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qui y prirent part, et qui corrompit la morale publique en accoutumant les États à des violences qui devaient plus tard trouver des imitateurs.

La république polonaise devint l'État le plus puissant du Nord jusqu'au moment où l'agrandissement de la Suède, de la Turquie, de la Russie et de la Prusse lui ôta la suprématie, et lui enleva plusieurs de ses provinces; mais elle eut plus à souffrir encore de sa constitution intérieure. Une fois qu'il fut permis aux étrangers de se mettre sur les rangs pour l'élection au trône, le champ fut ouvert aux intelligences, aux manœuvres secrètes de leurs agents, et ce fut la perte du pouvoir souverain.

Les étrangers qui montèrent sur ce trône et qui n'avaient ni les qualités ni les vices de la nation se trouvèrent en opposition avec ses représentants : il en résulta qu'ils entretinrent des pratiques continuelles avec les autres puissances pour des intérêts contraires à ceux du pays. Leurs ambassadeurs, d'accord avec eux, secondaient ces menées, devenues une arme des gouvernenients; et les rois eux-mêmes distribuaient soit des charges, soit des terres pour conquérir des partisans. Tout interrègne était donc une révolution et une guerre, où le sang coulait souvent, mais où les étrangers faisaient toujours assaut de corruptions et de honteuses brigues tant pour favoriser leur protégé que pour écarter celui de leurs rivaux.

Le pouvoir suprême de l'État était la diète; mais comme ses décrets devaient être unanimes (nemine contradicente), toute mesure pouvait être entravée par un seul noble disant : Sisto activitatem. Pour remédier à ce morcellement de l'autorité, il se formait des confédérations de nobles qui se réunissaient en corps dans un but déterminé, et chaque confédération se donnait des lois et des statuts, comme si elle eût formé un corps souverain; opposées le plus souvent entre elles, toutes étaient d'accord sur ce point que la majorité des suffrages décidait. Le remède était plus dangereux que le mal; car lorsque toute la noblesse d'un cercle, d'un palatinat, d'une province se réunissait, elle prétendait avoir la prépondérance dans la diète; l'État se trouvait partagé en autant de petits États, et la guerre civile restait organisée.

Les grands cherchaient à placer leurs créatures dans les tribunaux, ce qui était très-important dans un pays où les propriétés étant grevées de fidéicommis et inaliénables, mais surchargées d'hypothèques, fournissaient des occasions fréquentes de procès.

C'était le temps où les institutions féodales succombaient partout en Europe sous le principe monarchique, qui l'emportait. Comment donc la Pologne, sans tiers état, sans finances, ni commerce, ni subordination, aurait-elle pu, à l'aide de sa seule valeur militaire et de ses souvenirs nationaux, se soutenir contre le nouveau système de centralisation?

Personne ne s'occupait du peuple, attaché à la glèbe, qui le nourrissait et s'abreuvait de ses sueurs; la diversité de religion avait été la source de nouvelles discordes. Jamais dans les provinces lithuaniennes, autrefois sujettes de la Russie, les Grecs, qui y étaient en grand nombre, n'avaient pu se réunir aux catholiques. Les idées républicaines des calvinistes avaient souri à beaucoup de gens dans cette noblesse turbulente. Sigismond II garantit aux nobles grecs et protestants, ou dissidents, comme on les appelait, les droits politiques ainsi que l'admissibilité à tous emplois et dignités. Mais on commença sous Sigismond III à restreindre à leur égard la liberté du culte et les droits politiques malgré l'intervention des puissances voisines. Lorsque ensuite Charles XII se montra plein de zèle pour le lutheranisme, la diète, par réaction, ordonna de détruire toutes les églises des dissidents bâties depuis l'occupation suédoise, et défendit d'introduire ce culte dans des localités nouvelles; enfin, les dissidents se trouvèrent exclus de la chambre des nonces.

1717.

Un écolier catholique ayant été arrêté à Thorn à l'occasion d'une rixe suscitée par une procession, ses condisciples, ameutés, demandèrent qu'il fût relâché, prétendant qu'on violait leurs priviléges; n'obtenant rien, ils forcèrent le collége des jésuites. Ces pères firent grand bruit de cet événement dans toute l'Europe, en représentant cet acte de violence comme une attaque contre la religion. Des procédures rigoureuses commencèrent et furent menées avec rapidité pour que des princes protestants ne vinssent pas s'y interposer; beaucoup de prévenus, quelquesuns de très-haut rang, furent condamnés au supplice ou à diverses peines. Le nonce du pape, Santini, conseillait en vain la clémence et l'humanité ; le supérieur des jésuites refusa de prêter le serment d'où dépendait le sort des condamnés; les sentences n'en furent pas moins exécutées; et l'on prit des mesures pour assurer la prédominance aux catholiques.

L'Europe, en fut émue. Les puissances voisines déclarèrent

1724.

que le traité d'Oliva était violé. Mais la diète de Grodno parut défier les menaces; elle exclut les représentants anglais, menaça le roi de Prusse, et chassa le nonce du pape, qui fut cependant rappelé lorsqu'il se fut justifié; puis la diète de convocation de 1735 déclara les dissidents inhabiles à toutes charges et dignités.

1733.

Cette intolérance religieuse de même qu'une corruption effrontée rendirent désastreuse la vacance qui suivit la mort d'Auguste II. La diète de convocation déclara alors que l'on ne pourrait élire qu'un Polonais, et invita les ambassadeurs étrangers à sortir de Varsovie; mais aucun d'eux ne voulut s'éloigner; et la diète ayant déclaré qu'elle n'entendait pas être responsable de ce qui pourrait arriver, le ministre prussien répondit que, pourlaver une insulte faite à un ambassadeur, се ne serait pas assez de pendre toute la noblesse polonaise. Cette arrogance irrita les esprits au point qu'une attaque fut dirigée sur sa personne; mais il fut soutenu par les ministres autrichien et russe, et bientôt une armée moscovite entra dans le pays.

1734.

Le choix s'était porté à l'unanimité sur Stanislas Leczinski; mais la Russie ne voulait pas de lui; et elle fit élire dans une taverne, où quelques nobles furent traînés par violence, Auguste III, électeur de Saxe. Il en résulta la guerre que nous avons racontée; et tandis qu'elle se poursuivait jusque dans l'Amérique, la Pologne, qui en était la cause ou le prétexte, ne vit presque d'autres faits d'armes que le siége de Dantzick, dirigé par le général autrichien Lascy, où les Russes perdirent un nombre énorme de combattants, mais réduisirent la place à capituler lorsque Stanislas l'eut abandonnée.

L'héroïsme et les souffrances de ce prince accrurent le nombre de ses partisans; mais, voyant le pays mis au pillage, il abdiAuguste III. qua. Auguste fut reconnu, et un voile fut tiré sur les faits des vingt dernières années. Restaient toutefois et les décrets contre les dissidents et le liberum veto, qui empêchait de remédier à tant de désordres: en effet, il ne fut plus possible de mener à fin une seule diète au milieu des dissensions de ces petits tyrans, qui ne connaissaient que l'indépendance individuelle, et n'avaient aucune idée de ce que la liberté exige de dignité, de ce que l'ordre peut donner de force. Il faut dire toutefois que ces discordes empêchèrent la Pologne de prendre part à ces guerres honteuses au milieu desquelles les rois d'Europe faisaient couler le sang des peuples pour satisfaire leurs caprices. Auguste III, prince généreux, ami du faste et des arts, fit construire à grands frais un calvaire, où l'on parvenait par une route de plusieurs lieues, éclairée dans toute sa longueur. Si l'on en croit la princesse Wilhelmine de Prusse, il eut trois cent cinquante-quatre enfants naturels. Se faisant un moyen politique de sa vigueur de débauché pour amollir les âmes par le vice, il avait recours à la violence pour contraindre les dames de se rendre à ses bals, d'où on les ramenait ivres et souillées. Il maintint longtemps le pays en paix; mais ce repos engourdit l'ardeur belliqueuse des Polonais, et leur réputation guerrière en souffrit. Les haines religieuses semblaient aussi assoupies; mais la gangrène qui rongeait le pays en apparaissait davantage. On songea, comme seul remède, à réformer la constitution, et il en résulta deux partis, tous deux opposés à l'unanimité du vote: l'un, dirigé par Potocki, craignait, en établissant la majorité, que l'on n'accrût le pouvoir du roi, qui conférait les emplois; il voulait y obvier en attribuant la nomination à un conseil permanent et souverain: du reste, il ajournait les réformes à une époque où le trône serait vacant. Dans l'autre parti, les Czartoriski, descendants des anciens ducs de Lithuanie, dont la clientèle était nombreuse dans le pays, auraient désiré une monarchie forte et héréditaire, peut-être parce qu'ils y aspiraient; ils visaient à diminuer l'autorité des grandes charges et des grandes familles et à accroître celle des tribunaux: dans ce but, ils se déclarèrent les soutiens de la cour, et attirèrent dans leur parti les personnages les plus distingués. Mais Branicki, grand maréchal de la couronne, dévoila leurs intentions, et les contrecarra en s'appuyant sur la France.

Il ne restait aux Czartoriski qu'à se ménager des ressources sous main. Leur neveu Stanislas-Auguste Poniatowski, qui se trouvait à Saint-Pétersbourg, était à même de connaître les sentiments de ce cabinet; bel homme, insinuant et gracieux, il élevait ses espérances jusqu'au trône, se fiant à cet égard aux prédictions des astrologues. Il se concilia la faveur du grandduc Pierre, et plus encore celle de Catherine, qui, devenue impératrice, promit de faire élire roi de Pologne ou lui ou Adam Czartoriski.

Lorsque Auguste III, qui avait toujours vécu dans la dépendance de la Russie, abandonna la malheureuse Pologne pour aller mourir en Saxe, un déplorable interrègne commença dans le pays. Afin d'effrayer les Radziwil, la faction Czartoriski fit

Stanislas oniatowski. 1764.

appel à Catherine, qui menaçait depuis quelque temps et désirait intervenir. Les Czartoriski, se hâtant d'opérer des réformes pendant la vacance du trône, abolirent les grandes charges, réprimèrent les familles puissantes, affaiblirent les seigneurs en limitant leur pouvoir sur leurs serfs, abrogèrent les priviléges des grandes villes et de provinces entières. Les régiments de la garde se trouvèrent dépendre entièrement du roi, comme aussi l'hôtel des monnaies et les postes; la couronne se trouva investie du droit de s'approprier quatre des plus riches domaines. Ils cherchèrent surtout à abolir le liberum veto. Tout cela, ils le firent en quelques semaines, sans chercher à s'appuyer sur la volonté de la nation, pendant que la Prusse et la Russie s'opposaient aux réformes, intéressées qu'elles étaient à ce que le désordre continuât.

Chacun des deux partis, d'accord pour repousser un roi étranger, mettait en avant une créature à lui. Mais comment espérer que plus de mille électeurs arriveraient à un vote unanime au milieu de tant de passions? Il se donna dans les diétines, où les rixes éclataient à chaque instant, plus de cent mille coups de sabre, mais sans qu'il y eût plus d'une centaine de gentilshommes tués, attendu que dans des occasions pareilles les Polonais ne portaient point d'armes affilées. Mais que servait de discuter lorsque Catherine avait déjà décidé le choix? Soixante mille Russes aux frontières, dix mille aux portes de Varsovie devaient assurer la libre élection de son amant; des Turcs, des janissaires, des Hongrois, des Prussiens remplissaient la ville et les galeries de la salle: Stanislas fut donc élu.

Issu d'une famille italienne très-noble, mais peu puissante (1), il mécontenta les Polonais, le jour même de son couronnement, en ne se montrant pas avec l'habit national et la tête rase, attendu qu'il n'avait pu se décider à sacrifier sa noire chevelure. Puis, asservi d'un côté à la Russie, de l'autre aux Czartoriski, qui exerçaient une puissance prépondérante, il reconnut bientôt toute son impuissance sur le trône qu'il occupait; car il s'y trouvait à la merci du prince de Repnin, l'ambassadeur russe. naguère son compagnon de débauches, devenu alors pour lui un contradicteur violent, prompt à lui faire sentir l'éperon dès qu'il faisait mine de résister.

(1) il descendait des Torelli, anciens seigneurs de Guastalla. Voy. SCHOELL, tome XX, p. 147. Selon les autorités polonaises les plus authentiques, Forigine des Ponitawoski est fonte polonaise. (A. R.)

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