CORRESPONDANCE. A Monsieur le Rédacteur de la Revue du Lyonnais. Monsieur, Lyon le 15 juillet 1838. Un de vos collaborateurs, M C. B. D. L. rapporte dans ses Nouveaux Mélanges, p. 408, que les Grands Capucins de Lyon jouèrent, trois jours de suite, pendant le carnaval de 1757, les Fourberies de Scapin, sur un théâtre dressé dans le fond de leur bibliothèque en présence de leurs confrères du Petit-Foret, et d'un grand nombre de leurs pénitents qu'ils avaient invités à ce spectacle. Pourriez-vous me dire, Monsieur, si c'est à l'occasion de ces représentations que fut composée une chanson dont l'abbé de La Tour cite le couplet suivant, Tom. I. p. 31 de ses Réflexions morales, politiques et littéraires sur le théâtre, édition de 1763: Nous jouons des comédies Dans l'enclos de nos maisons, Et même des tragédies Mieux que Molière et Baron. Que l'on vienne aux ....... (Capucins) Daignez agréer, Monsieur, etc. P. de LAUNO Y. Nous empruntons au journal la Presse la lettre suivante écrite à Alphonse Karr par Méry. Elle se rattache en partie à notre localité, et nous lui devons une place dans notre Revue. Le douloureux événement qu'on va lire fait naître de tristes réflexions. La vie d'un homme, aux yeux d'une administration, est donc comptée pour bien peu, puisqu'elle ne peut arrêter plus de quelques minutes la marche d'un paquebot, et qu'on ne prend pas la peine de la disputer aux flots. Nous sommes partis le vingt juillet, à quatre heures du matin, de Lyon pour Marseille, par le Rhône, ce grand chemin volant qui défie à la course tous les chemins de fer. Notre paquebot était intitulé l'Eclair, et méritait son nom. Cependant l'administration fluviale avait fait tous ses efforts pour compromettre la réputation des Eclairs. Une montagne de ballots de marchandises, destinés à la foire de Beaucaire, couvrait le pont du paquebot ; on avait seulement ménagé deux vallons fort étroits pour la promenade des voyageurs. Il y avait tant de voyageurs, que le plus grand nombre s'est décidé à se faire ballot, et à s'immobiliser comme marchandise vivante sur la crète et sur les flancs de la montagne. De la rive il était fort difficile de distinguer les ballots vivants des ballots morts. Un temps superbe nous arrivait avec le soleil. Le Rhône agile, sans se plaindre d'un fardeau inaccoutumé, emportait le paquebot comme l'épi de l'aire. Les ballots vivants disaient aux morts, nous arriverons à Beaucaire à quatre heures du soir. Le capitaine jetait un regard de satisfaction sur l'abondance de ses colis; on évaluait la recette à dix mille francs. « Nous avons laissé derrière nous Vienne où mourut Pilate, et Valence où fut guéri Jean-Jacques Rousseau. Croyez que ce n'est point une erreur d'imagination; la gaîté des voyageurs s'est éteinte; les visages deviennent inquiets; les chants cessent; on regarde le Rhône avec tristesse; il y a un pressentiment dans l'air on attend quelque chose d'affreux qui va se passer. << Un jeune homme de dix-sept ans, nommé Pierre Gauthier, attaché au service du paquebot l'Eclair, descend l'escalier suspendu pour puiser de l'eau, il glisse sur la dernière marche humide, et tombe sous la formidable roue qui le refoule dans des masses d'écume. Un immense cri d'épouvante retentit sur le pont; puis un grand silence se fait, et tous les regards se portent sur le fleuve. A trente pieds du paquebot, on voit reparaître Pierre Gauthier, nageant d'une seule main; l'autre avait été brisée par la roue. On bat des mains; le malheureux est sauvé; le capitaine a lancé au fleuve le canot de sauvetage avec deux mariniers. En ce moment, l'anxiété des voyageurs est au comble. L'enfant nage toujours, mais il semble épuisé; sa tête se lève avec effort, et retombe sur la vague comme sur un oreiller de repos. On crie de toutes parts aux mariniers, voguez, voguez; plus vite; il est perdu! La petite barque lutte contre le courant; elle n'est plus qu'à six pas de Pierre Gauthier; elle va l'atteindre; tous les bras des voyageurs s'agitent dans cette direction, comme autant de rames auxiliaires; le pauvre enfant fait un suprême effort, pousse un dernier cri et disparaît; sa main convulsive s'élève encore quelques secondes au-dessus de l'eau, pour demander l'aumône d'un dévoûment. Les mariniers se retournent vers le paquebot, les bras croisés, en disant, noyé !... Marchez dit le capitaine, et l'Eclair, immobile pendant cet horrible drame, reprend son vol vers Beaucaire, avec sa force de cinquante chevaux. Les mariniers sont remontés à bord; toutes les marchandises sont à leur place, il n'y a qu'un ballot de moins! « Vous ne sauriez vous imaginer de quelle horreur nous avons été saisis sur ce paquebot, qui traînait à la remorque un cadavre. Tous les visages étaient pâles; il nous semblait que nous étions tous complices de cette mort. Autour de nous se désolaient de généreux et ardents jeunes hommes, qui se seraient courageusement jetés à l'eau s'ils n'eusseut été retenus par l'idée que les deux mariniers, plus habiles et mieux placés, allaient se dévouer pour sauver un malheureux. On accusait hautement le capitaine d'avoir commandé trop tard la manouvre d'arrêt. Celui-ci se justifiait avec chaleur, et je désire que toutes les raisons qu'il a données soient bonnes. Quant aux deux mariniers de la barque, ils n'ont pas donné de raisons! Depuis ce moment, tout a pris devant nous une teinte sombre et sanglante. Par intervalles, nos regards se portaient sur les îles de gravier, où des vautours dévoraieut les cadavres des animaux charriés par le fleuve. Nous pensions à leur festin du lendemain; nous en avions été les pourvoyeurs. Jamais le voyageur ne s'est trouvé dans une meilleure disposition d'esprit pour suivre et feuilleter du regard cet immense album de ruines qui se déroule sur la rive catholique et sur la rive luthérienne du Rhône. On avait assez de tristesse au cœur pour ces squelettes de châteaux-forts, qui, dans ces pays de puissante haine, ont été dévastés par le fer, le feu, les ongles et les dents; on donnait une longue et mélancolique contemplation à cette noire colline de ruines qu'on désigne du nom étrange de Cruas; à la tour de Roquemore restée seule sur son plateau comme une dernière pièce sur un échiquier bouleversé ; aux bastions aëriens qui dominent la montagne des Adrets, comme la couronne féodale de ce terrible baron huguenot; à tant d'autres débris séculaires, qui n'ont gardé ni leurs histoires, ni leurs dates, ni leurs noms, et qui se lèvent, de partout, comme des énigmes de granit, dont le vieux Rhône a gardé le mot. Il fallait voir pourtant de quelle splendeur le soleil couvrait toutes ces funèbres images! Jamais je n'ai vu tant de lumière et de transparence autour du château de Tarascon, teint du sang du moyen-âge et de 93; jamais les portiques arlésiens du cirque de l'empereur Gallus n'ont encadré un azur plus tranquille. C'est le métier du soleil de ce pays de rire à tous ces monuments, à toutes ces œuvres de la mort. MÉRY. EAUX DU RHONE ET DE ROYES. A. Monsieur le Directeur de la Revue du Lyonnais. Nous venons de lire dans la Revue du Lyonnais du mois de juin dernier un article nous concernant, et d'après lequel il semble que ce serait notre faute si le système d'eau par dérivation avait subi un échec. Nous aurions maladroitement soumis au conseil municipal une lettre de M. Boussingault, dans laquelle il est dit que les eaux du Rhône sont plus pures que celles de Royes, Y a-t-il eu erreur de rédaction dans cette lettre, demande l'auteur de l'article? Non, il n'y a a pas eu erreur. Mais cela prouve-t-il que ces eaux soient meilleures? M. Boussingault n'a rien dit de semblable. Il dit au contraire, immédiatement dans la même lettre, que les eaux de Royes sont excellentes et réunissent toutes les qualités d'une eau destinée à l'alimentation d'une grande population. Or peut-il exister une eau meilleure qu'une autre eau qui est excellente? Si l'auteur de l'article avait été obligé comme nous de se faire une opinion sur toutes ces matières, il saurait que l'eau complétement pure n'est pas potable, et qu'il faut dès lors une bien grande autorité de savoir et d'expérience pour venir dire voilà juste le degré de quasi pureté où l'eau est par. faitement bonae. S'il avait examiné toutes les parties du travail d'analyse de M. Boussingault, il aurait vu que l'eau de Royes est deux fois plus aérée que celle du Rhône, conséquemment deux fois plus saine sous ce rapport, l'un des plus importants; qu'elle contient, par exemple, cinq fois plus de gaz acide carbonique, ce qui la rend cinq fois plus digestive; quant aux matières salines qui y sont en si petite quantité qu'il y a peu d'eaux, dit M. Boussingault, qui en soient si peu |