Images de page
PDF
ePub

1731,

Le roi Théodore. 1736.

les minces salaires qui lui étaient attribués. La perception des impôts était une occasion continuelle de violence et de troubles de même que la défense de porter des armes (1); de telle sorte qu'il éclatait une révolte tous les ans.

En 1729 les insurgés corses, ayant mis à leur tête André Cécaldi, gentilhomme de l'île, et Louis Giafferi, patriote intrépide, repoussèrent les Génois, qui firent appel à Charles VI. L'empereur envoya contre les révoltés huit mille soldats commandés par le général Wachtendock et six mille quatre cents sous les ordres du prince de Wurtemberg; mais les Corses en tuèrent mille dans un seul engagement. Charles VI, prenant alors un langage conciliant, les engagea à se confier à la clémence autrichienne, et leur fit espérer l'impunité; mais à peine eurent-ils déposé les armes, sur la promesse de conditions avantageuses, que l'Autriche livra plusieurs de leurs chefs aux Génois; elle publia une nouvelle amnistie et donna au gouvernement une forme plus large, mais tout à fait illusoire en ce qu'elle était sans garanties. Les Corses, résolus désormais à conquérir leur indépendance, relevèrent la tête, et proclamèrent la république sous la protection de la Vierge immaculée, en élisant Giafferi général et primat conjointement avec Hyacinthe Paoli. Les Génois prirent à leur solde des Suisses et des Grisons, et recoururent même à l'ignoble ressource de mettre en liberté des malfaiteurs et des bandits, pour qu'ils prissent les armes contre la Corse; mais ils ne réussirent pas à étouffer l'incendie.

Ici se présente un épisode bizarre de l'histoire de cette île : un noble westphalien, Théodore, baron de Neuhoff, qui s'était jeté dans la carrière des aventures, parut en Corse pour en chercher de nouvelles. Il avait quarante ans, une belle prestance, des manières imposantes. Après s'être mis au service des Stuarts lors de leur tentative de débarquement en Angleterre et avoir secondé Albéroni dans ses intrigues, il avait été employé par Law dans sa banque, où il vit les trésors s'accumuler et se dissiper avec une rapidité magique. Se trouvant à Florence en qualité de résident pour l'empereur Charles VI, il noua des intelligences avec des Corses qu'il avait connus à Gênes lorsqu'il s'y trouvait en prison pour dettes. Après avoir

(1) Les Génois défendirent en 1715 de porter des armes, en déclarant qu'il se commettait annuellement plus de mille assassinats.

demandé en vain des subsides pour la Corse à différentes cours, il obtint de la régence de Tunis un vaisseau, quatre mille fusils et mille sequins, qui, ajoutés à ses brillantes promesses, déterminèrent les Corses à lui confier la direction de leurs affaires. S'intitulant donc « Théodore Ier, par la grâce de la très-sainte Trinité et par l'élection des très-glorieux libérateurs et pères de la patrie, roi de Corse, » il battit monnaie (1), institua l'ordre de la Rédemption et fit à Gênes une guerre hardie. Cependant, lorsqu'il eut dissipé le peu d'argent qu'il possédait et que ses illusions se furent évanouies, il prit le parti d'aller chercher des secours au dehors. Arrêté pour dettes en Hollande, il détermina, par la promesse d'avantages commerciaux, une compagnie de négociants juifs à payer sa rançon et à lui fournir cinq millions, avec lesquels il équipa une flottille et retourna en Corse. Les Génois, se voyant au moment de perdre cette île, traitèrent avec la France, qui, craignant que l'Angleterre ou l'Espagne ne vinssent à s'en emparer, s'entendit avec Vienne, et expédia des troupes pour rétablir la paix. Alors le roi Théodore s'enfuit, et alla mourir dans la misère à Londres, où on lit encore sur son tombeau : La Fortune lui donna un royaume, et lui refusa un morceau de pain.

Les Corses, après avoir longtemps résisté, se virent contraints de se soumettre; mais lorsque les soldats français eurent été rappelés pour combattre dans la guerre de la succession autrichienne, Giafferi et Matra firent révolter l'île de nouveau. Le comte de Rivarola, soutenu par l'Angleterre, expulsa les Génois; et l'indépendance se serait affermie si les Corses eussent su réprimer leurs haines et leurs jalousies. Giafferi, resté seul investi du commandement, parvint à ramener l'ordre; il s'occupait d'organiser le gouvernement, de donner la civilisation au pays quand il fut assassiné, et l'île fut bouleversée de nouveau.

Alors Hyacinthe Paoli, qui s'était réfugié à Naples, envoya en Corse son fils Pascal, qui, proclamé chef par ses compatriotes, dont il mérita la confiance, conduisit heureusement la guerre, en même temps qu'il rétablit les affaires du pays (2).

(1) Les monnaies du roi Théodore étaient recherchées comme un objet de curiosité, à tel point que des pièces de cinq sous furent payées quatre sequins. Elles portaient: THEODORUS REX. - REGO PRO BONO PUBLICO.

(2) Boswell, qui raconte au long l'insurrection corse, rapporte aussi l'invitation adressée à Rousseau par Paoli et dont nous parlerons ailleurs. Déjà le philosophe de Genève avait dit dans le Contrat social : « Il est en Europe

(1737.

1745.1

1753.

1768. 15 mai,

L'étendard de Saint-George ne flottait que sur les forteresses de Bastia, de Saint-Florent, de Calvi, d'Algagliola et d'Ajaccio; des bâtiments corses inquiétaient même continuellement le commerce des Génois. La république ne vit alors d'autre parti à prendre que de céder ses droits à la France; ce qu'elle fit par le traité de Compiègne, sous prétexte de lui engager l'île comme caution des sommes dont elle était débitrice mais en réalité sous la condition de quarante millions pour prix de la cession.

1769.

Ce honteux marché irrita les Corses, qui, animés par Paoli, résolurent de montrer qu'ils étaient des hommes, et non un troupeau de bétail dont ses maîtres pussent trafiquer à leur gré. La première campagne coûta à la France plusieurs milliers de soldats et trente millions; car l'héroïsme et la discipline y combattirent avec une connaissance parfaite des localités. Le duc de Choiseul, alors ministre, s'opiniâtrant à réussir, redoubla d'efforts; et les insulaires, trompés dans l'espoir que les promesses des Anglais leur avaient fait concevoir, finirent par se soumettre. Paoli chercha un refuge en Angleterre; ceux qui se refusèrent accepter le joug se jetèrent dans les montagnes, où ils se livrèrent au brigandage, et pendant vingt ans enlevèrent

à cette possession toute sécurité.

La France paya de beaucoup de sang et de soixante millions l'acquisition d'une île dont les produits sont nuls, mais qui est d'une très-grande importance pour la sûreté des côtes de Provence et du commerce de la Méditerranée.

Ce royaume se trouvait en proie, à l'intérieur, à des souffrances et à des agitations. Sous le ministère du duc de Bourbon, il avait été rendu de nombreuses ordonnances, bonnes ou mauvaises. Il fut défendu de mendier, mais sans qu'on pourvût à l'existence des indigents. Le vol domestique, quelque minime qu'il fût, entraîna la peine de mort ce qui assura l'impunité, attendu que personne ne dénonça plus les coupables. En 1724, le garde des sceaux d'Armenonville promulgua le Code Noir, espèce de législation appliquée au traitement des nègres dans les colonies. Celui que Louis XIV avait promulgué conservait l'atrocité romaine, et l'esclave y était une chose, comme dans les Douze Tables: l'indulgence chrétienne se fit sentir dans le nouveau; mais l'avidité en tira parti pour éluder les restrictions et étendre les concessions.

un peuple capable de législation, le peuple corse. La valeur est la constance avec laquelle il sut recouvrer et défendre sa liberté mériterait que quelque sage lui enseignât à la bien conserver. » La gloire d'être lui-même ce sage flatta un instant le philosophe genevois; mais bientôt il allégua ses malheurs, les persécutions dont il était l'objet et mille autres difficultés. « Mais, ainsi que le remarque Boswell, Paoli avait trop de bon sens pour confier la législation de sa patrie à un étranger qui en ignorait entièrement les habitudes et les inclinations. Je sais que ce général respecte bien plus les coutumes établies que le plus beau système idéal. D'ailleurs il n'aurait pas été possible de faire accepter ce code tout à coup aux Corses; il eût fallu les y préparer peu à peu, et en appuyant une loi sur l'autre former un édifice complet de jurisprudence. Paoli était dans l'intention d'accorder à Rousseau un asile, de profiter de ses talents, et surtout d'employer sa plume à retracer les exploits héroïques des vaillants insulaires. >>>

Louis XIV avait promulgué cinquante et une lois contre les protestants avant de révoquer l'édit de Nantes. Après sa mort beaucoup revinrent, et demandèrent à reprendre leurs assemblées; mais beaucoup de magistrats s'armaient contre eux de l'ancienne intolérance, et prétendaient leur enlever leurs enfants pour les élever dans la foi catholique. Un édit renouvela les rigueurs dont ils étaient l'objet : tout autre culte que le culte catholique fut interdit sous peine des galères pour les hommes, de l'emprisonnement perpétuel pour les femmes et de la confiscation pour tous. Beaucoup d'entre eux émigrèrent, surtout en Suisse; et comme on reconnut à de pareils résultats les inconvénients de la loi, on la laissa tomber dans l'oubli; mais elle attira sur le molinisme de la cour et sur le jansénisme des parlements la haine d'abord, puis le mépris. On voulut plus tard la remettre en vigueur, alors que l'incrédulité publique la rendait encore moins excusable; deux procès fameux vinrentémouvoir le public à cette époque. Un certain Jean Fabre passa sept ans aux galères en place de son père, condamné à subir cette peine pour avoir assisté aux prêches. Jean Calas, accusé d'avoir tué son fils parce qu'il avait du penchant pour le catholicisme, fut condamné à mort, sur des preuves absurdes, par le parlement de Toulouse.

Voltaire se fit l'interprète de l'indignation publique.

Deux mesures financières vinrent s'ajouter à la série de celles qui excitaient la haine sans même inspirer la crainte. La première consistait à lever, pendant douze ans, le cinquantième du produit de toutes les terres, et l'autre obligeait quiconque possédait une concession royale à en obtenir la confirmation du nouveau roi à prix d'argent; ce que l'on appelait joyeux avenement. On se procura ainsi quarante-huit millions, dont la moitié à peine arriva au trésor.

Louis XV était un des plus beaux hommes de son royaume.

1762. 1725.

Il était d'un esprit vif, d'un jugement droit, mais faible et craintif, résultat de son enfance maladive et de son éducation de cour (1). Son intelligence ayant été peu cultivée, il se trouvait mal à l'aise avec les personnes instruites dans un temps où l'instruction était devenue générale; aussi préférait-il s'entourer de jeunes gens. Les exemples de la régence avaient preverti cette génération, et ce fut à peine si l'influence du cardinal ministre empêcha d'afficher le libertinage. Entraîné, dès ses premières années, par la passion de la chasse, le roi y passait toutes ses journées et les terminait par des soupers d'une profusion ruineuse.

On lui fit épouser Marie Leczinska, fille du roi de Pologne détrôné, qui se consolait dans l'infortune à l'aide de la philosophie, qui enseigne à la braver, et de la religion, qui porte même à la bénir. Marie, qui avait grandi au milieu des vertus domestiques, était un ange de bonté. Par sa condescendance, sa douceur, sa vertu et sa fécondité elle conserva l'estime et les égards de son mari; mais elle expia par vingt-deux années de peines l'honneur de porter une couronne (2). Dans les premiers temps de leur union, Louis ne faisait nulle attention aux autres femmes; et lorsqu'on faisait devant lui l'éloge de quelque beauté célèbre ił demandait : Est-elle plus belle que la reine? Les courtisans travallaient cependant à lui donner une maîtresse dans l'espoir de devenir les maîtres par le vice, comme Fleury l'était par la vertu; et ils mirent en œuvre les séductions les plus adroites pour arracher le monarque à ses devoirs. Une fois qu'il eut goûté à cette coupe, il s'y enivra. Ses liaisons successives et presque simultanées avec cinq sœurs de la maison de Nesle scandalisèrent un monde corrompu, et firent mépriser celui qu'on avait déjà cessé d'estimer.

(1) Madame Campan dit dans ses Mémoires : « Il était fort'adroit à faire certaines petites choses futiles, sur lesquelles l'attention ne s'arrête que faute de mieux. Par exemple, il faisait sauter très-bien le haut de la coque d'un œuf d'un seul coup de revers de sa fourchette: aussi en mangeait-il toujours à son grand couvert; et les badauds qui venaient le dimanche y assister retournaient chez eux moins enchantés de la belle figure du roi que de l'adresse avec laquelle il ouvrait les œufs. >>>

(2) L'Abbé Proyart a recueilli plusieurs mots heureux de Marie Leczin ska: Tirer vanité de son rang, c'est avertir qu'on est au-dessous. La miséricorde des rois est de rendre la justice, et la justice des reines c'est d'exercer la miséricorde. Les courtisans nous crient: Donnez-nous sans compter; et le peuple: Comptez ce que nous donnons!

« PrécédentContinuer »