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pûmes ensuite marcher jusqu'à Constantine sans qu'ils songeassent à nous inquiéter.

Cette bataille était donc de nature à avoir du retentissement, et à être rapportée dans un bulletin officiel, pour en donner les détails et faire connaître à la France entière l'honneur qui en réjaillissait sur nos armes. Cette publicité était la première et la plus flatteuse récompense due à ceux qui avaient remporté la victoire ! Il n'en fut pourtant dit qu'un mot, comme d'un combat accessoire et secondaire!... ce qui est regrettable, sans doute, quand on voit des affaires moins sérieuses, des succès moins décisifs obtenir les honneurs d'une apologie qui n'est pas toujours exempte d'exagération.

Il ne m'appartient pas de rechercher les causes de ce silence presque absolu sur une affaire aussi importante, et encore moins de blâmer les changements qui furent opérés ensuite dans l'organisation intérieure de l'armée expéditionnaire. Mais on n'est pas moins forcé de dire qu'après le retour au camp des généraux en chef, Maléchard, qui venait d'être porté sur le pavois, descendit subitement de la belle position qu'il s'était acquise; qu'il perdit même l'emploi de commandant supérieur de l'artillerie, avec lequel il avait été envoyé en Afrique; et que le concert d'éloges dont il venait d'être entouré, cessa tout-à-coup de se faire entendre!... Quoiqu'il ne fut pas dans son caractère de conserver long-temps le souvenir de ce qu'on est convenu de nommer l'injustice des hommes, la blessure qu'il reçut en cette circonstances fut cruelle, et lui fit au cœur une profonde impression!

Les divers séjours que, depuis son départ de France, Maléchard avait fait sur plusieurs points de l'Afrique, avaient été beaucoup plus longs que ne semblaient l'exiger les missions qui lui étaient confiées. Mais les retards nombreux ou fréquents des objets de matériel et des employés qu'il devait y trouver, le forcèrent souvent à rester malgré ui dans tel ou tel lieu, et à s'occuper d'affaires militaires qui n'étaient pas précisément de son ressort.

Plus d'une fois il eut le regret de voir que des troupes annoncées n'arrivaient point ou arrivaient tardivement, et que l'on n'était pas suffisamment approvisionné en subsistances; il remarqua surtout, dans l'administration des vivres, qu'en campagne, les moyens ne sont point proportionnés aux besoins; qu'on est fréquemment dans l'obligation d'emprunter, pour les transporter, les voitures et les chevaux de l'artillerie, et que, même avec ce secours, le service n'est pas fait avec l'exactitude et la régularité nécessaires.

A M'jez-Ammar, après avoir pourvu aux besoins et aux devoirs de la défense, Maléchard étudiait le pays en savant. C'est ainsi qu'il visita les eaux thermales d'Hamman-Mescontine, connues aujourd'hui dans la contrée sous le nom de Bains-Maudits. - Ces eaux, qui se trouvent à une demi-lieue de l'endroit où était établi le camp, sont sulfureuses et ferrugineuses; leur température s'élève jusqu'à 76 degrès; elles s'échappent de nombreuses sources, et déposent, sur le sol qu'elles parcourent, des sels calcaires, qui se rencontrent çà et là, en très grand nombre, sous la forme de masses ou de cônes de vingt à vingt-cinq pieds de hauteur, et qui, vus de loin, sont d'un effet non moins curieux que singulier. A peu de distance de ces sources, on aperçoit des ruines, dont quelques parties sont encore assez bien conservées, et qui attestent que du temps de la domination romaine, les eaux dont il s'agit étaient fréquentées.

S. A. R. le duc de Nemours avait fait, le 26 septembre, son entrée au camp, où il était accompagné par les généraux Damrémont, Vallée et de Fleury; un ordre du jour avait annoncé la nouvelle organisation de l'armée. Entr'autres mesures, l'artillerie fut partagée en deux divisions, l'état-major et le grand parc. Par suite de cette disposition, le commandement du parc de siége fut réuni à celui du parc de campagne qui était déjà sous les ordres du chef d'escadron Gellibert; et Maléchard fut placé sans emploi déterminé à l'étatmajor de l'artillerie.

Mais jamais le vrai mérite ne reste méconnu et délaissé; et dans une affaire aussi capitale, aussi périlleuse que celle qui se préparait, Maléchard ne pouvait demeurer long temps à un tel poste. Aussi le verrons-nous remonter rapidement à la position élevée dont il venait de descendre.

Tout était prêt pour marcher sur Constantine. De nouvelles troupes étaient arrivées à M'jez-Ammar immédiatement après le prince; et le 1er octobre, à sept heures du matin, l'on se mit en route.

Le lieutenant général, commandant en chef l'artillerie, était avec son état-major, à la tête de la première colonne. Venait ensuite le chef d'escadron Maléchard qui commandait la première division composée des brigades de Nemours et de Trézel, ainsi que d'une grande partie du parc de siège.

L'autre division, sous les ordres du chef d'escadron Gellibert ne partit que le lendemain.

Jnsqu'au 5, aucun Arabe hostile n'apparut, et l'armée n'eut à vaincre d'autres obstacles que ceux du terrain. Mais ils furent grands, causés qu'ils étaient, tantôt par les pluies dont les chemins étaient tellement détrempés que, même en doublant les attelages, le passage des voitures était de la dernière difficulté, tantôt par des rampes d'une montée si rapide qu'elles exigeaient de grands travaux qui ralentissaient beaucoup la marche. Maléchard fut nécessairement appelé le premier à surmonter de tels obstacles, les seuls qui dussent nous être opposés jusque sous les murs de Constantine.

On suivit la même route qu'en 1836; arrivé sur la montagne de Somha, on aperçut, à trois lieues de distance, la ville de Constantine, le plateau de Coudiat-Ati, avec ses tombeaux, les escarpements du Sidi-Mécid, la redoute tunisienne, et, sur la rive gauche du Boumerzoug, le camp d'Achmet. Alors seulement quelques Arabes commencèrent à se montrer en tirailleurs, qu'il fut facile de tenir à distance, et le lendemain, on était devant Constantine. La première division du Parc, toujours sous les ordres de Maléchard, campa à neuf heures du matin, sur le Mansourah, à droite du marabout de Sidi-Mabrouck. La seconde division ne tarda pas d'arriver, et prit également position.

Les premiers soins des lieutenants généraux d'artillerie et du génie ayant été de faire une reconnaissance pour le placement des batteries, il fut décidé que l'on en établirait trois, nommées batteries Royale, d'Orléans et des Mortiers, sur le plateau de Mansourah, pour éteindre les feux de l'ennemi et détruire ses ouvrages défensifs; et une, nommée batterie de Nemours, sur le revers du Coudiat-Ati, pour faire brèche près de la porte Bab-el-Djedid. La construction et le commandement des trois premières furent confiés au chef d'escadron Maléchard; le chef d'escadron d'Armandy fut chargé de la construction et du commandement de la quatrième.

Dans la nuit du 6 au 7, et malgré les presqu'insurmontables difficultés du terrain, Maléchard poussa les travaux des batteries, dont une entr'autres reposait entièrement sur le roc, avec une si grande activité que, dans la visite qu'ils firent à la pointe du jour, avec le prince, les généraux Danrémont et Vallée s'empressèrent de remarquer, avec éloges, que la construction avait été très avancée en aussi peu de temps et avec tant d'obstacles.

Le lieutenant général d'artillerie, continuant cette reconnaissance avec le lieutenant général du génie, ils examinèrent différents chemins que devaient suivre les pièces de vingt-quatre, choisirent plusieurs positions, ordonnèrent l'établissement de batteries nouvelles, et un ordre du jour prescrivit le commencement du feu, pour le lendemain 8, de grand matin.

Quant à la batterie de brêche, elle ne pouvait être construite que plus tard, par rapport aux chemins à pratiquer et aux immenses difficultés de l'exécution, sur un point entièrement ouvert au feu du rempart.

Comme pour ajouter à tant d'inconvénients et de périls, les travaux de l'artillerie furent, dès le milieu de la journée, contrariés par une pluie battante qui ne devait pas discontinuer pendant toute la durée du siège. Le plateau du Mansourah et les chemins préparés sur des terrains de remblai furent bientôt détrempés et rendus impraticables, l'eau qui tombait par torrents, entraînant ces terrains avec elle. Loin d'arriver au point désigné, les grosses pièces s'embourbaient, s'enfonçaient, ou roulaient même quelquefois dans la profondeur des ravins, d'où l'on ne pouvait les retirer qu'à force de temps et de bras. Il est aisé de concevoir qu'avec l'obscurité de la nuit et une pluie diluvienne, ces travaux quoiqu'habilement dirigés, quoiqu'encouragés par la présence du prince et des généraux, eussent éprouvé beaucoup de lenteur sans le secours des Zouaves et des sapeurs du génie; lenteur qui aurait au moins compromis le succès de l'entreprise !

Pendant le temps qu'employèrent ces préparatifs, le feu de la place fut heureusement (toujours faible, souvent nul et par conséquent peu inquiétant. Quant au nôtre il ne put être ouvert que le 9 à 7 heures du matin, après une nuit aussi désastreuse que les précédentes.

Le savoir et le courage ne sont pas les seules qualités indispensables à l'homme de guerre. Il lui faut encore une ame forte et un esprit de persévérance qui ne se laissent abattre ni par les obstacles. ni par les revers, ni par les erreurs; et sous ce rapport, l'armée expéditionnaire de Constantine a été mise à de rudes épreuves.

Elle était dans un pays presque inconnu, sans autres moyens d'existence que ceux apportés, de fort loin, devant une ville garnie de soixante bouches à feu, et que sa position rend, pour ainsi dire, imprenable lorsqu'elle sera bien défendue; l'artillerie venait de faire des efforts surnaturels pour établir et armer ses batteries!.... Et quand on a surmonté tant d'obstacles, pour ainsi dire invincibles, quand on se croit bientôt maître de la place, on reconnaît, faut-il l'avouer?.... que le feu de la plupart de ces batteries n'atteint point précisément le but proposé, et que leur position doit être changée !... Il fut donc décidé que les trois batteries Nemours, Danrémont et des Mortiers seraient placées sur le Coudiat-Ati, malgré toutes les difficultés nouvelles à éprouver pour y transporter le matériel.

Traverser un torrent, marcher dans des chemins défoncés que l'on n'avait plus le temps de réparer, et dont les rampes étaient si rudes que quarante chevaux, aidés par les travailleurs, pouvaient à peine faire avancer une seule pièce; telles sont les difficultés dont il fallut triompher, et malgré lesquelles ce changement de disposition fut opéré sous la direction de Maléchard. Mais, de même que ceux qui se trouvaient inutiles, ces travaux qui durent être exécutés pendant la nuit et à la pluie, épuisèrent complètement les forces des soldats. Découragés un instant, ils abandonnèrent tout et se dispersèrent. Ce ne fut qu'après avoir parcouru longtemps les plateaux du Coudiat-Ati, et à force de prières, d'encouragements et de récompenses promises, que le colonel, chef d'état-major, secondé par quelques officiers, parvint à ramener les hommes et à les remettre à l'ouvrage.

Le 10 octobre, à l'aube du jour, lorsque la plupart des pièces avaient déjà franchi les deux tiers environ du trajet à parcourir, la place de Constantine ouvrit son feu avec une grande activité; et la mitraille venant effrayer les chevaux et les blesser ainsi que les hommes, apporta une nouvelle entrave à leur marche. Mais ce

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