ferme, l'idée du devoir; avec cette idée, il va reconstruire tout le reste. On peut le comparer à ces grandes âmes stoïques de la Grèce et de Rome dégénérée, qui, délaissées par les sublimes dogmatismes de Platon et d'Aristote, voyant le monde envahi par l'épicuréisme, repoussaient du moins cette doctrine honteuse, et se réfugiaient dans le sanctuaire de la conscience. Kant est un stoïcien au xvine siècle. Si sa métaphysique est de son temps, sa morale est de tous les temps, comme celle de Zénon et de Chrysippe, d'Helvidius, de Thraséas et de Marc-Aurèle. Il est aujourd'hui plus que jamais nécessaire de la faire connaître et de la répandre parmi nous, où la doctrine d'Épicure, renouvelée et propagée par l'esprit du xvme siècle, par Helvétius, Saint-Lambert et leurs disciples, a ruiné ou énervé toutes les grandes convictions morales 1. Et pourtant, si ces grandes convictions sont un asile pour quelques âmes d'élite dans les jours de la servitude, elles sont pour tous un besoin, un aliment nécessaire sous le règne de la liberté publique. Je l'ai dit autrefois, et ce sont les premières paroles que j'ai prononcées dans cette enceinte 2: La morale des esclaves ne convient point à un peuple libre. C'est sur les mœurs qu'il faut appuyer le gouvernement représentatif et la monarchie constitutionnelle; et les mœurs d'un siècle dépendent beaucoup des doctrines métaphysiques et morales qui y dominent. 1. Voyez le tome IIIe. 2. Tome jer, Discours d'ouverture du 7 décembre 1815, p. 22. Vous avez pu reconnaître si je suis un disciple aveugle de la philosophie allemande. Cette critique de la Critique de la raison pure pourra même paraître sévère; mais en passant de la métaphysique à la morale de Kant, grâce à Dieu, je changerai de rôle et je n'aurai guère qu'à exposer et à louer. Cette partie de ma tâche sera moins pénible et à vous et à moi-même. FIN DU TOME CINQUIÈME. |