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La Prusse, n'ayant point les assemblées d'États qui existaien dans tout le reste de l'Allemagne, était une véritable autocratie, et l'unité de gouvernement suppléait à la disparité de tant de pays. Néanmoins, la monarchie y avait certaines restrictions d'usage, et l'administration s'y trouvait soustraite à l'arbitraire au moyen des colléges qui la dirigeaient. Frédéric ne pouvait que consolider la tyrannie, lui qui voyait la force non dans la constitution et dans la propriété, mais dans l'armée et le trésor. Ainsi l'état militaire demeura tout à fait séparé du civil, et la faiblesse de la constitution intérieure se cacha sous les apparences de la force publique. Se sentant capable de rendre son peuple grand, il ne songea pas aux institutions, il ne pensa qu'à lui seul et aux moyens qui, dans des mains despotiques, sont les plus prompts et les plus efficaces. C'étaient là des idées qui tenaient à son temps, comme la manie de se mêler de tout. Aussi les règlements sur le commerce, sur les manufactures, sur l'agriculture se succédaient-ils rapidement. Mais, en voulant être philosophe, il ne sut pas se mettre audessus de certains préjugés, et il maintint rigoureusement dans ses armées la distinction entre les nobles et les roturiers. Il accordait difficilement des passe-ports, et fixait à ceux qui en obtenaient la dépense qu'ils devaient faire durant leur voyage, comme le temps qu'ils y devaient employer. Il s'entendait peu au commerce, et il anéantit les sociétés marchandes en voulant les protéger; il concéda des priviléges, et, qui plus est, il altéra les monnaies.

Il se fit dans ce prince un changement étonnant; ce fut de prendre du goût pour les armes, qu'il avait d'abord détestées ; si bien qu'après avoir grandi au milieu des livres il devint le véritable fondateur du nouvel art militaire. Il y avait eu avant lui de grands généraux, comme Gustave-Adolphe, Condé, Turenne, Montecuculli, Eugène; mais ils agissaient parleur propre inspiration, et non d'après des règles, et tout restait subordonné à la valeur et aux forces matérielles. Louvois avait fait des armées une partie régulière de l'administration et formé des magasins pour subvenir aux besoins des soldats, qui auparavant vivaient à discrétion dans le pays. Gustave-Adolphe avait introduit l'usage de l'artillerie légère; puis les arquebuses avaient été perfectionnées, les baïonnettes substituées aux piques, les compagnies formées sur trois rangs. Frédéric le Grand introduisit dans l'infanterie l'accord de toutes les parties, accord qui en facillite les manœuvres et les rend uniformes.

les amours de Henri IV, Médée et Jason et les Danaïdes, dont la première représentation effraya tellement les spectateurs que beaucoup d'entre eux prirent la fuite. Vestris, le dieu de la danse, y dansait pendant les trois mois de congé que lui donnait l'Opéra de Paris. Charles-Eugène dépensait énormément dans ses voyages; il éleva des édifices, acheta des livres, des gravures, des statues, et fonda l'Académie des beaux-arts. Il voulait en même temps avoir une armée nombreuse, et il y dépensait chaque année un million et demi de florins. Il fournit six mille hommes à la France, et fit la guerre au roi de Prusse avec une armée de dix-huit mille.

Frédéric fit de la Prusse une monarchie militaire avec deux cent mille soldats, presque tous indigènes, divisés en régiments de campagne, régiments de garnison et bataillons francs. Il y avait chaque jour exercice, e tchaque année plusieurs camps; les parades étaient fréquentes, les approvisionnements d'armes considérables, l'artillerie nombreuse. Il supprima l'usage absurde de faire avancer les officiers par rang d'ancienneté. Il maintenait une discipline extrêmement rigide; et un feld-maréchal qui aurait eu une cuiller d'argent aurait été puni sévèrement. Grâce à lui, des soldats sans enthousiasme de patrie ni de religion devinrent des héros à l'aide du bâton et de l'exercice.

Ses premières expéditions ne promettaient pas un grand gé-néral; mais la bataille de Hohenfriendberg fit pressentir à l'Europe le génie de celui qui allait être l'inventeur de la guerre moderne. Il la soumit aux conceptions de l'esprit; car il en calcula tous les éléments, et la réduisit à l'état de science mixte. Également supérieur dans la stratégie, dans la tactique, quoiqu'il excellåt surtout dans la seconde, où il ne laissa à Napoléon rien à ajouter, il les combina ensemble. Au lieu de ces masses que l'on croyait nécessaires pour résister au choc de la cavalerie, et qui offraient au canon un plus vaste champ de carnage, il réduisit constamment les bataillons à trois files: il put ainsi déployer un front double et triple, ménager aux parties des mouvements plus rapides, et coordonner en conséquence les marches de manière à avoir la supériorité numérique sur les points où il voulait porter des coups décisifs. C'est à lui que revient l'honneur d'avoir introduit pour règle, chez les modernes, l'ordre oblique, qui consiste à ne pas pousser parallèlement tout le front de bataille, mais à concentrer l'effort principal contre un seul point. Il communiqua au soldat l'instinct de la stratégie accélérée, qui triple le nombre, ne se laissant pas en cela arrêter par des scrupules de morale, violant les territoires, attaquant des États

inoffensifs, et comptant sur la victoire pour lui donner raison. Par un bonheur particulier, il eut dans son frère Henri un excellent exécuteur de ses desseins, sur la fidélité et l'activité duquel il pouvait se reposer sûrement lorsqu'il se trouvait appelé ailleurs.

Il y avait eu aussi en France une réforme dans la milice. On enrôlait auparavant chaque année de dix-huit à vingt mille hommes, l'écume du peuple, moyennant une dépense de trois millions. Mais comme les engagements volontaires faisaient défaut en temps de guerre, on y suppléait par des moyens violents. Pâris-Duverney avait songé à une levée, à laquelle on eut en effet recours en 1726, au moyen d'une conscription de soixante mille hommes, divisés en cent bataillons.

L'Autriche avait, à la mort de Léopold, soixante-quatre mille soldats, répartis en vingt-neuf régiments d'infanterie, huit de cuirassiers, six de dragons, deux de chevau-légers, trois de hussards. Chaque régiment de cavalerie était composé de cinq escadrons, divisés en deux compagnies de cent hommes. Ce nombre alla toujours en augmentant jusqu'en 1735, où l'armée était de cent cinquante mille hommes; elle s'éleva en 1745 jusqu'à deux cent soixante-dix mille, et en 1788 à trois cent soixantequatre mille. La conscription fut introduite, en Autriche vers 1769, à l'exemple de la Prusse, quoiqu'on accordât à beaucoup de soldats la faculté de rester chez eux dix mois de l'année avec une paye de dix florins par an. Le maréchal Daun amena l'usage de faire manœuvrer tous les régiments de la même manière.

Toutes les puissances étaient donc prêtes pour une collision nouvelle, et l'on voyait qu'elle ne pouvait tarder longtemps à éclater.

Les différends relatifs au commerce entre l'Amérique, l'Espagne et l'Angleterre avaient été assoupis, mais non vidés par le traité d'Aix-la-Chapelle. L'Angleterre, charmée d'avoir ruiné, au cap Finistère, la marine française, la voyait avec jalousie réparer ses pertes à grands frais, et construire en dix ans cent onze vaisseaux de ligne, cinquante-quatre frégates et le reste en proportion; elle chercha en conséquence l'occasion d'une rupture. L'île de Tabago, la plus orientale des Antilles, avait été primitivement occupée par des Courlandais, puis par les frères zélandais Lambsten, sous la protection de la France, jusqu'au moment où le maréchal d'Estrées la réduisit en désert. Les Français, ayant prétendu la posséder en 1748, éprouvèrent de l'opposition de la part des Anglais, qui continuèrent à inquiéter les contrées septentrionales de l'Amérique. Ils élevaient particulièrement des difficultés pour les confins de l'Acadie ou Nouvelle-Écosse, ainsi que pour la souveraineté des deux rives de l'Ohio, qu'ils prétendaient appartenir à la Virginie, tandis que les Français les rattachaient à la Louisiane. D'autres causes de litige naissaient de ce que les deux peuples embrassaient des partis opposés dans les querelles sanglantes des rois de l'Inde orientale.

Après avoir débattu quelque temps leurs prétentions, les Anglais, qui attendaient impatiemment l'occasion d'une rupture, commencèrent les hostilités sans déclaration de guerre, prirent les vaisseaux de guerre ennemis, et coururent sus, en vrais pirates, aux bâtiments marchands dans les parages de l'Amérique.

Ainsi la guerre éclata pour des possessions lointaines. La France s'efforçait de ne pas la rendre européenne, sentant qu'elle ne pourrait causer qu'un faible dommage à la GrandeBretagne : elle ne put toutefois résister à la tentation d'occuper le Hanovre, objet de la prédilection de George II, qui se mit alors en quête d'alliés, et il trouva pour auxiliaires l'impératrice de Russie, le landgrave de Hesse-Cassel, le duc de Saxe-Gotha et le comte de Schauenbourg-Lippe.

Marie-Thérèse était redevable à l'Angleterre de s'être tirée heureusement de la guerre de succession autrichienne; mais la gratitude lui pesait, car elle se trouvait offensée du ton que cette puissance prenait avec elle et de l'étalage qu'elle faisait, dans les journaux et dans le parlement, de la protection que le dernier rejeton des Habsbourg avait obtenue du lion britannique. Elle ne voulut donc pas prendre parti pour l'Angleterre, et, ayant garni de troupes ses frontières, elle ne s'opposa pas, en qualité d'impératrice, à l'invasion du Hanovre par des étrangers. Elle n'envoya pas même de forces dans les Pays-Bas, aux termes des traités, ce qui aurait empêché la Hollande de prendre les armes.

Le système européen se trouvait donc bouleversé, et l'on était à observer de quel côté se jetterait la Prusse de Frédéric II, puissance nouvelle qui n'avait pas d'alliances traditionnelles. Français par le langage, par ses lectures, par ses sentiments, il ne pouvait avoir de motifs de querelles avec ce royaume, auquel l'unissait une haine commune contre l'Autriche. Mais, se

T. XVII.

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1756.

fiant peu à la politique féminine de Versailles, il se jeta tout à coup du côté de l'Angleterre. C'était un coup de maître de sa part, en ce qu'il lui donnait un rôle prépondérant dans l'Empire, en s'engageant à n'y pas souffrir la présence des étrangers. L'alliance du roi philosophe, qui assurait le Hanovre à l'Angleterre, qui d'ailleurs ne portait point d'ombrage et plaisait même par ses étrangetés, y fut accueillie avec un enthousiasme populaire, et la sympathie cimenta une alliance qui n'était pas fondée sur la nature.

Mais Frédéric s'était aliéné quatre femmes par ses épigrammes, et ses facéties firent couler des torrents de sang. Marie-Thérèse, qui tenait avec une extrême opiniâtreté aux possessions de ses aïeux, considérait la Silésie comme lui ayant été arrachée. Ses nobles qualités n'empêchaient pas chez elle la soif de la vengeancé. La dévotion lui faisait voir dans son ennemi l'ennemi de Dieu, qui insultait aux choses saintes, et installait dans la Silésie la religion protestante. Qu'importait, en pareil cas, que le sang ruisselât de la mer Blanche au golfe de Biscaye?

Depuis plus de deux siècles, l'inimitié avec l'Autriche constituait l'histoire extérieure de la France; c'était depuis Henri IV surtout le but continuel de sa politique, au point qu'elle lui subordonna tous ses intérêts et même ceux de la religion. De longues guerres et des trêves hypocrites avaient agité le monde, uniquement parce que l'on croyait que la destruction de cette maison impériale importait à l'Europe. L'Autriche cependant avait cessé d'être menaçante, et paraissait nécessaire pour contenir la Prusse et l'Angleterre. C'est ce que désirait le cardinal de Bernis, ainsi que le prince de Kaunitz, qui dirigeait les conseils de Marie-Thérèse; et cette souveraine elle-même, la plus austère des mères, la plus orgueilleuse des princesses, écrivit à la concubine en titre de Louis XV, en lui donnant le titre de cousine. On conçoit combien la vanité de madame de Pompadour en fut flattée. Bientôt, du fond de ce boudoir où les marquis et les abbés étaient admis à l'honneur d'assister à sa toilette, se répandirent des maximes nouvelles. Quel motif la France et l'Autriche avaient-elles de se considérer comme des ennemies naturelles? Elles n'avaient que trop ensanglanté l'Europe depuis trois siècles, et toujours à l'avantage des puissances inférieures : dans la guerre de trente ans pour agrandir la Suède, dans celle de la grande alliance pour créer la Savoie, et tout récemment

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