Chapelle. 1748. aux événements de l'Europe méridionale, envoya au secours de l'impératrice trente-six mille hommes vers le Rhin. Cette irruption, qui effraya l'Europe, la rendit plus disposée à la paix, qui fut conclue à Aix-la Chapelle. Elle eut pour base la resti- Paix d'Aix-latution des prisonniers et des conquêtes faites tant en Europe que dans les Indes. La France rendit en conséquence à don Philippe d'Espagne les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla. Les nouvelles acquisitions faites par le roi de Sardaigne du Vigevanasco, d'une partie du territoire de Pavie, du comté d'Angera, qu'il avait obtenu de Marie-Thérèse par le traité de Worms en 1743, lui furent confirmées. Le Tessin devint ainsi ligne frontière depuis le lac Majeur jusqu'au Pô. Le marquisat de Finale resta aux Génois, qui, de même que le duc de Modène, furent rétablis dans leurs anciens droits. Ceux qui élevèrent des prétentions sur ces différents territoires adressèrent au congrès des protestations, qu'il enregistra, et dont il s'embarrassa peu. L'Angleterre avait voulu maintenir l'équilibre grâce aux subsides qu'elle payait à la Russie et à l'Autriche. Elle eut ainsi la direction de la guerre, fut l'arbitre de la paix, et persuada au monde que son intervention était une nécessité. On reconnut, d'une part, la pragmatique sanction, de l'autre la succession de la maison de Hanovre au trône d'Angleterre. Le duché de Silésie et le comté de Glatz restèrent à la Prusse, ce qui brisa l'unité germanique en établissant une puissance qui, rivale de l'Autriche et n'ayant pas d'anciennes alliances, devait chercher à s'en procurer de nouvelles en dérangeant tout ce qui existait. Marie-Thérèse, élevée par son père dans la prétention de posséder la monarchie sans partage, la considérait comme un dépôt qu'elle ne pouvait laisser amoindrir. Aussi, bien qu'elle dût tout à l'Angleterre, lorsque l'ambassadeur de cette puissance demanda à lui présenter ses félicitations au sujet de la paix, elle répondit que ce devraient être plutôt des condoléances, et qu'il pouvait en conséquence lui épargner cet entretien. La paix d'Utrecht avait laissé la France grande encore après tant de revers, et lui avait assuré le trône d'Espagne. Celle d'Aix-la-Chapelle, après tant de victoires, ne lui procura d'autre avantage que de recouvrer le cap Breton; et, au lieu d'anéantir l'Autriche, elle la rendit plus puissante que jamais. L'Angleterre prit une haute opinion de ses forces en voyant que la France ne pouvait marcher son égale ni pour les finances ni pour la marine; mais elle ne pouvait rivaliser avec la France pour les armées de terre. Les grands États restèrent convaincus qu'ils pouvaient se faire beaucoup de mal, mais non se détruire. « Depuis que l'art de la guerre rre s'est perfectionné, depuis que la politique a su établir entre les princes un équilibre de puissance, les grandes entreprises produisent rarement les effets qu'on semblerait devoir en attendre. Des forces égales des deux côtés et l'alternative des revers et des succès font qu'à la fin de la guerre la plus acharnée les ennemis se trouvent à peu près dans l'état où ils étaient avant de l'entreprendre. L'épuisement des finances finit par amener cette paix qui devrait être l'œuvre de l'humanité, non de la nécessité (1). » Mais chacun comprit que cette paix ne pouvait être durable, parce que les puissances ennemies, toujours fortes, restaient avec leurs ressentiments. CHAPITRE V. FRÉDÉRIC II. GUERRE DE SEPT ANS. Les événements que nous venons de raconter nous ont fait connaître Frédéric II de Prusse. Mais doué d'une grande mémoire avec peu d'imagination, il ne recherchait guère, à l'exception de la table, les plaisirs du corps : il aimait ceux de l'esprit, et se plaisait aux traits piquants et aux satires. Il aimait ses parents, fort peu sa femme, et peut-être n'eut-il d'amour pour aucune autre. Il eut des amis, et non des favoris, les traitant sur le pied de l'égalité, et sachant se servir d'eux aubesoin. Il faisait profession de détester l'affectation et la feinte; mais, tout en se donnant un air de franchise confiante, il ne se faisait pas faute de dissimuler et de feindre. Les contrariétés domestiques qu'il eut à subir dans sa jeunesse avaient émoussé en lui la bienveillance; aussi avec l'âge mûr, les sentiments doux firent-ils place chez lui à l'acrimonie; et à la fin de sa vie il se tint renfermé et solitaire. Il réussit par force de volonté et il paraissait opiniâtre dans ses projets, parce qu'il (1) FRÉDÉRIC II, Histoire de mon temps. les avait longtemps médités. Dans les périls il se montrait grand, actif, riche en ressources; et il semblait puiser dans les fatigues du gouvernement de la vigueur pour les fatigues du corps. Il sut gagner les riches par des titres, les gens de lettres par des faveurs, les consciences par la liberté, les vaincus par le respect, les indigents par des secours. Il toléra la liberté de la presse; et aucun roi ne fut exposé à tant de libelles, aucun ne les laissa tant impunis. Voyant une foule de gens se presser autour d'une affiche satirique dirigée contre lui, il la fit abaisser, afin qu'on pût la lire plus commodément. Nous nous sommes entendus, disait-il; je laisse mon peuple dire ce qu'il veut, et il me laisse faire ce qu'il me plaît. Ce n'était pas tant libéralité de sa part que l'effet de sa confiance dans les baïonnettes. Aussi, comme on lui parlait de quelqu'un qui le haïssait : Combien de baïonnettes a-t-il à sa disposition? répondit-il. Il accueillit à sa cour plusieurs savants français, ainsi que les Italiens Algarotti et Denina. Dans ses entretiens avec eux, il se montrait vif, plein de liberté, caustique surtout en fait d'irréligion, selon la mode d'alors. Sa finesse à apercevoir les défauts et les faiblesses d'autrui n'est pas le trait distinctif d'une bonne nature, non plus que les plaisanteries qu'il décochait à ses familiers, plaisanteries d'autant plus sanglantes qu'elles venaient de plus haut. Dans son sanctuaire de Postdam, le nouveau Julien se riait de Dieu, des rois et même des philosophes. Son père se servait du bâton, et lui de l'épigramme, dont les atteintes sont bien plus cruelles, et il ne cessait d'en lancer contre les petits princes allemands, criblés de dettes et pleins de vanité, contre la bigoterie de Marie-Thérèse, les appas de madame de Pompadour, les prétentions poétiques du cardinal de Bernis, les galanteries de Catherine II et l'intolérance de Voltaire. Son éducation avait été fort négligée; il ne connaissait que le français, et encore l'écrivait-il imparfaitement : aussi ses secrétaires avaient continuellement à corriger ses solécismes et à rajuster ses rimes. Voltaire se moquait de lui comme poëte; mais il est compté parmi les bons historiens, parce qu'il traita d'une matière qu'il connaissait bien. Il se conforma à la mode du temps en écrivant les Mémoires de la maison de Brandebourg: le style en est lourd, les réflexions y manquent de profondeur et les tableaux de vivacité; mais les causes y sont bien indiquées, les faits bien exposés, et la politique y est traitée par un praticien consommé. Si l'on ne trouve pas dans l'Histoire de mes camapgnes la simplicité vigoureuse et originale de César, Frédéric y montre le génie de la tactique moderne et une rare abnégation lorsqu'il fait sa propre critique. Dans l'Histoire de mon temps, on trouve le philosophe qui s'étend avec complaisance sur les progrès du déisme en France. : On est redevable à Frédéric de l'introduction du langage vulgaire dans la jurisprudence, où il est si important que le peuple puisse comprendre ce qui le touche de si près. Il est vrai que, dédaignant lui-même la langue nationale, il ne cultiva que le français, et qu'il s'exprime, dans son livre La littérature allemande, ses défauts, leurs causes et les moyens de les corriger, comme on aurait pu le faire un demi-siècle auparavant. On l'accusa du crime de lèse-patrie; mais les bonnes maximes répandues dans l'ouvrage portèrent fruit, et l'on évita les défauts qu'il signalait. Quoique despote et manquant de sympathie pour le peuple, il fut généralement aimé, et les philosophes le proclamèrent un Antonin; les Allemands retrouvaient dans ses manières négligées et dans sa valeur le type de leur nationalité, bien que lui-même ne la comprît guère en réalité et n'y songeât nullement. Ses ennemis furent contraints de l'estimer, et son souvenir fut exploité utilement dans la guerre contre Napoléon pour réveiller la valeur prussienne, comme on invoque aujourd'hui parmi les Français celui de Napoléon (1). Frédéric ne laissa exercer aucun arbitraire ni aux gens de justice ni même à ses ministres : il s'en réservait le monopole à lui seul, et souvent il fit emprisonner des gens par passion personnelle ou par caprice. Il faisait tout par lui-même, et se servait des fonctionnaires comme de simples commis. Il expédiait en personne les affaires que partout ailleurs les ministres auraient abandonnées à leurs subalternes. Il était son chambellan, son expéditionnaire, son intendant, et il ne croyait pas que l'unité de vues fût conciliable avec la division du travail. Il ne voulut même jamais d'un conseil d'État, qui pourtant, dans les (1) Indépendamment de ses ouvrages, où se trouve son meilleur portrait, Frédéric est peint admirablement par le prince de Ligne, qui n'allait point à la cour pour s'occuper de l'accueil qu'on lui ferait, de ce qu'il y dirait, de l'habit de cérémonie à y porter, mais qui s'y trouvait à sa place, sans prétendre à se faire distinguer, et sans craindre d'y demeurer inaperçu. Voy. aussi CAMPBELL, Frédéric le Grand et son époque; Londres, 1842. monarchies absolues, est un moyen de conserver et de transmettre la pratique du gouvernement. Les talents et la probité étaient inutiles pour le servir; il suffisait d'être une machine docile à l'impulsion qu'il donnait. Comme c'était assez pour être ministre que de savoir écrire, l'activité intellectuelle ne reçut de ce côté aucune excitation, et tout se réduisit à des formes minutieuses. Il avait coutume de dire : Ne remettons rien au lendemain; en conséquence, il laisait chaque matin une masse de lettres, indiquait les réponses à faire, les signait et les faisait expédier. La journée était employée à reviser les comptes, et à passer sa garde en revue avec l'attention minutieuse d'un sergent. Mais, tandis que les autres puissances s'obéraient, il faisait prospérer les finances par l'économie, quoique le système de confier les douanes à des étrangers et de faire du tabac et du café l'objet d'un monopole fût extrêmement onéreux au peuple. Apportant en tout la plus grande épargne, il rétribuait pauvrement ses ambassadeurs, s'habillait lui-même mesquinement, faisait vendre le gibier de ses domaines, et, tout en aimant la table, ne dépensait pas pour sa maison plus de 50,000 francs par an. Si cependant la parcimonie de son prédécesseur et la sienne empêchèrent la Prusse d'être dotée des grands établissements admirés dans les autres pays, Frédéric fonda l'Académie des sciences et beaux-arts; il acheta le musée d'antiquités du cardinal de Polignac, et créa un théâtre pour l'opéra, dont il faisait toutes les dépenses et où il invitait qui lui plaisait. La simplicité de ses manières empêcha ses sujets d'imiter le faste ruineux de la cour de Louis XIV; et, à son exemple, les princes d'Allemagne rabattirent de leur morgue, et cessèrent de ruiner leurs finances par un luxe insensé, par les orgueilleuses puérilités du cérémonial (1). (1) Parmi ces princes d'un faste désordonné, nous citerons Charles-Eugène de Wurtemberg, qui tenait la cour d'un souverain de premier ordre, avec trois ou quatre cents chevaux des plus beaux dans ses écuries, grand maréchal, grand écuyer, grand veneur, grand échanson; une foule de chambellans et de gentilshommes; des gardes magnifiques, des courriers, des laquais, des chasseurs chargés d'or; une salle d'opéra contenant quatre mille spectateurs, et l'un des meilleurs orchestres de l'Europe, dirigé par le célèbre compositeur italien Nicolas Jomelli. Tout ce qui paraissait de plus habiles chanteurs était engagé pour Stuttgard, et l'on ne regardait pas à la dépense pour les décorations. On y vit figurer dans un ballet soixante danseuses des plus distinguées, élèves de Noverre, qui composa pour ce théâtre les ballets intitulés |