recoinmandent par leurs connaissances spéciales, mais non parle mérite de l'art. Ils commencèrent vers la moitié du siècle à se former sur les exemples étrangers; mais jamais ils ne possédèrent ni une exposition élégante, ni un coloris vigoureux, ni la beauté des formes. Graye et Guthrie donnèrent la traduction de l'Histoire universelle par une société de gens de lettres anglais, avec de bonnes notes, et y ajoutèrent des volumes entiers quand l'ouvrage vint à languir. Gatterer envisagea l'histoire universelle d'un point de vue plus élevé, en rejetant le système absurde des quatre monarchies primitives, et montrant l'antiquité sous un aspect inaccoutumé, quoique les habitudes d'école l'aient empêché d'atteindre à ce coup d'œil d'ensemble qui est la condition principale d'une bonne histoire universelle. Scröckh compila une Biographie universelle. D'autres recherchèrent, après Gatterer, les doctrines, les particularités, une foule de matériaux, des trésors nouveaux, rendant compte de leurs découvertes, mais sans émettre de jugement. La révolution produite par Kant dans le monde moral porta les historiens à examiner plus à fond les événements, et à donner à leurs travaux une signification plus élevée, un caractère plus noble. Son Idée d'une histoire générale dans un but cosmopolite indiqua la marche de l'humanité d'après une idée à priori, en regardant la perfectibilité du genre humain comme démontrée par les événements. Alors l'histoire pragmatique succéda aux stériles recueils d'événements qui ne font que se graver dans la mémoire. Il se rencontra même des écrivains qui la considérèrent plus philosophiquement et même plus poétiquement, en la traitant presque comme une épopée, en suivant le fil principal, et en n'exposant pas seulement ce qu'ils avaient lu, mais les impressions qu'ils en avaient reçues et les jugements qu'ils en avaient portés. Schlözer, moins savant et plus ingénieux que Gatterer, sut éviter ses défauts; il considère l'histoire comme « le recueil systématique des faits au moyen desquels on peut concevoir l'état de la terre et du genre humain à l'aide des causes plus ou moins éloignées qui le produisirent. » Il n'y avait donc plus à retracer l'histoire de chaque peuple sans une appréciation générale des destinées du genre humain; elle acquérait par là l'indépendance, et déployait un esprit élevé et scientifique. Dans son Histoire générale du Nord, il écarta une multitude de fables; le premier, il mit la statistique au grand jour, quoiqu'il 1737-1909. l'altérât en n'évaluant les peuples que par têtes et par chiffres. Sa Correspondance historique et politique, où il étudie les événements journaliers, donna à réfléchir aux cabinets eux-mêmes. Mais le rire qu'il provoque sur les vues mesquines des petits États et sur les vices de la constitution germanique ne porte pas à rechercher les moyens d'amélioration. On peut ranger sur la même ligne que Schlözer Remer et Spittler, auteurs l'un d'une Histoire ecclésiastique, et l'autre d'une Esquisse de l'histoire des États européens, dans laquelle son attention se porte sur tout autre chose que les trônes et les batailles. Sans nous arrêter à l'Histoire de la civilisation du genre humain par Adelung, à l'Histoire de l'humanité par Iselin, au Résumé de l'histoire de l'humanité par Meiners, nous citerons 1744-1803. Herder, qui sentit l'importance des chants populaires, et recueillit, non-seulement dans le Nord, mais dans tous les pays, les voix des peuples. Trouvant les idées du noble et du beau plus développées dans la nationalité que dans les individus, il voulut composer une histoire de l'humanité d'après les desseins de Dieu manifestés dans ses œuvres. Mais après s'être ouvert la route dans ses Idées sur l'histoire de l'humanité, que nous avons analysées ailleurs, pour trouver la tradition la plus reculée, la clef de toute philosophie et de toute mythologie, il se laissa égarer par des interprétations fantasques, en prenant pour guides des sentiments trop vagues; il inclina même vers le panthéisme, quoiqu'il méprisât Voltaire. Müller. 1752-1809. Jean Müller, de Schaffouse, a donné l'Histoire de la confédération helvétique, qu'anime le patriotisme et que colore le sentiment des beautés naturelles : « Rousseau, disait-il, me « révèle la toute-puissance d'un beau style. N'a-t-il pas ravi « quiconque sait penser en Europe? Ne tient-il pas tout le << monde à ses pieds, excepté ses compatriotes? Je veux donc « posséder cet instrument efficace. On n'a fait que bégayer de« puis l'invasion des barbares jusqu'à Érasme; d'Érasme à Leib« nitz on a écrit; de Leibnitz à Voltaire on a raisonné; je parle« rai. » Mais il prit un ton déclamatoire peu convenable à l'histoire; il noie l'intérêt général dans les détails, et il ne connaît pas le secret de l'art, qui consiste à se cacher. Dans son Histoire universelle même, il s'arrête sur des faits particuliers, sans aucune idée générale; ce n'est d'autre part qu'une exquisse des leçons qu'il faisait à ses élèves. Mais il a le mérite de s'être éloigné de la raillerie comtemporaine pour admirer la grandeur, même sous d'autres formes que celles de notre société; et jamais il ne cessa de montrer l'amour de la liberté. Lessing. 1729-1781. Dégager la critique des entraves de l'école, où l'on ne jurait Critique. que par Le Batteux, et donner à sa patrie une prose nouvelle et de nouvelles appréciations du beau, tel fut le mérite de Lessing. Il passa en revue les drames étrangers représentés en France, et osa prendre Voltaire à partie, non sur quelques détails de ses œuvres, mais sur les caractères et les sentiments; et pour bannir toute affectation d'élégance, il ne craignit pas d'affronter la trivialité. Il vengea, dans un grand nombre d'écrits, la littérature allemande des dénigrements de l'Académie de Berlin, et l'on peut dire que l'esthétique naquit avec lui. Déjà Winckelmann avait commencé à observer avec une pénétration inconnue les monuments de Rome; et, associant dans l'Histoire des beaux-arts la théorie à la réalité, il vit les choses d'un point de vue nouveau, bien qu'il fût adorateur exclusif de l'antiquité. Les partisans de Winckelmann étaient tout à fait idéalistes : Lessing voulut au contraire ramener l'art à l'individuel, au réel. Quoiqu'il ait donné dans cet excès opposé, il a le mérite d'avoir soutenu le naturel contre l'artificiel, et bafoué le clinquant classique ainsi que l'étiquette française. Il rajeunit la critique en traçant les Limites de la poésie et de la peinture. Mais l'ignorance où il était des chefs-d'œuvre de l'art antique lui porta malheur; certaines de ses doctrines parurent fausses à l'application, même celles qu'il posait comme capitales. Il prétend à tort renfermer la peinture dans les bornes assignées aux arts plastiques, et tracer entre les beaux-arts une ligne infranchissable en mettant à part la poésie, qui est l'âme de tous les autres. Une foule d'écrivains vinrent après lui, qui sondèrent toutes les sources du beau. Sulzer de Wenterthur, métaphysicien estimé, donna la théorie universelle des beaux-arts, en se proposant de les rappeler à leur destination, c'est-à-dire à l'utilité sociale, et former à l'aide du beau de bons citoyens. Baumgarten, de Berlin, élève de Wolf et par lui de Leibnitz, donna le premier une forme systématique à la théorie du goût, qu'il intitula esthétique, en la définissant l'art des belles pensées, en même temps qu'il la présentait comme un sentiment, la faisant dériver de la morale. Il la divisa en théorique et en pratique, plaça le beau dans la connaissance parfaite, qui consiste à ramener les pensées à l'unité, dans la beauté de l'ordonnance et dans l'expression des Schlegel. 1772-1829. pensées et de leurs objets : conditions du beau qui se trouvent détruites par les contradictions dans les pensées, le désordre des idées et des objets, l'expression fausse ou vicieuse. Ce n'était qu'une première tentative; mais depuis lors l'esthétique fut constituée comme science indépendante par Mendelsohn, Sulzer, Éberhard, et elle devint une partie de la philosophie. Tieck et Hagedorn dirigèrent leur attention sur la peinture et la poésie antique; Herder, Heinsius, Gæthe portèrent la leur sur tout le domaine de l'art, en fondant l'esthétique sur la psychologie; Schiller y appliqua la doctrine de Kant. Guillaume Schlegel nous a donné le cours de littérature dramatique le plus étendu et le plus profond. Son frère Frédéric supposa qu'il ne pouvait y avoir de véritable science qu'avec la connaissance de tout. Il étudia en conséquence toutes les langues, se fit le contemporain des Romains, des Grecs, des Chaldéens, des Indiens; et de la comparaison des mots qui expriment les idées primitives il déduisit l'origine connue des hommes. Il montra, dans l'histoire de la littérature ancienne et moderne, qu'il comprenait tout ce que la poésie des Grecs, le génie romain, l'inspiration hébraïque, le développement intellectuel des modernes offrent de grand et de beau; et il dirigea tout vers le but qui lui parut être le seul propre à provoquer la rénovation des lettres et des sciences, c'est-à-dire la réunion de la foi et du savoir. Ce génie observateur examina sévèrement les textes des classiques, et en donna de meilleures éditions; s'enhardissant à force de patience, il porta le doute sur les ouvrages anciens, en rejeta certaines parties, et appuya de raisons philologiques les observations philosophiques de Vico, pour qui Homère se résolvait en un type idéal. Ainsi s'introduisit une critique nouvelle, qui ne s'inquiète pas seulement de ce qui fut, mais de ce qui pourrait être; qui porte ses conjectures sur le possible, et montre par ce qu'ont fait les génies les plus divers où pourrait arriver un génie nouveau. De nobles âmes se réunirent pour défendre les doctrines, pour exciter les sentiments, réveiller les traditions; les doctes se rapprochèrent des ignorants; il se forma des sociétés et des lieux de rendez-vous, ne fût-ce que pour lire les journaux. La littérature allemande en reprit quelque vigueur; et si d'abord elle avait imité la littérature française et ses formes classiques, elle marcha alors dans sa liberté, et, tournant ses regards du côté des Anglais, elle osa risquer l'originalité. Ce fut aux sources nationales que s'inspira Auguste Burger, qui, dans le cours d'une existence malheureuse, devint le poëte populaire en retraçant dans ses ballades les traditions vulgaires : bien qu'il s'exprime d'un ton familier et souvent en termes bas, il s'élève parfois jusqu'au sublime. Le tendre Hölty est plein du pressentiment d'une fin prochaine. Lichtenberg, qui, de même que Lessing, croyait la révélation une phase dans le progrès de l'esprit humain, et tendait à spiritualiser toute chose, est le père des auteurs facétieux. Il se raillait des inventions de ses contemporains, et parodia les théories de Lavater dans sa Physionomie des queues. Jean-Paul Richter, génie étrange, mêla dans ses compositions ce qu'il y a de plus trivial et de plus élevé, des connaissances profondes et des superstitions, des idées et des sentiments de tout ordre, de tout état, de tous siècles; et tout cela dans un style plein d'ellipses, de parenthèses, de sous-entendus, en phrases incohérentes ou en périodes inextricables. Ceux qui peuvent débrouiller ce pêle-mêle y trouvent un sentiment profond, une appréciation très-fine de la nature humaine et de son siècle, des révélations qui éclairent les replis les plus secrets du cœur. Hoffmann, pilier de tavernes, après s'être échauffé l'imagination au milieu des pots par des récits de veillée, composait ses Contes fantastiques, remplis de diableries et d'inventions étranges, que l'on croirait à peine émanés d'un homme jouissant de sa raison. Le théâtre, depuis Lohenstein, était livré au genre boursoufflé et déclamatoire : les acteurs, tout chamarrés de papier doré, s'avançaient bouffis et superbes, flanqués d'une énorme épée et avec quelques lambeaux héroïques, hurlant, trépignant et débitant d'un ton d'emphase des périodes ampoulées. Ils traduisaient et représentaient, de préférence aux productions du pays, les pièces de Corneille, de Molière et les farces italiennes. Mais lorsqu'en 1708 Stranitzki eut fait jouer à Vienne une comédie allemande, les applaudissements allèrent aux nues, et le stupide Hanswurst fut oublié. Théâtre. Lessing, qui publia des critiques incomparables sur l'art dramatique, en donna aussi des exemples: Mina de Barnhelm, remplie de vivacité comique; Sara Sempson, drame larmoyant, moins les déclamations de Diderot; et Émilie Galotti, où il transporte le fait de la Virginie romaine dans l'intérieur du foyer domestique. T. XVII. 31 |