Littérature. MARIEZ-VOUS DONC PAR AMOUR! NOUVELLE. Il fesait une de ces soirées où l'on se revoit avec plus de plaisir que de coutume; où l'on se serre autour du foyer; où l'on entend de ces longs silences qui suivent une histoire. Et tout le monde se taisait; ils étaient là muets et tristes sous l'impression d'un récit plein d'intérêt. Un jeune homme et une jeune femme s'étaient aimés, bien aimés; ils s'étaient mariés malgré leurs parents; leur vie de bonheur avait été courte, hélas! ils étaient pauvres. Après une année de dévouement sublime, de sacrifices réciproques, de soins tendres et affectueux; ils étaient morts tous deux de maladie et de misère! Dieu avait rappelé à lui ces deux anges exilés sur cette terre. Tout le monde s'était donc tû, et l'on entendait au dehors la bise siffler, les girouettes se plaindre, et les doux et méditatifs murmures du foyer. - Hum! fit un grave personnage, le Géronte du cercle, cette sotte histoire m'a tout remué; ...... pourquoi aussi se marier? le bonheur n'est-il pas partout! Le bonheur! le bonheur! dit un jeune homme, il il y a un âge où il ne peut exister que dans la possession de l'objet aimé! Quelle limite fixer à un pareil amour ? De quel droit dire à un homme: tes désirs iront là, jusque là, pas au-delà? Et si son cœur est vierge encore et chaleureux; et si à son existence une autre existence est nécessaire! - Illusions, sentimentalités ! dit un homme vermeil, doué d'une heureuse quasi obésité; eh! nous tous, n'avonsnous donc pas eu nos rêves de jeunesse ! qui de nous n'a pas dit: malheur! malheur! si elle est à un autre! Et pourtant point ou peu de nos jeunes projets se sont réalisés. Et pourtant! nous tous, jeunes hommes, jeunes femmes d'autrefois, nous sommes là, bien calmes, vivant de notre vie paisible et tranquille; mariés, et mariés à d'autres encore! bah! l'amour est un enfantillage; l'amour des romans, une fausseté, un non-sens. - Qu'en pense le docteur? dit une jeune femme en appuyant l'extrémité d'une main blanche et gracieuse sur le bras d'un auditeur muet qu'on eût dit endormi, accoudé dans une vaste causeuse. -Moi! fit celui-ci, relevant vers la jeune femme ses yeux petits et originalement doux, mon avis sur tont cela ? - Oui, docteur. Ma foi, mon avis est que je n'en ai pas. Comment! docteur, vous si analytique, vous si persuadé que la moindre de nos affections physiques a sa cause première dans une affection morale; vous ne pensez pas que l'amour puisse jouer un grand rôle, amener de terribles catastrophes dans une jeune existence ? - Oh! quant à cela, nos tribunaux n'ont que trop souvent à appliquer de sévères et tristes peines à des monomanes de tout âge, frénétiques en amour. Il existe des individus qui sont doués d'une plus grande impressionabilité, d'une plus forte et invincible volonté de possession. J'ai, moi qui vous parle, donné des soins à un pauvre jeune homme qui s'était brulé la cervelle parce que son père refusait de le marier à une sienne et jolie cousine. Une histoire! une histoire ! et chacun des personnages du petit salon se serra plus près du docteur. Eh! mon Dieu! elle n'en vaut pas la peine; et puis le dénouement est si absurde. Justement! dirent les dames, bon docteur, l'histoire! - Allons! fit celui-ci, comme s'il se résignait ....? Ecoutez donc !..... Vous vous souvenez peut-être d'un voyage que j'ai fait, il y a quelques années, aux environs de Bordeaux. J'allais recueillir l'héritage d'un vieil oncle. Un soir, après avoir, tout le jour durant, entassé chiffres sur chiffres; causé terres, baux, loyers; abîmé de fatigues; maudissant les tracasseries, les hommes de loi et leurs lenteurs, et ma foi! presque les héritages, je m'étais couché et déjà profondément endormi. On m'éveille; c'était la vieille gouvernante du défunt, qui, sans me laisser le temps de me lever, faisait entrer dans ma chambre un homme essoufflé ! Vite! vite! notre jeune maître vient de se tuer; il s'est tiré un coup de pistolet dans la tête. En pareil cas j'ai pour habitude de ne jamais faire de questions; c'est temps perdu: aussi sans demander même à quoi un médecin pourrait être bon à un homme qui s'est brulé la cervelle, je me hâtais; en un instant, j'étais prêt, muni de ma trousse, de mon appareil de voyage, et déjà en chemin, guidé par le domestique qui allait à grands pas, sans dire mot. De la maison de mon oncle, alors ma maison à moi, on voyait tout auprès un grand et beau château, un site agréable, de délicieuses eaux, un parc étendu et tenu avec goût; tout annonçait une riche et opulente maison; l'on m'avait dit que cette propriété appartenait à un vieux colonel; il ne lui restait qu'un bras, et quoique jeune alors, on l'avait mis à la retraite dès les premières guerres de l'Empire. C'était là qu'on avait besoin de moi. On me fait monter un escalier, on me pousse dans une chambre à coucher, et là, prés d'un lit, je vois une tête blanche, vénérable, belle, penchée sur une tête sanglante, noire, méconnaissable autrement que par la forme, car pour les traits du visage,..... plus rien ! ...... Je m'approche, et il se fait un profond silence Contre son habitude le cœur me battait fort; j'entendais les pulsations de mes artères; en vérité j'étais profondément ému; mais aussi c'est que tout cela était bien imprévu; et puis, ce vieux père qui me regardait sans pouvoir parler; et puis encore une jeune et bien belle femme à genoux près du lit, étreignant avec désespoir le bras du malheureux étendu là. Oh! je vivrais mille ans que j'aurais toujours là, présente devant les yeux, cette figure si puissante, si admirablement sublime d'expression! la malheureuse!... elle n'avait pas encore pu pleurer! Je devinais tout un drame entre ces trois personnes ... Pauvre jeune homme! pauvre jeune femme! pauvre! pauvre père surtout! ah! qu'il devait souffrir, lui aussi, le vieux soldat! Je n'avais pas mis la centième partie du temps que j'ai pris à vous dire ce tableau, pour me mettre en besogne. Je fis éloigner un peu le père, et fis signe aux gens de la maison d'emmener la jeune demoiselle; il y eut à cet instant une prière si ardente dans son regard que je fus obligé de la laisser là, malgré moi. Enfin après avoir bien palpé, exploré, sondé cette blessure dont l'aspect était si terrible, je pus m'assurer qu'il y avait encore de puissants et abondants symptômes de vie; le pauvre garçon, au lieu de se placer le bout du pistolet dans la bouche, en le dirigeant de bas en haut, vers la région cérébrale, et suivant les vrais principes du suicide; en véritable novice, au lieu d'agir ainsi, il se l'était simplement appliqué entre les deux sourcils, et encore, sans calculer que l'angle formé par le tube et la surface du crâne était obtus; et puis aussi, ajoutez à cela, ce coup parti d'une main peu exercée et un peu émue, sans doute. Enfin, la balle avait glissé en remontant le long du front, elle s'était attachée à cette surface courbe et avait tracé un sillon qui allait s'élargissant jusqu'au sommet du front et assez avant dans le cuir chevelu; la face était noire, brulée, la chair en lambeaux; des grains de poudre en grande quantité avaient été chassés dans la peau, encore entiers et non enflammés; les yeux étaient horriblement gonflés; je les jugeais perdus. Il me fallut un temps assez long pour laver et raser cette tête, et poser enfin un appareil à bandages compliqués sur cette épouvantable blessure. Le suicidé était toujours sans connaissance; j'avais |