puissante. Mais il n'appartient pas au même homme de commencer une révolution et de la finir. Socrate n'a été ni Platon ni Aristote, mais le père de l'un et de l'autre. Descartes, à son tour, n'est point Leibnitz; et Kant, qui a commencé la philosophie allemande, ne l'a ni gouvernée ni terminée. Cette philosophie marche encore, et ne paraît pas avoir atteint son dernier développement '. Plus heureuse, la révolution française, née en même temps que la révolution philosophique de l'Allemagne, partie à peu près du même point, de la déclaration des droits primitifs et éternels de l'homme, indépendamment de toute société, de toute histoire, comme l'autre des lois pures de la raison humaine, indépendamment de toute expérience, proclamant également et le mépris du passé et les espérances les plus orgueilleuses, a parcouru en quelques années ses vicissitudes nécessaires, et nous la voyons aujourd'hui arrivée à son terme, tempérée et organisée dans la Charte qui nous gouverne. La Charte de la philosophie du xixe siècle n'est pas encore écrite. Kant n'était pas appelé à cette œuvre, la 1. On parlait ainsi au commencement de 1820. sienne était bien différente: il devait faire une révolution contre tous les faux dogmatismes, et contre les grandes hypothèses de l'idéalisme du xvn siècle, et contre les hypothèses mesquines et tout aussi arbitraires du sensualisme de son temps; et cette entreprise, il l'a accomplie, grâce à cette méthode dont je viens de vous faire connaître le caractère d'après les deux préfaces et l'Introduction de la Critique de la Raison pure. Il est temps d'aborder cette Critique elle-même, et de vous introduire dans l'intérieur de ce grand monument. Sujet de cette leçon: analyse de la théorie de Kant sur la sensibilité, ou de l'Esthétique transcendentale. Divisions de la critique de la raison pure: Doctrine élémentaire et Méthodologie. La sensibilité et l'entendement sont les deux grandes sources de la connaissance, ou les deux facultés fondamentales: leur fonction, leur caractère. - De la sensibilité. Que la conscience rentre dans la sensibilité. - La sensibilité peut contenir des éléments a priori. Comment on arrive à les déterminer. Esthétique transcendentale. L'espace et le temps, formes de la sensibilité. Exposition métaphysique et transcendentale de l'idée d'espace : c'est une idée a priori; une idée nécessaire; ce n'est pas une idée collective; c'est l'idée d'une grandeur infinie. Des connaissances synthétiques a priori qui dérivent de l'idée d'espace. Examen de l'opinion de Condillac, en opposition à celle de Kant. - Exposition métaphysique et transcendentale de l'idée de temps: ses caractères sont les mêmes que ceux de d'espace. Des connaissances synthétiques a priori qui dérivent de l'idée de temps. Que les idées d'es pace et de temps n'ont aucune valeur objective. Vous savez quelle réforme Kant a voulu introduire dans la métaphysique; vous savez quel est, pour lui, le véritable but de cette science et sa seule méthode légitime: ce but et cette méthode, Kant a pris soin de les établir lui-même, avec une parfaite précision, dans l'Introduction dont je vous ai présenté l'analyse. En même temps, l'étude de cette Introduction vous a initiés à plusieurs des principes essentiels et à une partie du langage de la philosophie kantienne. Maintenant, vous pouvez me suivre plus rapidement dans l'examen de la Critique de la raison pure. D'abord, la Critique de la raison pure se divise en deux grandes parties bien distinctes 1. Rappelez-vous le but qu'elle se propose. Ce but, c'est de donner une théorie générale de tous les éléments purs ou a priori qui entrent dans la connaissance humaine. Or, pour que cette théorie soit complète, il ne suffit pas d'énumérer et d'exposer tous les éléments purs a priori, il faut encore en apprécier la valeur, absolue ou relative, et déterminer la méthode à suivre pour en faire un usage légitime et régulier. De là, dans la critique de la raison pure, deux grandes divisions; l'une, qui comprend la recherche des éléments purs de la connais 4. T. ler, Cours de 1817, xe leç. |