seau chargea M. de la Tourette de le faire inscrire parmi les souscripteurs de la statue de Voltaire (1), en disant que puisque tous les auteurs avaient le droit de souscrire, il avait payé le droit assez cher pour oser y prétendre. La lettre qu'il écrivit à ce sujet fut insérée dans un journal. Voltaire, inquiet, s'adressa aussitôt à M. de La Tourette pour savoir si cette nouvelle était vraie. « J'ai peur, écrivait-il, que les gens de lettres de Paris ne veuillent point admettre d'étranger; c'est une galanterie toute française. » Après avoir séjourné quelque temps à Lyon, dans la famille de M. Bois de la Tour, Rousseau se rendit à Paris par Dijon. Dans sa première lettre sur la botanique, adressée à M. de la Tourette, avec lequel il avait herborisé, il lui rend compte de son voyage. Il me reste une dernière chose à dire sur le séjour de JeanJacques Rousseau dans notre ville. A Roche-Cardon, se trouve une petite vallée qui présente aux amateurs de la belle nature de jolis aspects, des points de vue étendus, et qui est couronné au nord par la Fontaine du Rozet, située dans un bois où Jean-Jacques Rousseau se plaisait à errer, loin de la société des hommes et du tumulte de la ville. On arrive à cette fontaine par un sentier escarpé et taillé dans le roc; au bout de la montée, en pénétrant dans le bois, au fond d'une vallée ombragée, on voit une petite grotte entourée d'arbres, dont les branches enlacées forment une voûte de feuillage fraîche et sombre. C'est de là que sort la fontaine avec un doux murmure. L'écorce des arbres porte les noms des personnes qui sont venues en pélerinage dans cet endroit pittoresque; celui de Rousseau ne s'y lit pas, mais un voyageur prétend l'avoir trouvé inscrit sur une pierre fruste, et brillant au milieu d'une foule de noms ignorés. Un sycomore porte la devise si connue de l'auteur d'Emile: Vitam impendere vero (2). (1) Voir Musset-Pathay, et les CARACTÈRES DE L'IMAGINATION, par Chassagnon, tom. IV, pag. 47 et suiv. (2) FRANCE PITTORESQUE. C'est peut-être un singulier contraste que cette devise à côté des œuvres de Jean-Jacques. Toutefois ne parlons pas des hommes avec trop de sévérité; nos jugements sont faillibles, et ce qui est un crime à nos yeux ne le fut pas toujours dans l'ame du malheureux que nous voulons attacher au pilori. Je n'aime pas plus qu'un autre les fatales aberrations de JeanJacques, mais je suis sûr qu'il avait quelque chose de beau et de noble à l'endroit du cœur. F.-Z. COLLOMBET. FÊTE A LYON, EN L'HONNEUR DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU. AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS. ÉGALITÉ, LIBERTÉ. 22 Vendémiaire l'an III. Charlier et Pocholle, représentants du peuple, envoyés à Commune-Affranchie, par le décret du 4 fructidor, et dans les départements de Rhône-et-Loire, par celui du 10 du même mois. AU CITOYEN TEIPYEZ, BOTANISTE, La fête de Rousseau, qui devait avoir lieu décadi dernier, sera célébrée quintidi prochain, 25 vendémiaire. Il appartient à ceux qui font leur étude particulière de la nature, d'honorer l'homme qui en fut l'ami le plus vrai. Un groupe de botanistes doit faire partie du cortége; nous l'invitons à en diriger la composition et à y réunir tous les citoyens qui, comme toi, ont cherché, dans la connaissance des plantes et de leurs vertus, les moyens d'être utile à leurs semblables. Un étendard qui portera une inscription analogue à la science qu'ils cultivent, sera placé, quintidi prochain, sur la place de-la Maison-Commune, et leur indiquera le lieu où ils devront se rassembler. Salut et fraternité, Le Conseil général de la Commune de Lyon s'est réuni dans la salle de la Mairie, pour célébrer la fête de la translation des cendres de J.-J. Rousseau au Panthéon. Les divers corps constitués s'y sont rendus, et les représentants du peuple Charlier et Pocholle, envoyés par la Convention Nationale dans le département, y sont arrivés, accompagnés des Représentants Albitte et Salicetti, de passage à Lyon. Tous ces citoyens réunis en divers groupes, distingués par leurs décorations civiques, et rangés sous des bannières indicatives sont sortis en ordre de la Maison-Commune. Les groupes ci-après les attendaient sur la place de la Liberté (des Terreaux), savoir: un groupe de jeunes garçons sous un drapeau où on lisait : IL NOUS A DONNÉ ÉMILE POUR MODÈLE. Un groupe de jeunes filles portant un drapeau où était écrit: ON VOIT PARMI NOUS LA CANDEUR DE SOPHIE. Un groupe de mères allaitant leurs enfants, avec un drapeau portant ces mots : IL RENDIT LES MÈRES A LEURS DEVOIRS ET LES ENFANTS AU BONHEUR. Un groupe de Lyonnais ayant connu et reçu J.-J. Rous seau, avec un drapeau portant cette inscription : IL CONNUT A LYON LES CHARMES DE L'AMITIÉ. Un groupe de Génevois, portant un drapeau où se lisait l'inscription décretée par la Convention Nationale. GENÈVE ARISTOCRATE L'AVAIT PROSCRIT, GENÈVE LIBRE A VENGÉ SA MÉMOIRE. Un groupe de vieillards, d'artistes et de citoyens, au milieu duquel était porté en pompe le livre du Contrat L'HOMME EST NÉ LIBRE.... RENONCER A SA LIBERTÉ, C'EST RENONCER A SA QUALITÉ Ce cortège, accompagné d'une musique nombreuse s'est rendu à l'île J.-J. Rousseau (1) située sur la rive gauche de Rhône, au-dessus du pont Morand. Là, s'est découvert un cénotaphe entouré de peupliers décorés de guirlandes de fleurs. Au faîte du tombeau s'est vue la statue de J.-J. Rousseau, couché, embrassant d'un coté deux enfants des deux sexes, et s'appuyant de l'autre main sur deux tables de lois. Ce groupe dont la vérité et la bonne composition ont rappelé en même temps les traits, les vertus, les talents et les habitudes du grand homme dont on célébrait la mémoire, a fait l'admiration du peuple et l'éloge du citoyen Chinard qui l'a sculpté dans un très-court délai. Le représentant du peuple Charlier, ayant pris la parole devant le monument, a fait un discours sur la gloire dont le peuple français se couvre, en éternisant par une fête la mémoire du plus grand homme qui ait honoré l'humanité depuis les beaux siècles de la Grèce et de Rome. Il a développé les services que son génie bienfaisant a rendus à la liberté, dont il est parmi nous l'apôtre et le fondateur. Le représentant Pocholle a fait sentir ensuite la différence qu'il y a entre les honneurs rendus par des hommes libres aux mânes des sages et des héros, et les honneurs ridicules rendus ci-devant par des hommes dégradés, à des êtres nuls, qui avaient éte le fardeau et souvent le fléau de l'humanité. Les fêtes de la superstition n'offraient que des objets avi (1) Voir dans Lyon vu de Fourvières un article consacré à cette île, par M. H. Leymarie. : |