Law. peines atroces, la mort, les galères, le pilori. Les serviteurs étaient admis à déposer contre leurs maîtres; on offrait un appât aux dénonciateurs en leur accordant un tiers des amendes et confiscations, ainsi que la protection royale contre les poursuites des créanciers. C'était par de tels moyens que l'on voulait arriver à éteindre la dette publique, et ce n'était pas tant un crime d'être concussionnaire que d'être riche. Quatre mille quatre cent soixante-dix chefs de famille furent atteints par cette proscription nouvelle, et obligés de se tenir renfermés dans les magnifiques demeures qu'ils s'étaient données. Quelques-uns s'enfuirent; d'autres se donnèrent la mort; plusieurs achetèrent leur grâce des favoris, et l'indulgence devint ainsi un trafic. Les restitutions décrétées devaient s'élever à trois cents millions; mais l'intrigue ou la faveur les réduisit à quinze à peine : mince résultat en regard de l'exécration publique, qui s'accroissait à l'aspect de tant de gens ruinés, tandis que d'autres s'engraissaient de leurs dépouilles. Enfin la Chambre ardente tomba sous la malédiction universelle. Dubois, trouvant insuffisants à beaucoup près les remèdes financiers du duc de Noailles, placé à la tête des finances, présenta au régent un homme qui promettait d'amortir la dette du royaume, d'augmenter les revenus et de diminuer l'impôt en créant une valeur fictive équivalant à une valeur réelle. Système de C'était l'Écossais John Law, qui se vantait d'être le disciple de Locke et de Newton. Les gouvernements s'étaient tellement grevés de dettes dans le siècle précédent qu'il fallait trouver moyen de marcher sans nouveaux impôts. Les combinaisons du change n'étaient point encore connues. Il y avait plusieurs banques instituées en Europe; mais la banque d'Angleterre seule était régie d'après des principes rationnels. Law, qui les avait étudiés, en conçut des idées beaucoup plus nettes qu'aucun de ses contemporains (1); et, voyant que le crédit avait fait prospérer la Hollande, tandis que les autres nations luttaient contre la misère, il s'exagéra la puissance de cet élément de richesse et l'activité de la circulation. (1) M. THIERS, dans l'Encyclopédie progressive, art. Law, et M. BLANQUI, Hist. de l'économie politique, parlent de lui avec admiration, tandis que STORK, Cours d'économie politique, et Rossi le condamnent. Voy. aussi EUGÈNE DAIRIE, Notice historique sur Law, en tête des ouvrages de ce financier célèbre.. Faites abonder l'argent, disait-il, et vous verrez l'industrie, la prospérité de la nation s'accroître; car avec l'argent vous pouvez commander le travail. On arrive à ce résultat moyennant des banques de circulation, qui permettent de faire autant d'argent qu'on en veut. Or, toute matière quelconque apte à représenter des valeurs peut devenir argent, et le papier est plus approprié à cet usage que les métaux. Le crédit individuel, c'est-à-dire celui des banquiers et des autres marchands d'argent, est funeste à l'industrie, attendu que les prêteurs avides traitent en despotes les travailleurs qui ont besoin de capitaux. « Il faut substituer à la commandite du crédit individuel celle du crédit de l'État; le souverain doit donner le crédit, et non le recevoir. >> Paroles remarquables; il disait aussi qu'un artisan qui gagne vingt sous est plus précieux qu'un terrain qui rapporte vingt-cinq mille livres. Un honnête négociant, ajoutait Law, fait des affaires pour le décuple de ce qu'il possède, et en retire un avantage décuple : si l'État attire à lui tout l'argent, quel bénéfice ne fera-t-il pas ? Mais Law se trompait ici en ne calculant pas l'assistance vigilante de l'homme privé et sa bonne foi; il errait en attribuant au crédit des effets dont il n'est que la conséquence. Law ne s'aperçut pas non plus que l'argent en circulation doit être proportionné aux valeurs qui circulent par le change; autrement son accroissement renchérit les prix, et n'augmente pas la richesse. Il se trompa plus déplorablement encore lorsqu'il crut que l'on pouvait donner au papier une valeur forcée. Dès 1705, l'Angleterre se trouvant à court de numéraire, Law lui avait proposé la fondation d'une banque qui aurait émis des billets jusqu'à la valeur de toutes les terres du royaume. N'ayant pas été écouté, il proposa son plan à Victor-Amédée, qui répondit n'être pas assez puissant pour se ruiner. Il l'offrit également à Louis XIV en déclarant qu'il était prêt à perdre cinq cent mille francs au cas où ses promesses ne se réaliseraient pas, et il ne fut pas plus heureux. Enfin, il fut accueilli par le régent, à qui il proposa de créer une banque d'escompte, moyennant laquelle le gouvernement s'assurerait le bénéfice de tous les monopoles, faciliterait toutes les opérations de finance, et se procurerait assez d'argent pour subvenir à ses besoins démesurés. Il aurait fallu, pour remplir son but, une banque générale et nationale appelée à percevoir tous les revenus publics et à exploiter tous les priviléges que le gouvernement aurait voulu 1747. lui accorder; mais il ne put obtenir que l'autorisation d'établir une banque de circulation, avec ses propres fonds et à ses risques et périls: c'est ce qu'il fit avec un capital de six millions, augmenté d'actions de cinq mille francs, que l'on achetait en payant un quart en argent et le reste en billets de l'État, dont le taux était alors très-bas. L'édit ajoutait que cette banque offrait l'avantage de changer l'argent à gros intérêt contre du papier que l'on pourrait réaliser d'un instant à l'autre. Pour commencer ses opérations, la banque de Law et compagnie obtint la ferme des monnaies, puis celle de tous les revenus publics, moyennant 52 millions par an, à la condition de prêter au roi 1,200 millions à trois pour cent, pour le remboursement des rentes perpétuelles. La banque fut étendue à toute la France, et l'engouement fut tel que la somme émise fut bientôt de 12 milions. Jusque-là tout allait pour le mieux : la banque ne compliquait point ses opérations de prêts ni d'affaires de commerce; elle correspondait dans les provinces avec les directeurs des monnaies; elle avait dans ses mains les caisses des particuliers, escomptait, recevait des dépôts, émettait des billets payables à vue et en monnaie inaltérable. La banque d'escompte raviva instantanément le commerce, restreignit l'usure, fixa le taux de l'argent, renoua les relations avec l'étranger: les richesses se trouvant multipliées par le crédit et le commerce par la circulation, la fortune publique et privée se rétablit. Seize cents séquestres furent levés dans la généralité de Paris; les manufactures s'accrurent de trois cinquièmes; une affluence énorme d'étrangers augmenta la consommation; on rechercha les jouissances et le luxe; et en même temps que les particuliers se procuraient des carrosses, des vêtements de prix, des boissons glacées, les impôts sur les comestibles furent abolis, l'enseignement de l'université fut rendu gratuit et des travaux publics furent entrepris. Law proposa alors de réduire tous les impôts à un seul, et il persuada aisément ceux qu'il avait habitués à des prodiges. Il offrait tout ce qui peut séduire : une théorie nouvelle exposée avec clarté, des idées hardies émises avec assurance, un système complet qui dispensait de toute autre étude, enfin une perspective illimitée de richesses et de jouissances. Des gens enrichis par le vol et les concussions n'entendaient rien au crédit, aux banques, aux théories de l'argent. Les courtisans poursuivis par leurs créanciers furent enchantés de pouvoir les payer en billets. Il ne faut donc point s'étonner qu'une ivresse générale envahît la France, et que ce fût partout une manie de changer l'or contre du papier. C'était déjà quelque chose de prodigieux que d'avoir organisé si promptement des banques; que d'avoir fait couler l'or à flots là où l'on ne trouvait pas auparavant à emprunter à trente pour cent sur nantissement; que d'avoir procuré une valeur considérable à des billets dont personne ne voulait d'abord, et qui seraient devenus la monnaie universelle si l'abus ne s'en était mêlé. Non content d'avoir émis des billets pour plus du décuple de leur valeur réelle, Law songeait à réunir tous les capitalistes de France, afin de mettre en commandite tous les éléments de la richesse publique; ce qui aurait offert une hypothèque sur tous les biens immeubles en assurant le crédit même au petit propriétaire. C'était une grande idée; mais l'économie publique n'était pas née encore, et l'on ne pouvait ainsi attribuer à son projet sa juste valeur. Ne trouvant pas l'opinion préparée, il lui fallut rattacher ses plans à des préjugés en rapport avec l'esprit du temps, ce qui l'amena à spéculer sur les colonies. On avait fondé sur les rives du Mississipi, découvert à la fin du dix-septième siècle, une colonie qui n'avait point prospéré, attendu que, au lieu de cultiver le sol, on ne s'y était occupé que de découvrir des mines. Un négociant nommé Crouzat s'était fait concéder les terres de la Louisiane; mais il éprouva de grandes pertes en voulant les mettre en culture. Toutefois le bruit s'était répandu qu'il se trouvait dans cette contrée plus de trésors qu'au Mexique et au Pérou : cela se répétait à l'oreille, comme un secret fait pour éveiller la curiosité; on payait des voyageurs pour répandre des contes de ce genre; on faisait promener par la ville des Iroquois chargés d'or et de pierreries; on apportait de l'or en barre à la monnaie. Ces moyens étaient mis en œuvre par Law, qui fonda la Compagnie du Mississipi, à laquelle fut accordé un privilége de vingt-cinq ans pour le commerce de la Louisiane et pour celui des castors du Canada. Les mines qu'elle découvrirait devaient lui appartenir; elle était investie du droit de faire des alliances et de construire des forteresses, et les marchandises qu'elle importerait n'auraient à payer pendant dix ans que la moitié des droits d'entrée. Elle réunit ensuite à ces avantages la propriété du Sénégal et la traite privilégiée des noirs; enfin elle se fondit avec l'ancienne Compagnie des Indes orientales et de la Chine: c'est pourquoi elle prit le nom de Compagnie des Indes, et fut autorisée à créer 25 millions de nouvelles actions, dont la valeur devait être payée en billets de l'État. L'or du Mississipi devint proverbial en France, et ce fut à qui prendrait part à cette riche spéculation. Tout Paris affluait dans la rue Quincampoix, où était le rendez-vous des agioteurs : heureux ceux qui pouvaient échanger leur argent contre des actions dont la valeur s'éleva jusqu'à trente fois le capital! Nobles, négociants, dames et bourgeoises assiégeaient de grand matin la grille de cette rue: on y contractait par centaines de millions dans un jour; puis, le soir venu, on avait peine à mettre les gens dehors, et beaucoup passaient la nuit à l'endroit même, pour se trouver les premiers arrivés le lendemain. Law vendait à raison de trente mille francs la lieue carrée les terres dans la Louisiane, que personne n'avait vues; et les acheteurs y envoyaient des colons pour les défricher, en assignant à chaque famille, qui recevait gratuitement ses outils et des vivres pour un an, deux cent vingt arpents. Comme il était plus commode d'avoir en poche des billets que de l'or pour négocier les actions, ils se soutinrent de préférence au numéraire. Le gouvernement n'avait autre chose à faire qu'à émettre de nouvelles actions; c'était une faveur que de les obtenir de première main, et de plus un moyen de se faire bien venir. Le régent et les principaux seigneurs de la cour assistèrent à l'assemblée des actionnaires, qui reçurent, pour un seul semestre, sept et demi pour cent. Le duc d'Orléans, se flattant de l'idée de mettre la dette publique à la charge de la Compagnie, la favorisa moins par illusion que par calcul; il ne tint aucun compte des remontrances du parlement, et nomma Law contrôleur général des finances. Il fut décidé que les billets de la banque seraient reçus comme argent comptant dans les caisses publiques; elle fut même déclarée banque royale, et l'on s'occupa de la soutenir au moyen d'ordres et de prohibitions. Law, comme tous les économistes de son temps, admettait que l'or et l'argent constituent la richesse d'un peuple, et par suite qu'il ne se multiplie jamais surabondamment. Il n'établit donc point de proportion entre le capital qui garantissait les billets et leur émission: ces billets, ainsi qu'on le disait et que certaines personnes le disent encore, équivalaient à de l'argent. |