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pour consolider la maison de Brandebourg. Elles devaient done s'unir désormais contre l'ennemi commun, et l'anéantir, non plus pour repaître l'avidité d'autrui, mais pour s'agrandir ellesmêmes.

Il s'agissait donc au fond, pour ces deux puissances, de détruire la Prusse et de dominer à elles deux sur l'Europe. L'Autriche seule avait à y gagner; mais il n'en pouvait résulter aucun avantage pour la France, qui, après avoir tant fait pour créer la Prusse, après avoir offert constamment son appui aux petits États d'Allemagne contre les usurpations de l'Autriche, venait déclarer ses intérêts solidaires de ceux de l'impératrice, s'allier avec celle dont elle avait voulu la ruine, et s'engager dans une guerre sanglante, non-seulement étrangère, mais contraire à ses propres intérêts ainsi qu'à l'opinion publique. Ce traité fut véritablement le chef-d'œuvre de la politique autrichienne et le dernier terme de l'aveuglement français.

Tout se prépara alors pour donner à la guerre, qui déjà se faisait sourdement, toute sa terrible importance. Les Français, commandés par le maréchal de Richelieu, se rendirent maîtres, par d'admirables coups de main, de la citadelle de Minorque, de Port-Mahon et du fort Saint-Philippe, qui était considéré après Gibraltar comme la plus inexpugnable des places fortes (1), en même temps qu'ils s'emparaient de plusieurs villes dans le Canada.

L'électeur de Saxe s'était déclaré contre la Prusse, à l'instigation de sa femme, que Frédéric avait offensée. Il était gouverné par le comte de Brühl, qui cumulait autant de titres et de charges qu'il avait pu en réunir. Il avait formé la collection de tableaux la plus riche après celle de Mazarin, et fit abattre une partie des fortifications de Dresde pour agrandir ses jardins. Il prodiguait l'argent en fêtes, en bals, en théâtres, et punissait comme criminels de haute trahison ceux qui parlaient mal de lui. Il laissa à sa mort douze millions nets, tandis que la Saxe périssait de misère.

Ce pays devint le champ clos où l'on se disputa la possession du Canada. Frédéric surprit Dresde; la reine de Pologne, fille d'un empereur, belle-mère du dauphin, s'assit sur le coffre

(1) Les philosophes, avec qui Richelieu avait des liaisons d'amitié, exagérèrent la gloire de ces faits d'armes. Louis XV lui demanda, à son retour: Comment avez-vous trouvé les figues de Minorque?

où elle avait caché la correspondance de son mari; mais ce fut en vain : les papiers furent expédiés à Frédéric, qui les fit publier, et montra ainsi à l'Europe que, agresseur en apparence, il n'avait fait que se défendre d'une vaste trame ourdie par l'Autriche et la Russie non-seulement pour lui reprendre la Silésie, mais encore pour détruire la monarchie prussienne; qu'il n'avait, en conséquence, attaqué que pour prévenir une attaque (1).

Après avoir occupé la Saxe, il la considéra comme sa pourvoyeuse, et y leva sans ménagement des soldats et des impôts. Aussi a-t-on calculé qu'elle y perdit quatre-vingt-dix mille âmes et soixante-dix millions de rixdalers en contributions et fournitures à l'ennemi.

Frédéric apparut alors comme un pouvoir très-menaçant : l'Empire, qui pourtant n'avait rien à craindre de lui, fut amené par l'Autriche à lui déclarer la guerre. Ce prince fut cité à comparaître devant la diète, et l'on enjoignit à tous les nobles d'abandonner son service. La Suède prit aussi parti contre lui. Élisabeth de Russie frémissait en songeant qu'un mot d'elle enverrait à la mort des milliers de ses sujets; mais on lui répéta les paroles piquantes lancées contre elle par Frédéric, et elle signa, les larmes aux yeux, le traité d'alliance par lequel elle se détachait de l'Angleterre pour s'unir aux ennemis de la Prusse (.).

Jamais il nes'était formé une ligue plus redoutable. La France, l'Autriche, la Russie, la Saxe, la Suède, la confédération germanique devaient assaillir de différents côtés les États de Frédéric. Déjà l'on se partageait ses dépouilles : l'Autriche aurait

(1) L'histoire de la guerre de sept ans a été écrite, indépendamment de Frédéric II, par ARCHENHOLTZ, REZOW, RHEDSEN, etc. Pour les temps qui la suivirent, voyez: MANSO, Gesch. des Pruss. Staates. CHARLES-GUILLAUME FERDINAND, Denkwürdigkeiten meiner zeit.

(2) L'accession d'Élisabeth à l'alliance de Versailles fut apportée à Versailles par le chevalier d'Éon, l'une des extravagances frivoles du temps. Après avoir étudié en droit à Paris, il fut envoyé comine espion à SaintPétersbourg, habillé en femme. Il y fut admis au nombre des demoiselles d'honneur de l'impératrice, et coucha six mois avec la princesse de Daschkoff sans trahir son sexe. Limpératrice se servit de lui dans des missions diplomatiques; il devint secrétaire d'ambassade, servit dans la guerre de sept ans, et alterna tellement entre le rôle d'homme et celui de femme que l'on resta en doute sur son véritable sexe. Il était né à Tonnerre le 4 octobre 1728; il mourut à Londres le 24 mai 1810.

la Silésie; la France, une partie des Pays-Bas; la czarine, la Prusse orientale; Auguste de Saxe, Magdebourg; les Suédois, une partie de la Poméranie. A peine s'il avait deux cent mille hommes à opposer à un demi-million de soldats; puis il avait mécontenté chez lui les catholiques. Il n'avait point, comme Venise, des lagunes où se renfermer, ni comme la Suisse des défilés où il pût se défendre; tout était ouvert pour arriver à lui: que pouvait-il opposer au danger? Son génie et l'enthousiasme des peuples. Il n'avait point de dette publique, point de colonies éloignées à protéger, point d'alliés à satisfaire ni de ménagements à employer, point d'intrigues de maîtresses ni d'opposition de parlements ou de ministres; son trésor était riche, son armée supérieure à toute autre pour la discipline; sa volonté était la loi suprême. C'est là ce qui lui permit d'offrir ce merveilleux spectacle de la Prusse naissante tenant tête à l'Europe entière.

Les Français allaient, insoucieux et chantant, s'exposer à tous les périls pour exécuter ce qui avait été arrêté dans le boudoir d'une courtisane. Les Russes marchaient poussés à coups de knout; les Autrichiens, fort habiles dans les négociations, ne se tiraient pas aussi bien d'affaire sur le champ de bataille, et se laissaient battre imperturbablement : l'armée de l'Empire était mauvaise et ridicule. Les ennemis de Frédéric attribuaient sa supériorité à son armée composée de soldats aguerris, exécutant de belles manœuvres et tirant cinq coups à la minute. Ils s'appliquaient aussi, en conséquence, à perfectionner ces machines humaines; mais ils ne connaissaient ni la célérité de ses mouvements ni la manière savante dont il disposait les marches pour disséminer ses forces et les réunir rapidement au besoin. Le général autrichien Brown avait de grandes connaissances militaires; mais il était entravé par les égards dus au prince de Lorraine, beau-frère de l'impératrice, qui l'avait investi du commandement, tandis que Frédéric, concevant et exécutant seul, tombait sur l'ennemi à l'improviste.

Pendant que Richelieu occupait le Hanovre, qui eut immensément à souffrir, Frédéric II entra en Bohême. Il remporta à Prague une victoire mémorable, où périrent vingt-quatre mille Autrichiens et dix-huit mille Prussiens, ainsi que les deux généraux ennemis Brown et Schwerin; ce dernier, âgé de soixante-douze ans, avait conseillé à Frédéric de ne pas attaL'Autriche se vit alors à deux doigts de sa perte; mais elle trouva, pour se défendre, la valeur du comte de Daun, qui s'était déjà signalé dans plusieurs guerres ainsi que dans les gouvernements de Naples et de Milan, et qui était renommé pour son habileté à choisir ses positions. Il était secondé par l'Irlandais Lascy, qui avait combattu avec Munich pour la Russie et par le Livonien Laudon, qui, formé aussi à l'école des Russes, et devenu ensuite chef des Pandours, devait à l'habitude de commander des corps de troupes légères une audace et une rapidité extrêmes.

quer.

Frédéric, défait à Kælin, fut obligé d'abandonner le Hanovre et tout le pays entre le Weser et le Rhin aux dévastations des Français, commandés par l'insolent Richelieu. Au milieu de ses expéditions, heureuses ou non, Frédéric faisait encore des vers; et il ne ménagea pas les épigrammes lorsque Clément XIII envoya le chapeau rouge et une riche épée bénite au comte de Daun, vainqueur du roi hérétique. Il ne pouvait donc échapper que par des triomphes au ridicule dont l'Europe l'aurait accablé, en représailles de ses railleries, dès que la fortune aurait cessé de lui sourire. Ses affaires semblaient désesperées, et, croyant tout perdu sans retour, il prit la résolution de se tuer; mais avant de mourir il voulut sauver sa réputation en écrivant à Voltaire, qui était alors l'arbitre de la renommée. Il écrivit la lettre, puis il reprit courage, et attaqua ses ennemis à Rosbach. Avant la bataille il prononça une harangue que la moitié de l'armée pouvait entendre : « Mes amis, dit-il, le sort de tout a ce que nous avons et devons avoir de cher est remis à cette « épée que nous tirons. Je n'ai pas le temps et je ne crois pas « avoir besoin de vous parler longuement. Vous savez qu'il « n'y ani veilles, ni fatigues, ni périls que je n'aie constamment « partagés avec vous jusqu'à présent; et vous me voyez prêt à « périr avec vous et pour vous. Tout ce que je vous demande, « mes amis, c'est de me rendre zèle pour zèle, affection pour << affection. Je n'ajouterai qu'un mot, non comme encourage«ment, mais comme une preuve anticipée de la reconnaissance « que je vous aurai : à partir de ce moment jusqu'à celui où nous « prendrons nos quartiers d'hiver, l'armée touchera double paye. « Allons, comportez-vous en hommes, et n'espérez qu'en Dieu. >>> Il engagea alors la bataille et défit l'ennemi complétement. Cette victoire ne lui coûta que quatre-vingt-onze soldats, tant il y avait chez lui de ressources supérieures quand le péril le pressait. Bientôt après, à Leuthen, il mit en déroute soixante mille Autrichiens avec trente-cinq mille soldats seulement; il fit vingt et un mille prisonniers, prit cent quatre canons et reçut six mille déserteurs. C'était la quatrième bataille rangée qu'il livrait cette année-là

<< Jamais peut-être, dit-il lui-même, dans les annales du monde une seule année n'offrit, sur un théâtre aussi étroit, tant d'événements surprenants, de faits glorieux, de catastrophes inattendues et presque miraculeuses. Le roi de Prusse triomphe d'abord; toutes les forces de l'Autriche sont vaincues, ses espérances détruites. En un moment tout change; l'armée autrichienne a réparé ses pertes, elle est victorieuse : le roi, défait, abattu, abandonné par ses alliés, entouré d'ennemis, se trouve sur le bord du précipice. Aussitôt il se relève; et l'armée combinée de l'Autriche, de la France et de l'Empire est repoussée. Sur un autre point, quarante mille Hanovriens se sont soumis à un nombre double de Français sans pouvoir stipuler autre chose que de ne pas être prisonniers de guerre, et les Français restent maîtres de tout le pays entre le Weser et l'Elbe; mais tout à coup les Hanovriens reprennent les armes, délivrent leur patrie, et en peu de temps les Français ne se croient pas en sûreté sur la rive droite du Rhin. Durant cette campagne, quatre cent mille hommes combattirent; six batailles rangées furent livrées; trois armées furent détruites. Les Français, réduits à la dernière misère, sont défaits sans combattre; les Russes sont vainqueurs, et s'enfuient comme s'ils étaient vaincus; cinq grandes puissances, après s'être liguées pour réduire un État proportionnellement petit, employèrent toutes leurs forces contre lui, et furent vaincues. »

Les victoires de Frédéric excitèrent un véritable enthousiasme en Angleterre. On voyait partout son portrait; il y eut illumination pour l'anniversaire de sa naissance; Pitt lui fit décréter un subside de sept cent mille livres sterling, par an pour recruter des soldats, et, sur la proposition de Frédéric, il mit à la tête de l'armée destinée à défendre l'Allemagne orientale Ferdinand de Brunswick, en qui l'on vit bientôt un des grands généraux de ce siècle.

Les bons Allemands avaient frémi au spectacle des barbaries commises par ces Français couverts de rubans et qui avaient le visage fardé de rouge. Ils comprenaient que, si Frédéric avait péri, c'en était fait des libertés germaniques et du protestan

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