Certaines provinces se trouvaient éloignées du centre et menacées par des ennemis redoutables. Elles possédaient toutes des états provinciaux, sans l'aveu desquels on ne pouvait établir de nouvelles charges. Les revenus des Pays-Bas suffisaient à peine pour l'administration et pour l'entretien des garnisons (1). Tout en augmentant son territoire, l'Autriche perdit de son influence par la politique étroite de Charles VI et sa condescendance envers les princes qu'il voulait rendre favorables à sa pragmatique sanction. Charles VI, dont le naturel débonnaire adoucissait la tyrannie politique (2), était d'un caractère emporté, quoique lent, et n'avait pas les sentiments de son rang. Il protégea les arts en fondant une académie de peinture, de sculpture et d'architecture; créa la bibliothèque de Vienne et le cabinet des médailles; appela à sa cour Métastase, qui le proclama le Titus du siècle. Il aimait surtout la musique, et composa un opéra qui fut chanté sur le théâtre de la cour par les premiers seigneurs, lui-même faisant sa partie dans l'orchestre et les deux archiducs dansant dans le ballet. Mais, soit hasard, soit faute, il fut continuellement en guerre; et, après avoir trouvé l'Autriche en voie d'une grandeur nouvelle, il la laissa épuisée. N'estimant que les Espagnols, il traitait les Allemands de gens grossiers, et les avait pris en haine, parce qu'ils avaient embrasse froidement sa cause et déploré la mort de l'empereur Joseph. Frédéric II dit qu'il avait été élevé pour obéir, et non pour commander. Faisant du (1) On pourrait se représenter la richesse proportionnelle des différents États de l'Autriche d'après la répartition des subsides que demandait l'empereur en 1730, comme il suit : Moravie. 1,066,666 Carniole. 78,333 Silésie. 1,133,333 Tyrol.. 120,000 Basse Autriche. 900,000 Autriche antérieure. 110,000 Haute Autriche. 450,000 Hongrie. 2,500,000 Styrie. 390,000 Transylvanie. 760,000 Banat de Temeswar.. 330,000 Esclavonie. 100,000 Servie. 80,000 Frontière militaire. 47,000 Croatie. 24,000 États d'Italie. 2,600,000 Carinthie 136.666 Total. 14,025,998 A reporter... 7,710,665 (2) « Bien que l'empereur soit pieux, joste, clément, le gouvernement est dans le fait plus tyrannique que celui des Turcs. » ÇOXE. cérémonial sa principale affaire, il s'occupait de commérages, de chasse et autres occupations frivoles. Il abandonnait en même temps l'État à ses ministres, quoiqu'il se gardât bien, comme tous les princes faibles, de se montrer dominé en rien. Il ne traitait avec eux que par écrit, et l'intermédiaire de cette correspondance était Bartenstein, qui, tout en le flattant, lui préparait des arguments pour embarrasser le conseil et avoir raison de ses ministres, ce qui ne manquait pas d'ajouter à leur irrésolution et entraver les délibérations. L'homme le plus illustre de sa cour fut le prince Eugène, qui arrêta d'un siècle l'Autriche dans sa décadence; modeste, sans détours, rude dans ses manières, mais tenant sa parole avec la fermeté d'un soldat, il n'obtint jamais entièrement la confiance de Charles, qui, mené par des confidents, par des femmes, écoutant l'envie des autres et sa propre jalousie, le mettait à l'écart quand la guerre ne le rendait pas nécessaire. Aussi Eugène disait-il à Villars: Vos ennemis sont à Versailles et les miens à Vienne. Il s'en consola en laissant les affaires pour se donner aux lettres, aux beaux-arts, à la société de femmes aimables, et il atteignit soixante-douze ans avec toute sa liberté d'esprit. Les revers qu'éprouva l'Autriche après sa mort prouvèrent ce que peut un homme sur le sort d'un État. Eugène avait désapprouvé l'acquisition des Pays-Bas, prévoyant qu'ils seraient un théâtre toujours ouvert aux guerres avec la France, et que, difficiles à conserver, leur perte entraînerait celle de toute la rive gauche du Rhin. Charles VI ne l'écouta pas, et donna une nouvelle organisation à ce royaume en abolissant le conseil des finances et le conseil privé, pour ramener toutes les affaires au conseil d'État. Tandis que les ministres s'occupaient des affaires politiques, Charles VI porta son attention sur le commerce. Voyant bien que deux choses avaient manqué constamment à l'Autriche, des forces maritimes et des richesses, il créa à Vienne une banque et une société pour le commerce de l'Orient. Il fit des traités avec la Porte, et couvrit le Danube de bâtiments; il donna aux Brabançons le droit de naviguer librement aux Indes; et les autres provinces ayant réclamé la même faveur, il institua, à la suggestion du prince Eugène, une compagnie à Ostende, avec un privilége de trente ans et un capital de six millions, divisé en six mille actions, qui furent prises en quarante-huit heures, et montèrent aussitôt de quinze pour cent. Les états généraux de Hollande en jetèrent les hauts cris, comme s'il eût blessé ainsi leur droit au commerce d'Orient; et il en résulta la guerre racontée plus haut, et que Charles termina comme les autres, en rabattant de ses prétentions pour obtenir la reconnaissance de sa pragmatique sanction. Charles VI était mû aussi dans tout cela par la passion du gain. Il laissa la diplomatie étrangère travailler à ses côtés à prix d'argent. Les fermes des impôts ne s'adjugeaient point sur les lieux, mais à la cour, où tous les aspirants se rendaient, et en offrant de l'argent à l'empereur ils obtenaient à des conditions avantageuses pour eux la perception des droits ou toute autre entreprise. Les revenus augmentaient ainsi sans profit pour le trésor, le surplus allant grossir le boursicot de sa majesté (1). En Hongrie, Charles chercha à fixer d'une manière fixe les corvées, auxquelles les seigneurs obligeaient le bas peuple, à rendre l'armée plus forte en assurant son entretien par un impôt permanent, et à supprimer l'abus, fréquent dans les maisons seigneuriales, de marier leurs cadets dans des familles de paysans, qui se trouvaient ainsi soustraites aux tailles. La noblesse chercha à détourner l'empereur de ses projets; les protestants jetèrent les hauts cris de ce qu'on exigeait d'eux, pour entrer dans la diète, un serment contraire à leur conscience, et s'opposèrent, mais en vain, à ce que la couronne fût rendue héréditaire, surtout dans la ligne féminine. Charles fit plus, car il détacha un district de la Hongrie, entre Presbourg, Bude et Odenbourg, pour le réunir à l'Autriche. Η annula l'immunité des terres devenues nobles depuis 1680, perçut avec rigueur une dîme des revenus ecclésiastiques que le pape avait consentie pour fortifier Belgrade et Temeswar, et amena la diète à apporter des limites à la servitude des paysans. Il permit l'exercice du culte protestant en particulier, mais non en public, à l'exception des lieux où il était établi en 1681; il détermina toutefois le nombre des ministres ; on ne pouvait être admis au barreau sans prêter un serment où la Vierge et les saints étaient pris à témoin. Joseph Ragoczy, qui tenta en Hongrie une révolution au nom de la liberté, ce qui voulait dire les priviléges des nobles, (1) L'Histoire secrète de Marco Fossarini (Florence, 1843) est un document fort important sur ce règne. Il prouve principalement la vénalité effrontée et la manière déplorable dont l'Italie était gouvernée, 1738. 1740. s'était engagé envers le Grand-Seigneur, dont il avait réclamé l'assistance, à lui céder toutes les conquêtes qu'il ferait; mais il mourut de la peste. Si les débuts de Charles VI avaient été glorieux, il finit d'une manière déplorable. Mécontent de ses ministres, vendu par ses agents subalternes, humilié devant les puissances maritimes, il vit la Lorraine enlevée à l'Empire et à son propre gendre. Il céda une partie du Milanais et le reste de l'Italie, épuisa le trésor et l'armée. Mais tout cela n'était rien à ses yeux, pourvu qu'il arrivât à faire accepter sa pragmatique sanction, but unique de sa politique. Il soutint une guerre malheureuse contre les Turcs, puis vint la paix de Belgrade, contre laquelle il protesta en vain, en jetant ses géneraux en prison. Une indigestion termina ses jours, à l'âge de cinquante-six ans. Marie-Thérése. CHAPITRE IV. PRUSSE. - GUERRE DE LA SUCCESSION D'AUTRICHE. - PAIX D'AIX-LA-CHAPELLE. Charles VI ne laissait pas d'héritiers mâles; et durant ses vingt-sept années de règne toute sa politique n'avait tendu qu'à assurer à sa fille Marie-Thérèse l'hérédité de ses possessions autrichiennes. Le roi d'Espagne en premier, puis la Russie, le Danemark, les électeurs de Bavière et de Cologne, la GrandeBretagne, les états généraux, l'Empire et en dernier lieu Louis XV avaient accepté cette pragmatique sanction. C'étaient là des assurances trompeuses; aussi le prince Eugène lui répondait-il lorsqu'il les vantait: Mieux vaudraient deux cent mille baïonnettes. Eugène parlait en soldat; mais il est certain (vœu populaire à part) qu'il aurait dû préparer à sa fille une bonne armée et de riches économies pour faire valoir, en tous cas, ses droits. Mais c'est à quoi il n'avait pas pourvu; et à peine eut-il fermé les yeux qu'il surgit une foule de prétendants au patrimoine amassé si laborieusement par l'Autriche. Dès l'âge de neuf ans, Marie-Thérèse avait été élevée avec François de Lorraine, qui fut duc de Toscane, et il en résulta entre eux un amour qui se rencontre rarement dans les mariages des princes. A la mort de son père, elle se proclama souveraine des États hérédiaires et déclara son mari co-régent, ne lui laissant du reste jamais la moindre part dans le gouvernement. Mais ces pays, il fallait les acquérir, et elle n'avait que cent mille florins en caisse et trente-six mille soldats, outre les garnisons d'Italie et des Pays-Bas; de plus la capitale était affamée et des ennemis surgissaient de toutes parts. L'électeur de Bavière, qui avait épousé la fille puinée de Jo- Pretendants. seph Ier, descendait de l'archiduchesse Anne, fille de Ferdinand Ier, à laquelle la succession autrichienne avait été garantie à défaut d'héritiers mâles (1); ajoutez à cela que, l'archiduche d'Autriche ayant été détaché de la Bavière en 944, celle-ci demandait qu'il lui fit retour à l'extinction de la lignée mâle. La fille aînée de Joseph Ier avait d'un autre côté apporté ses droits à l'électeur de Saxe, roi de Pologne, qui de plus, comme descendant d'Albert le Dégénéré, landgrave de Thuringe, élevait des prétentions sur l'Autriche et sur la Styrie, qu'il disait usurpées sur ses aïeux par Ottokar de Bohème, puis par Rodolphe de Habsbourg. Le roi d'Espagne réclamait la Hongrie et la Bohême en vertu d'une convention entre Philippe II et Ferdinand de Gratz; mais son but réel était d'obtenir par transaction un État en Italie pour l'infant don Philippe. Le roi de Sardaigne s'appuyait sur un statut de Charles-Quint de l'année 1549 pour revendiquer le Milanais. Mais le prétendant le plus fort et le plus résolu était Frédéric II. 'accroissement de la Prusse est un prodige de la puissance de l'homme. Ce royaume n'a ni frontière naturelle ni unité de langue ou de race: il a été constitué uniquement par la guerre et par la politique. Par la paix de Thorn (1466) la Prusse avait cessé d'être indépendante, puisqu'une bonne partie de son territoire avait été réunie à la Pologne pendant trois siècles, tandis que la partie orientale continuait d'appartenir à l'ordre Teutonique, qui reconnaissait la suzeraineté de la Pologne (2). Les Polonais voyaient de mauvais œil ces voisins menaçants; de leur côté, les chevaliers de teutoniques supportaient impatiemment la dépendance; ils demandèrent en conséquence à l'Empire que la paix de Thorn fût annulée, et refusèrent le tribut. Il en résulta une guerre; (1) C'est ce que portait la copie bavaroise du contrat; mais les Autrichiens en produisirent une autre, où on lisait héritiers légitimes. (2) MANSO, Gesch. des Preussischen Staats. Prosse. 1498. |