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comme dans le loisir de la garnison; la pensée de revoir ses amis, sa famille, sa mère surtout, sa mère qu'il chérissait si tendrement et dont il était si tendrement chéri.

Modeste jusqu'à la timidité, à peine, dans les salons, payait-il un indispensable tribut à la conversation générale, à laquelle, le plus souvent, il prenait part en observateur; et le lendemain, dans l'intimité des causeries amicales, il rendait compte des réflexions piquantes et spirituelles qu'il avait faites. Ce n'est pas qu'il n'eut tout ce qu'il faut pour plaire et briller dans le monde! Doué d'un agréable extérieur, de manières simples, mais élégantes et polies, d'un esprit fin et délié; possédant des connaissances variées sur diverses sciences; profondément instruit dans l'art militaire, il était certainement à même de soutenir toutes les discussions et de s'y faire remarquer; mais il s'appliquait peu à être homme du monde, parce qu'il le connaissait bien et ne l'appréciait qu'à sa juste valeur!

Durant les dix mois qu'il passa en Afrique, pour la dernière expédition, il employa une partie de ses loisirs à consigner le fruit de ses méditations dans un mémoire du plus haut intérêt, sur différents vices qu'il avait reconnus dans l'organisation du personnel de l'artillerie, considérée en campagne, dans les camps et dans les siéges; et sur les réformes qu'il serait convenable d'apporter à cette organisation. Ce mémoire, rédigé à la pressante sollicitation de M. le général Caraman, terminé seulement après la prise de Constantine, et écrit d'un style clair et précis, était plein de vues utiles et profondes qui eussent assurément fait opérer dans l'arme d'heureuses modifications et des améliorations importantes, ainsi que se sont plû à le dire tous les militaires éclairés auxquels il en a été donné communication. II est donc on ne peut plus fâcheux qu'un tel ouvrage ne se soit point retrouvé après la mort de Maléchard, non plus que les notes qu'il avait recucillies, en parcourant les ruines romaines dont le pays est si richement peuplé; et plusieurs collections d'antiquité, de minéraux, d'insectes et de plantes dont se fussent, sans doute, enrichies les sciences, l'histoire naturelle surtout, peu avancée encore en ce qui touche les parages africains.

L'éloge de Maléchard est tout entier dans le récit de ses hauts-faits, de son savoir, de ses travaux guerriers et scientifiques, de ses goûts, de ses affections et de la rapide sympathie qu'il ne manquait jamais d'exciter. A ce titre, mais à ce titre seul, notre ouvrage est complet; et si sa mère qui le pleure, si ceux qui le regrettent, -et c'est le lot de tous ceux qui l'ont connu, -pensent que nous n'avons pas été trop au-dessous de la noble tâche que nous ont imposé notre cœur et notre patriotisme, nous nous estimerons heureux et fier à la fois d'avoir payé un dernier tribut à la cendre du soldat fidèle et éprouvé, de l'homme instruit et modeste, du fils tendre et respectueux, de l'ami sincère et désintéressé.

J. P. POINTE.

Bibliographie Lyonnaise.

PÉLERINAGE SUR LA SAONE, DE CHALON A LYON, par Evariste Marandon de Montyel, 1 vol. in-8°. - Châlon S. S., impr. de Montalan, 1858.

Pourquoi l'auteur appele-t-il pélérinage, un voyage non religieux? Je ne sais. Est-ce que Lyon serait une ville sainte? Point du tout. C'est une ville bien profane si nous en croyons M. J. J. de Paris. M. de Montyel a donc eu tort d'appeler son itinéraire, un pélérinage.

L'auteur commence par faire preuve d'esprit en déclarant qu'il ne dira pas toutes les étymologies du nom de Châlon. Aujourd'hui c'est chose ridicule que le pédantisme des érudits, et il est agréable de trouver un livre qui n'en renferme pas de traces. L'auteur a tort cependant de dire qu'il ne publiera pas une aride nomenclature des différents noms que Châlon a portés. Il est curieux de savoir le nom des villes aux différentes époques de leur existence. En outre, les études de géographie historique, si utiles à l'histoire, ne pourraient se faire, si tout le monde pensait comme M. de Montyel. -Suit une description de Châlon; de bons détails historiques, un style agréable et simple la rendent intéressante à lire; mais il n'y a pas une date ni pour les faits ni pour les monuments. C'est une faute très grave, car ce livre ne doit pas amuser seulement, on peut s'instruire en le lisant, et des dates eussent été précieuses. De Châlon nous arrivons à Tournus. L'auteur passe légérement sur l'abbaye célèbre de cette ville. Fondée en 875, cette abbaye est l'un des morceaux de l'architecture romane les plus remarquables qui existent en France; l'âge archéologique des différentes parties de l'édifice manque également. Pourquoi ne pas donner quelques détails sur la vie de cette Marguerite de Provence, femme de saint Louis, qui accompagna son mari à la croisade, qui supporta avec tant de courage, à Damiette, où elle était assiégée et sur le point de donner le jour à un fils, la peste, la nouvelle de la destruction de l'armée chrétienne et de la captivité de son mari. Qui ne connaît sa demande à un vieux chevalier chargé de la garder! Elle le requiert de lui couper la tête si les Sarrazins prennent la ville; à quoi le chevalier répond par ce mot sublime : J'y pensais. Il y aurait, à ce sujet, encore une foule de choses à dire. J'aurais parlé des mines de manganèse de la Romanèche; j'aurais parlé de Brunehaut et de saint Didier, évêque de Valence; j'aurais donné quelques détails historiques plus amples sur Cluny ; j'aurais donné quelques détails archéologiques sur N. D. de Brou, ainsi les noms de ces patients artistes qui, pendant vingt-cinq ans, ont fouillé cette carrière de marbre et l'ont transformée en dentelles, en feuilles, en fleurs, en un quelque chose de si léger, qu'on craint de le détruire en respirant. Cette église, bâtie de 1511 à 1536, par André Colomban, Philippe de Chartres et Wam boglem, a été sculptée par Benoît de Serins, Jean de Louhans, Amé-le-Picard, Onoffrio-Campitoglio et Conrard-Meyt.

J'aurais parlé un peu de ce dictionnaire publié par les jésuites de Trévoux. Si j'avais eu la plume de M. de Montyel, je me serais plus longuement arrêté à l'Ile-Barbe pour en décrire les beaux sites et faire revivre son passé. En effet, presque pas de détails sur cette abbaye de St-Loup, où Charlemagne, suivant la tradition, voulait venir terminer ses jours, et se reposer de ses gigantesques travaux, en cultivant les lettres avec ses amis et collègues de l'académie Palatine, Alcuin, Claude, Pierre, Leidrade, St-Loup, Éginhard. Vœu inutile! le grand homme mourut avant d'avoir eu le temps de venir se reposer dans sa magnifique librairie. Il fallait dire aussi qu'abbaye et livres avaient été détruits, en 1562, par les huguenots; que, d'après la tradition, la maison Delon était celle de Charlemagne. On aurait pu donner quelques détails plus étendus sur Lyon en général, sur le bon Cléberg en particulier. Pour moi, je n'aurais fini mon pélérinage sur la Saône, qu'à l'endroit où ma belle nymphe se marie, bien malgré elle, avec ce brutal de Rhône. (Quel mari!) J'aurais parlé de cette avenue de Perrache, du coup d'œil magnifique dont on jouit à la pointe de la presqu'île, de ce sentier si poétique des Étroits, que la prosaique industrie va détruire et remplacer par un quai et par un chemin de fer, qui passera en grinçant des dents (style du feuilletoniste J. J.).

Bref, on voit que le défaut de cet ouvrage est d'être écourté. Ceci est d'autant plus grave, que l'auteur dit : « Nous avons << pensé que ces pages, d'abord tracées seulement pour nous, seraient peut-être bien accueillies par ceux que nous aurions « précédés, puisqu'elles leur éviteraient le soin de rien de

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mander ni de rien écrire» (page 100). - On voit qu'il y a encore pour les voyageurs beaucoup de choses à demander. Nous engageons vivement l'auteur à complèter són livre sous le rapport historique et archéologique, et à conserver son style plein de coloris et de charme.

L. DUSSIEUX.

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