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1718.

Triple al-
Hance.

1719.

sentes et futures, phrase qui faisait allusion à la Sicile, toujours convoitée par les Autrichiens.

Albéroni comptait plus encore sur les intrigues que sur les armes. Il excitait les Hongrois et les Turcs contre l'Autriche; il donnait la main aux jacobites en Angleterre; puis il ourdissait une trame en France pour surprendre le duc d'Orléans, lui enlever le jeune Louis XV, convoquer les états généraux, et leur faire nommer pour régent le roi d'Espagne. La duchesse du Maine était le centre de cette conspiration, où trempaient un certain nombre de grands seigneurs, surtout en Bretagne. La correspondance des conjurés avec la cour d'Espagne passait par l'entremise de prince de Cellamare, ambassadeur à Paris; et déjà l'on se promettait une révolution intérieure, que devait favoriser le mécontentement universel. Mais l'abbé Dubois, l'âme damnée du duc d'Orléans, en eut vent, et intercepta des lettres qui offraient la preuve, sinon d'une conspiration véritable, au moins d'intelligences et d'offres de service. En conséquence la duchesse du Maine fut arrêtée ainsi que le prince de Cellamare et d'autres personnages.

Le duc d'Orléans pardonna; mais il ne vit de salut pour lui contre les trames d'Albéroni que dans une alliance avec l'Angleterre, quoique l'opinion publique se récriât contre cette ligue monstrueuse. D'un autre côté, l'empereur ayant fait arrêter à Milan un ambassadeur d'Espagne, et Philippe lui ayant déclaré la guerre, ce monarque mit au jour le traité qui le liait à la France et à l'Angleterre. La Hollande refusa de s'engager pour ne pas compromettre les avantages que lui procurait la paix avec les Espagnols.

Les Anglais commencèrent les hostilités sans déclaration préalable: cependant Philippe tint tête à toute l'Europe, secondé qu'il était par l'intrépide Albéroni; et il s'empara de la Sicile, que Victor-Amédée avait été amené à céder à l'empereur en échange de la Sardaigne.

Toutes les haines se dirigèrent donc contre Albéroni, et les armes mêmes dont il se servait furent tournées contre lui. Le régent eut recours aux moyens les plus bas pour arriver à sa ruine. Il gagna le confesseur de Philippe et la nourrice de la reine pour le perdre dans leur esprit, lorsque le mauvais succès l'accusait d'imprudence. En résultat, le cardinal se vit destitué tout à coup, et celle-là même qu'il avait faite reine lui refusa une audience. On visita minutieusement ses papiers et tout ce qui lui appartenait; puis on le renvoya. Monté au faîte « sans avoir eu le temps de compter les marches, » comme disait la princesse des Ursins, peut-être se laissa-t-il en effet gagner par le vertige. Comme les parvenus, il songea trop à faire étalage de sa puissance; toujours désireux de se remuer et d'imprimer le mouvement, il regardait le but, et non les obstacles. Obligé de servir les passions d'autrui et ne pouvant se fier aux Espagnols, qui le haïssaient, il parut un présomptueux, et rien de plus; mais il put dire au cardinal de Polignac: L'Espagne était un cadavre, et je l'ai ranimée; lors de mon départ, elle s'est recouchée dans son cercueil.

La soif du pouvoir ne s'éteint plus sur les lèvres qui en ont une fois goûté les douceurs ou même l'amertume; Albéroni, en quittant l'Espagne, était persuadé que sa carrière n'était pas terminée, et il se comparait à ces capitaines d'aventure que l'on recherchait à l'envi lorsqu'ils se trouvaient congédiés. Arrivé à Sestri, dans la rivière de Gênes, il reçut défense de Clément XI de se rendre à Rome; mais à la mort de ce pontife il fut appelé au conclave, et obtint même quelques suffrages pour la papauté. Innocent XIII le déclara exempt de tout reproche après examen fait des imputations dirigées contre lui: il put donc continuer de vivre à Rome, ce refuge des grandeurs déchues. Il dressa le plan d'une alliance chrétienne pour chasser les Turcs de l'Europe et partager leur territoire. Ravenne fut dotée par lui d'établissements utiles; une révolution qu'il dirigea à Saint-Marin tourna à sa confusion; mais Plaisance a conservé des monuments signalés de sa bienfaisance éclairée (1).

Albéroni écarté, Philippe V, à la sollicitation de sa femme,

(1) Albéroni écrivit à Voltaire pour le remercier du bien qu'il avait dit de lui dans la Vie de Charles XII; et, le 12 mars 1735, Voltaire lui répondit : « La lettre dont votre éminence m'a honoré est un prix aussi flatteur de mes ouvrages que l'estime de l'Europe a dû vous l'être de vos actions. Vous ne me devez aucun remerciment, monseigneur. Je n'ai été que l'organe du public en parlant de vous. La liberté et la vérité, qui ont toujours conduit ma plume, m'ont valu votre suffrage. Ces deux caractères doivent plaire à un génie comme je vôtre: quiconque ne les aime pas pourra bien être un homme puissant, mais il ne sera jamais un grand homme.

« Je voudrais être à portée d'admirer de plus près celui à qui j'ai rendu justice de si loin. Je ne me flatte pas d'avoir jamais l'honneur de voir votre éminence. Mais si Rome entend assez ses intérêts pour vouloir au moins rétablir les arts, le commerce, et remettre quelque splendeur dans un pays qui a été autrefois le maître de la plus belle partie de monde, j'espère alors que je vous écrirai sous un autre titre que sous celui de votre éminence, etc.

1720. 1722.

se résigna à la quadruple alliance, en renonçant aux provinces détachées de la monarchie espagnole; et un congrès se réunit à Cambrai pour consolider les traités par ces nouvelles alliances. L'empereur, qui, s'opiniâtrant dans sa haine contre l'Espagne, la voyait avec jalousie favorisée désormais par les deux autres puissances, mettait en avant mille difficultés dans les formules de la renonciation réciproque. Il finit cependant par prendre son parti, et donna à don Carlos, fils d'Élisabeth Farnèse, l'investiture de Parme, de Plaisance et de la Toscane, avec la garantie de la France et de l'Angleterre contre les prétentions du pape et du grand-duc.

L'empereur s'entétait toutefois à prétendre au titre de roi d'Espagne, surtout à celui de roi catholique et de grand maître de l'ordre de la Toison d'or. N'ayant que des filles, il avait promulgué une pragmatique sanction (19 avril 1713) portant qu'à défaut de mâles ses filles succéderaient de préférence à celles de Joseph Ier, et que la succession se réglerait entre elles par ordre de primogéniture. Il la fit approuver par les états provinciaux de tous les pays autrichiens et par les filles de Joseph Ier, mariées aux électeurs de Saxe et de Bavière; et dès lors sa politique eut pour unique but d'obtenir sur ce point la confirmation des autres puissances.

Ainsi il prétendait avoir l'assentiment de l'Espagne, qui répugnait au contraire à le donner, et demandait que l'empereur se bornât en Italie à ses anciennes possessions. Le roi de Sardaigne en prenait occasion de réclamer un rang égal à celui des autres souverains. Les puissances maritimes voyaient de mauvais œil que l'empereur eût institué à Ostende une compagnie pour le commerce des Indes. C'étaient là de graves embarras pour la diplomatie.

Une fille de Philippe V avait été élevée à la cour de France comme future épouse de Louis XV. Mais le duc de Bourbon, alors premier ministre, s'inquiétant de la faible santé du jeune roi, ne voulut pas tarder davantage à assurer une succession qui devait écarter du trône le duc d'Orléans. Il renvoya donc l'infante, qui n'était pas encore nubile, pour lui substituer Marie Leckzinska.

1726.

Cet affront irrita Philippe V, qui, malgré la cour et ses ministres, conclut la paix avec l'empereur en acceptant la pragmatique sanction, en lui laissant, sa vie durant, les titres qu'il désirait et en renonçant à soutenir la résistance des seigneurs

italiens. La grande maîtrise de la Toison d'or demeura indécise. Les deux monarques se promirent mutuellement des secours pour recouvrer Gibraltar et Port-Mahon; et Philippe accorda aux sujets de l'empereur le droit de trafiquer librement dans ses ports et dans les Indes, droit dont jouissaient déjà les Hollandais et les Anglais.

Vingt-cinq ans de rancune faisaient donc place à une amitié qui éveilla la défiance des cours européennes. On savait que le ministre espagnol Riperda répandait l'or à la cour de Vienne, et qu'il en était même revenu une partie à l'empereur (1). On parlait d'un mariage entre Marie-Thérèse d'Autriche et don Carlos d'Espagne, mariage qui pouvait un jour réunir l'Autriche, l'Espagne et la France. Le roi George songea donc à opposer à de tels projets une alliance des puissances du Nord, et elle fut conclue à Hanovre. Ce traité est remarquable en ce qu'il fut le premier où les princes d'Allemagne s'obligèrent envers un étranger à ne pas remplir les obligations de la constitution germanique, c'est-à-dire à ne pas donner de secours à l'Empire s'il déclarait la guerre à la France. George avait promis de ne pas engager la Grande-Bretagne dans des guerres ou des dépenses relatives à ses possessions sur le continent. Mais il avait un parlement soumis et un ministre habile: il fit résonner haut dans ses discours les termes de machinations papistes, d'intérêts protestants, d'équilibre des pouvoirs, de liberté, de sûreté du royaume; paroles cabalistiques, dit Smollett, qui fascinèrent la nation, et l'entraînèrent à des unions désas

treuses.

Il y eut alors une suite d'arrangements particuliers pour obtenir des adhésions aux deux traités de Hanovre et de Vienne; les articles secrets du dernier ayant été ébruités, Charles VI les avait démentis; et, comme preuve, il avait sacrifié l'Espagne en entrant dans la quadruple alliance, tant il était préoccupé de faire reconnaître sa pragmatique sanction.

Mais cette bassesse ne lui profita pas. La paix fut conclue à Séville entre la France, l'Espagne et l'Angleterre, avec renouvellement des traités de commerce qui importaient à cette dernière puissance. Il fut convenu que l'Espagne indemniserait les Anglais, après la cessation des hostilités, des préjudices qu'ils avaient soufferts, et que Livourne, Porto-Ferraio, Parme

(2) COXE, dans Charles VI, c. 87. Mémoires secrets de FOSCARINI.

1793. 1731.

et Plaisance recevraient six mille hommes de troupes espagnoles pour assurer la succession de ces États à don Carlos.

Mais on fut scandalisé d'un accord qui, contraire à des intérêts soutenus d'abord avec chaleur, avait été conclu sans l'intervention de l'empereur, avec lequel on avait jusqu'alors marché d'accord, et qui disposait des États italiens sans le concours ni des possesseurs actuels ni du suzerain. Nous ne disons rien des peuples, dont personne ne s'occupait dans ces guerres dynastiques, où chacun poursuivait effrontément son intérêt particulier. L'empereur, blessé dans son orgueil et plus encore offensé de voir sa pragmatique rejetée, envoya des troupes en Italie, et occupa les États du prince Farnèse, qui venait de mourir.

Une politique sans pudeur et tout artificielle devait manquer de stabilité, parce qu'elle manquait d'idées; aussi bientôt l'Angleterre se brouilla-t-elle avec la France, et, pour lui faire contrepoids, s'allia avec l'Autriche; puis, dans un second traité de Vienne, la pragmatique sanction fut garantie, la succession de Parme et de Plaisance acceptée et tout commerce des Pays-Bas avec les Indes orientales aboli. L'Espagne adhéra également à ce traité, ce qui valut les deux duchés à don Carlos. Le grand-duc de Toscane, Gaston, se résigna à l'héritier qu'on lui imposait, et conclut à Florence, avec l'Espagne, une convention de famille, en désignant pour lui succéder l'infant don Carlos, qui promit de maintenir les priviléges du pays. Ce fut alors seulement qu'on put considérer comme terminée la guerre de la succession d'Espagne, et, de même qu'au moment où elle avait commencé, les puissances maritimes et l'Autriche se retrouvèrent alliées contre les Bourbons, équilibre qui paraissait un gage de paix. Mais de nouvelles intrigues de cabinets et des ambitions de famille devaient bientôt livrer l'Europe à de nouveaux bouleversements.

Des incidents fâcheux éclatèrent alors entre l'Espagne et l'Angleterre. Philippe V avait toujours enduré impatiemment les onéreuses conditions imposées au commerce de son pays par les Anglais à l'époque de la paix d'Utrecht, d'autant plus que ceux-ci, à l'aide d'une contredande active, avaient de beaucoup accru les avantages de leurs opérations en Amérique, au grand détriment de l'Espagne. Les protestations de ce prince étant restées sans effet, il envoya des vaisseaux en croisière pour visiter les bâtiments rencontrés sur les côtes de l'Amérique espa

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