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muscadins. Précy fit aussitôt faire à sa troupe un à gauche pour éviter l'ennemi. Les muscadins, arrivés au pied de la montagne de St-Romain-de-Popey, se débarrassèrent de leurs sacs et de tous leurs bagages. Pendant qu'ils gravissaient celte côte rapide, les paysans attirés par l'appât du gain, en véritables vautours, tiraillaient sur eux et dévalisaient ensuite leurs cadavres. Beaucoup de ces jeunes gens, harassés de fatigue et de privations, s'arrêtèrent; ils furent impitoyablement massacrés et dépouillés. Soixante à peine gravirent le sommet de la montagne; là, ils purent se désaltérer avec les gouttes d'eau que la rosée avait déposée dans les feuilles de houx.

Depuis quelques minutes on se reposait, lorsqu'une escouade de hussards de Berchiny, commandés par un officier, arriva auprès de la montagne, et se mit à crier : « Vivent les Lyonnais. » Ceux-ci répondirent par le cri de « Vivent les hus: sards! >> En entendant ces cris, Précy descend de son cheval, le remet aux mains d'un nommé Legrand, fils d'un pelletier de la rue Mercière, et s'abouche avec son aide-de-camp, Récy. Une discussion assez vive s'engagea entre eux au sujet de la rencontre des hussards. Précy le quitte en lui disant de faire ce qu'il croirait convenable ; puis, au milieu de l'agitation, il disparaît avec un nommé Madinier, ex-cuirassier, le même qui, dans la journée du 29 mai, après la victoire que les Lyonnais remportèrent sur les terroristes, monta à cheval les degrés de l'Hôtel-de-Ville. L'officier, sans doute pour reconnaître la position et le nombre des ennemis, détacha quatre ou cinq hommes, qui arrivèrent auprès des muscadins et leur témoignèrent le désir de ne plus se battre. Récy s'avança auprès d'eux, tira son portefeuille, en sortit des assignats, et pria les hussards de vouloir bien aller chercher quelques provisions pour ses camarades : ce que les hussards promirent. Peu de minutes après, l'officier de hussards arrive à son tour, et demande aux Lyonnais quel est leur chef. Récy se présente et lui dit: « C'est moi. » L'officier républicain met alors pied à terre, sans mot dire, saute sur Récy et le prend à bras-le-corps, en criant : « A moi, hussards! » Ce fut le signal du combat. Récy parvint à dégager un pistolet de sa ceinture et tua son antagoniste. Mais, au bruit des coups de feu, des soldats d'infanterie, des dragons, des paysans accoururent de toutes parts, et après une mêlée horrible, les muscadins, cernés et cédant au nombre, furent faits prisonniers, et dirigés sur Lyon, où on les fusilla.

Les détails que je vous donne, Monsieur, je viens de les écrire sous la dictée de mon oncle, J.-F- Dupré, dit Monteau-Ciel, artilleur pendant le siége, et qui ne quitta pas M. Précy un seul instant, jusqu'à la fuite de ce dernier. M. Dupré et M. Caminet, négociant à Paris, sont, je pense, les seuls muscadins faits prisonniers à St-Romain, qui aient échappé aux fusillades; M. Caminet, par la protection de son oncle député à la Convention; M. Dupré, par un hasard incroyable. Il était artilleur et revêtu de son uniforme. Un caporal des compagnies franches le délivra des mains d'un paysan, et le prit sous sa protection. Cet homme avait été aussi artilleur, et avait instruit, avant le siège, la jeunesse de Lyon. Il eut pitié de l'un de ses élèves, dont l'âge d'ailleurs était fait pour intéresser. Il lui facilita les moyens de rentrer chez son père, où M. Dupré se cacha quelques jours, jusqu'à ce qu'il put prendre du service dans l'armée.

Quant au général Précy, le hasard voulut que mon oncle servit avec Madinier dans le même régiment, artillerie de Valenciennes, compagnie Vanin. Madinier lui dit, que Précy et lui s'étaient cachés sous des tas de fagots, où ils étaient restés pendant qu'on tuait ou prenait les muscadins, et que dans la nuit, ils s'étaient dirigés du côté de Tarare, où Précy resta quelque temps. De là, le général royaliste, pour faciliter sa fuite, orna son chapeau des couleurs nationales, et se donnant pour un représentant du peuple à la poursuite de Précy il gagna la Suisse, où il apprit la mort des jeunes gens qu'il avait abandonnés.

L. DUSSIEUX.

Voyages.

LA GRANDE CHARTREUSE,

AU MOIS DE JANVIER,

Journal de route, écrit heure par heure. - 1838.

Les plus beaux jours de l'automne sont empreints pour le voyageur, comme pour l'oiseau, d'une sorte de tristesse qui, pour être douce, pour avoir du charme, n'en est pas moins de la tristesse. Comme l'oiseau, qui profite des derniers rayons du soleil et fait éclater ses chansons, le voyageur aussi avance encore gaiement dans sa route; mais il y a déjà pour tous les deux dans ce ciel qui devient à chaque heure plus sombre, dans ces matinées toujours plus tardives, dans cet air du soir plus incisif, tout le deuil et tous les malaises de l'hiver, et les quelques heures tièdes que l'automne leur laissera encore par intervalles ne serviront bientôt plus qu'à leur rappeler les beaux jours passés et à rendre ainsi plus cuisantes pour eux les atteintes du mauvais temps.

La dernière semaine d'octobre venait de s'écouler dans un éclat inaccoutumé à cette pluvieuse saison lorsque j'aperçus les premières hauteurs des Alpes vers lesquelles je m'acheminais. Rien ne saurait peindre ma surprise de les trouver couvertes de neige; j'en éprouvai une sorte d'effroi, dont je ne me rendis alors nul compte, mais que je pourrais appeler aujourd'hui le sentiment instinctif de ce qui m'y attendait; et, en effet, habitué aux montagnes, je peux dire étant montagnard, je ne sais comment expliquer une aussi forte émotion que n'avaient pu faire naître en moi les Pyrénées françaises et espagnoles avec leurs forêts vierges, leurs gouffres dont l'eau seule connaît la profondeur, leurs glaciers et leurs dangers de toutes sortes dans ces temps de guerre.

.....

Enfin j'abandonne aujourd'hui les Alpes après le séjour le plus pénible, le plus douloureux qui se puisse imaginer; ces premières pages de mon journal sont datées des premiers jours de l'année. Le mauvais temps paraît se calmer, le soleil est brillant, ma santé est presque bonne, je sens germer en moi un peu d'espoir et je me mets en route avec confiance. Je pars ainsi sur la foi de quelques doux présages, sans réfléchir assez peut-être que j'entreprends une course bien aventureuse, sans vouloir compter combien de fois déjà j'ai été le jouet d'un rayon de soleil, d'une convalescence rapide et de cette voix sourde qui survit à tout dans le cœur qui souffre et dont chaque parole est une espérance !....

Je m'achemine donc vers les déserts de la GrandeChartreuse par les rochers du Sapey! Ces passages si scabreux dans les beaux jours, au dire des caravanes joyeuses que chaque été y ramène, que ne seront-ils pas aujourd'hui!... - N'importe, c'est chose résolue, j'irai et j'irai seul.

- En quittant Grenoble, et à mesure que j'avance vers la montagne, se déroule à mes yeux un magnifique effet de brouillard. Lorsque le soleil commence à déchirer ces couches épaisses, à les colorer, à les rendre transparentes, le paysage apparaît avec une incalculable étendue, il prend un caractère vraiment fantastique. Ces effets se reproduisent régulièrement chaque matin; mais ils sont incomparablement plus beaux dans l'hiver. On se demande, alors même qu'on est assuré de voir pour la première fois ces merveilleuses scènes, où l'on a déjà éprouvé cet étonnement, cette sorte d'extase qu'elles commandent et on se rappèle confusément les régions où l'on a été transporté par les rêves merveilleux de ces sommeils trop rares qui nous initient aux extases religieuses ou que réalisent des lectures fantastiques faites à la veillée.

A l'entrée même du chemin qui, dans la belle saison, me conduirait en peu d'heures au monastère, je trouve deux couvents; l'un est à droite, l'autre à gauche; ils sont placés là comme pour disposer l'ame aux émotions religieuses qui l'attendent; ce sont deux bénitiers placés à l'entrée de la nef qui conduit au sanctuaire.

Un grand nombre a dénié la cause miraculeuse de la retraite de saint Bruno, fondateur de l'ordre des Chartreux; toutefois un grand nombre aussi l'atteste, et, sous le règne de Louis XIII, la version surnaturelle trouvait encore le plus grand crédit. Témoin un conseiller du roi qui a publié à ce sujet un bon gros livre, plein de candeur, que j'aime à regarder comme très véridique et cela d'autant plus volontiers que la bulle du pape Urbain VIII, en retranchant

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