l'Autriche, son ancienne rivale, en établissant de petits États. En effet, l'Allemagne était travaillée par des agents qui répandaient l'or pour faire élire un autre empereur que l'époux de Marie-Thérèse; et bien que Charles VI eût déjà acheté à beaux derniers comptants les votes nécessaires pour assurer l'élection de son gendre, la couronne fut offerte à l'électeur de Bavière avec le nom de Charles VII et une partie des domaines autrichiens. La France, l'Espagne, la Prusse, la Pologne, la Sardaigne, l'électeur de Cologne et l'électeur palatin se liguèrent pour partager l'héritage de la maison de Habsbourg, en ne laissant à Marie-Thérèse que la Hongrie, les Pays-Bas, la basse Autriche, la Styrie, la Carinthie et la Carniole. L'Angleterre continuait d'être alliée à l'Autriche; mais Walpole, arbitre d'un parlement vénal, redoutait la guerre, et George, qui vit le Hanovre menacé, promit de rester neutre (1). Aussitôt les Français envahirent la haute Autriche, et l'électeur de Saxe se fit proclamer roi de Bohême. Marie-Thérèse promena sa grossesse parmi ses peuples, se plaignant de n'avoir pas même une ville où accoucher. Elle osa (ce qui ne serait venu alors à l'idée d'aucun roi) faire appel à l'affection de ses sujets, et se confia aux Hongrois, bien qu'ils eussent tant à se plaindre de son père. Belle et souffrante encore de ses couches, elle se présenta à la diète, revêtue de l'habit national, la couronne angélique sur la tête et l'épée au côté. Après s'être concilié les magnats en acceptant le serment d'André, qui avait été aboli par Léopold (2), elle leur demanda leur protection pour le jeune archiduc; et tous s'écrièrent avec enthousiasme : Moriamur pro rege nostro (1) La France avait alors 180 millions de revenu, dont trente étaient absorbés par l'intérêt de la dette; cent soixante mille soldats et quatre-vingts vaisseaux ou frégates; l'Espagne, soixante-trois mille hommes, cinquante vaisseaux de ligne, et environ 60 millions de revenu, l'intérêt de la dette payé. L'Angleterre avait cent trente vaisseaux de ligne et trente mille hommes de troupes régulières; elle n'avait pas, en temps de paix, plus de 60 millions de revenu; mais elle pouvait l'augmenter de beaucoup en cas de guerre. La Hollande comptait quarante bâtiments de guerre, trente mille soldats, et 36 millions de revenu; la Russie, cent soixante-dix mille hommes, quarante bâtiments de guerre, 45 millions de revenu. L'Autriche n'avait pas cent mille hommes effectifs: son revenu était de 60 millions; mais elle avait beaucoup de dettes. (2) Voltaire se trompe en disant qu'elle accepta aussi l'art. 31, qui autorise l'insurrection. 1711-1749. Maria-Theresa! Tout ce qui pouvait porter les armes devint soldat, une infanterie s'organisa; jamais tant de provisions n'étaient sorties de la fertile Hongrie, jamais on n'avait perçu par la violence autant de tributs qu'en procurait en ce moment un élan spontané; mais l'excès du zèlealla jusqu'à la cruauté. François de Trenck, né en Calabre, avait été élevé parmi Trenck. les Croates; et le courage qu'il avait acquis parmi cette nation sauvage s'alliait à l'avarice et au mépris de l'humanité. D'une haute stature, d'une vigueur extrême, il faisait sauter les têtes avec une grande agilité. Il s'exprimait fort bien, et en sept langues différentes; toujours à l'avant-garde, il pillait tant qu'il le pouvait, et envoyait son butin dans les châteaux qu'il avait en Hongrie. Des bandits esclavons avaient été formés en corps de Pandours, pour faire une guerre continuelle aux Turcs et protéger l'Esclavonie; mais ils rançonnaient le pays. Si l'Autriche envoyait des troupes pour les réprimer, ils les battaient, et se réfugiaient dans des forêts impénétrables. Si un village les trahissait, il était rasé ; s'ils se trouvaient repoussés, ils se succédaient les uns aux autres jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à se venger. Trenck leur fit la guerre à la manière des loups, sans leur laisser de repos, les tuant un à un, et ne se piquant nullement de loyauté à leur égard. Ayant fait empaler le père d'un haroum-bacha (c'est ainsi que les Pandours nommaient leurs sept chefs électifs), il fut reconnu le même soir, pendant qu'il faisait une ronde sur le rivage, par le fils qui l'invita à passer le fleuve et à se battre en duel avec lui; mais, tandis qu'ils préparaient leurs armes, Trenck tira un coup de pistolet à son adversaire, lui coupa la tête, et la cloua à côté du cadavre de son père. , Une autre nuit qu'il se trouvait errant au milieu des bois, il entendit dans une maison le son des instruments. Il y entra, et vit qu'on célébrait les noces d'un haroum-bacha. Tu es notre persécuteur, lui dit-on; mais viens te mettre à table; tu es fatigué; mange, bois; demain nous combattrons. Il s'assit, et, saisissant le moment favorable, il tira un coup de pistolet à chacun de ses deux voisins, et s'enfuit. Il avait presque vaincu entièrement ces peuplades lorsque, la guerre de succession venant à éclater, il obtint de la cour de Vienne l'autorisation de lever un corps franc, en amnistiant tous les bandits qui se présenteraient pour y entrer. Les Pandours se trouvant resserrés entre la Save et la Sar zawa, il leur proposa de prendre du service dans son corps; et ils acceptèrent l'occasion qui se présentait de continuer à piller et à tuer. Tels furent ces Pandours qui, vêtus de rouge et portant de grands anneaux d'argent, renouvelèrent sous la pieuse impératrice les horreurs de la guerre de trente ans (1). Les généraux que Charles VI avait fait jeter en prison après le mauvais succès de la guerre de Turquie furent employés utilement par sa fille. Aidée par l'or de l'Angleterre et de la Hollande, elle envoya le prince Charles de Lorraine, à la tête d'une bonne armée, occuper et dévaster la Bohême; puis, lorsque Prague eut été prise, elle y organisa des courses de chars conduits par des dames, et prit part elle-même à cet exercice (2). Cependant les Espagnols, débarqués en Italie, s'approchaient de la Lombardie par la Toscane. Le roi de Sardaigne, qui en prit ombrage, s'entendit avec Marie-Thérèse pour protéger le Milanais et l'État de Parme. Le cardinal de Fleury, toujours économe, peu convaincu d'ailleurs de la bonté de la cause adoptée, laissait la France en suspens, sans prendre de mesures efficaces. L'empereur Charles VII, prince bienveillant et généreux, l'adversaire le plus décidé de Marie-Thérèse, mais le plus loyal, de son propre aveu, n'avait pas moins de hardiesse que Frédéric; mais le premier fut dénigré, parce qu'il ne réussit pas. Il voyait à regret les ravages que l'ambition attirait sur l'Allemagne; telle était sa pénurie qu'il accepta du duc de la Noailles une traite de quarante mille écus. Ces Prussiens réussirent grâce à l'unité et à la promptitude de leur attaque; mais Frédéric ne se proposait d'autre but que son avantage: aussi fit-il la paix à Berlin avec Marie-Thérèse, moyennant l'acquisition de la haute et de la basse Silésie et de la Moravie, sans s'inquiéter de ses alliés. La guerre continua avec des chances diverses, et les Anglais y prirent part après s'être brouillés avec l'Espagne pour (1) Menzel, chef des Pandours, promulguait cette ordonnance contre la milice de Bavière le 7 janvier 1742 : « Si la milice ose me résister, je ne la reconnais plus pour milice, et je ne la ferai pas punir par les lois de la guerre; mais ceux qui en font partie n'auront à attendre de moi que d'être condamnés à se couper l'un l'autre le nez et les oreilles, puis livrés à la juridiction civile pour être pendus. >>> (2) FANTIN DES ODOARDS, Histoire de France, t. II. les droits de navigation dont nous avons parlé. George Anson, qu'ils avaient expédié au Chili et au Pérou, et l'amiral Vernon, qui se tenait près de l'isthme de Darien avec cinquante vaisseaux de guerre, quinze mille soldats de marine et autant de débarquement, firent un butin immense. On combattait pour la succession d'Autriche dans les deux hémisphères. Nous ne suivrons cependant ni les vicissitudes de la guerre ni les intrigues de cette diplomatie sans dignité que l'on appelait science d'État et qui consistait uniquement en négociations artificieuses, attendu que personne n'avait un intérêt immédiat à anéantir l'Autriche. Marie-Thérèse avait sur le cœur les cessions qu'elle avait été obligée de faire à Frédéric, et elle se ménageait des alliés pour les ressaisir. Elle fit à cet effet de larges concessions au roi de Sardaigne; mais, en retour, elle aspirait à la possession de Naples. Lobkowitz, qui fut envoyé pour envahir le royaume, dévasta les États pontificaux, que ne préserva pas leur neutralité, et fit sur le territoire de Velletri une de ces guerres qui ruinent un pays sans rien décider. La France, qui jusqu'alors n'était intervenue que comme alliée, déclara la guerre à Marie-Thérèse sous prétexte d'écrits incendiaires répandus par ses ministres. Frédéric II affectait d'être indigné de l'obstination de la fille de Charles VI contre l'empereur légitimement élu et de ce qu'elle voulait non-seulement le pousser à l'abdication, mais le priver même de ses possessions héréditaires : alléguant donc qu'il était obligé de le défendre comme son seigneur suzerain et de soutenir le vote qu'il lui avait donné comme électeur, il proposa des conditions; les voyant rejetées, il s'allia avec la France et avec les États de l'Empire. La reine de Hongrie opposa à cette ligue, dite union de Francfort, la quadruple alliance du roi de Pologne, de l'électeur de Saxe, de la Grande-Bretagne et de la Hollande, et se prépara à poursuivre une guerre que toute l'Europe déplorait. L'armée française était commandée par l'un des plus grands capitaines de ce siècle, le maréchal de Saxe, qui battit les Autrichiens à Fontenoy et à Rocoux. Une armée pragmatique, expédiée par l'Angleterre, qui spéculait sur les fléaux, pénétra en Allemagne par le Hanovre; son marteau d'or ouvrit les portes de fer des Saxons; la Hollande suivit l'Angleterre, comme la chaloupe suit un vaisseau de ligne (1); et le pays fut ruiné, tandis que (1) Toutes expressions de Frédéric II. 1744. les Espagnols et les Français faisaient en Italie de belles et inutiles expéditions. 1746. Afin de chasser Lobkowitz des légations qu'il dévastait, Gages marcha contre lui avec les Espagnols, et s'unit à l'armée que la France et l'Espagne envoyaient au secours de Gênes. Cette république avait déclaré la guerre au roi de Sardaigne pour le marquisat de Finale, que lui avait vendu Charles VI et que Marie-Thérèse venait de donner à Charles-Emmanuel, sous le prétexte qu'il en avait besoin pour se mettre en correspondance avec les puissances maritimes. Mais soixante-dix mille ennemis, réunis contre ce prince, prirent Tortone, Plaisance, Pavie, Asti, Alexandrie, Casal, le battirent à Bassignana, et don 1746. décembre. Philippe entra dans Milan. Charles-Emmanuel, ayant réparé ses pertes pendant les négociations qui furent entamées, battit les Français, et les contraignit de repasser les Alpes; il occupa Savone et Finale. Gênes épouvantée ouvrit ses portes aux Autrichiens, commandés par le marquis Antoniello Botta Adorno. L'Angleterre aspirait à se venger du mal que lui avaient fait tes Français en soutenant le prétendant en Écosse, et les Autrichiens, pour la seconder, s'étaient avancés vers la Provence, lorsque leur brutale conduite à Gênes irrita contre eux la mul * décembre. titude : le peuple se souleva et les chassa après en avoir massacré un grand nombre (1). 1748. Charles VII, retiré à Francfort dans l'espoir de vivre en paix dans cette ville où il avait reçu cette couronne qui lui avait attiré tant de maux, y termina ses jours. Son fils se réconcilia avec Marie-Thérèse, qui lui restitua ses États à la condition qu'il donnerait son suffrage à François de Lorraine, et reconnaîtrait le vote électif de la Bohême. Ce dernier fut élu empereur en présence de l'armée autrichienne. L'histoire a peine à suivre ici tous les détours de la politique européenne. L'Angleterre et les états généraux de Hollande, se plaignant que l'Autriche agissait peu dans une guerre qui n'avait été entreprise que pour elle, menacèrent de traiter à part avec la France. Marie-Thérèse, avec cette obstination que le succès seul justifie, refusa tout arrangement. Elle déclara que sa conscience lui défendait de rien céder de l'héritage de son fils, dont elle avait juré de maintenir l'intégrité, et elle fit alliance avec la Russie et la Pologne, au détriment du roi de Prusse. En effet, la Russie, qui pour la première fois prenait une part directe (1) Voyez ci-après, ch. XXVIII. |