le mal. Tant que l'homme a été debout, on n'a pas prévu qu'il pouvait faillir. Il a fallu bien des infortunes pour faire naître la charité, bien des crimes pour produire la répression, et cela devait être ! C'est la marche naturelle de l'esprit humain ; l'expérience est son plus fécond enseignement. En examinant sous ce point de vue les travaux auxquels se livrent, depuis plusieurs années, des esprits éclairés et consciencieux pour la réforme des prisons, il nous est impossible de ne pas faire remarquer le peu de logique qui préside actuellement aux essais de réforme. Certes, il y a au milieu du cahos d'idées et de systèmes qui nous ont envahi assez de savoir et de sentiments généreux pour produire de grandes et bonnes choses. La bonne volonté y est, mais la direction manque. Chacun suit, dans la voie où il s'est lancé, l'impulsion de ses préjugés et de ses passions politiques. Des forces immenses, de précieux sacrifices se consument au milieu de ce désordre pour ne produire que des résultats souvent fâcheux et presque toujours insuffisants. Aussi, pour appliquer ces observations générales aux améliorations tentées sur les prisons, n'est-il pas incontestable que tous les moyens employés pour guérir chez les condamnés la corruption du cœur, et essayer de rendre à la société des hommes qui, le plus souvent, n'ont été qu'égarés, resteront inefficaces tant que les dispositions du Code ne seront pas en harmonie avec ces mêmes moyens et n'auront pas été rectifiées sous l'inspiration de cette équitable pensée. Ne paraît-il pas peu raisonnable de procéder à la réforme des prisons avant d'avoir rien fait pour celle de notre société dont la mauvaise organisation est la première cause du plus grand nombre des crimes. L'homme déchu, frappé par les tribunaux, est mieux traité par nous que celui qui n'a pas encore failli. L'enfant du peuple, abandonné, s'avance au hasard, sans guide, au milieu des piéges et des séductions de tous genres. Le malheureux qu'un revers subit vient de frapper, ne trouve presque jamais, pour toute ressource, que des aumônes qui le dégradent sans le relever, et ce n'est que lorsque l'inexpérience ou la faim les ont fait tomber dans nos prisons tout meurtris, tout souillés de leur chûte, qu'ils ont des droits à notre sollicitude. - Ce que dit M. Bonnardet, à propos du rapport inverse qui existe entre la tenue des différentes prisons et la criminalité des prisonniers, ne pourrions-nous pas le dire à notre tour et avec plus de raison peut-être : Si la prison était une récompense, aurait-on pu procéder autre ment? Mais il est impossible que de l'insuffisance de tant d'institutions isolées, il ne résulte pas pour tous l'évidente nécessité d'harmoniser tous les efforts qui tendent à la régénération morale et physique de l'humanité et à les coordonner dans un seul système. En attendant nous devons rendre justice aux citoyens qui se dévouent à l'étude de ces graves questions et dont le zèle infatigable a déjà produit de grandes améliora tions. Le nouveau réglement général des prisons de Lyon est sans contredit un progrès dans l'état actuel de la question, bien qu'il soit encore loin de ce que l'on pouvait désirer. Dans ce réglement nous approuvons sans restriction la suppression 1o de la cantine, source de désordre et de scandale, et à l'aide de laquelle l'argent du coupable pouvait changer une maison de correction en maison de plaisance; -2o du droit accordé au prisonnier de disposer, à son gré, du tiers du produit de son travail, désigné sous le titre de denier de poche: car s'il est juste d'encourager le travail par l'appât du salaire,il est juste et prudent d'en régler l'emploi, de ménager enfin par une économie forcée quelques ressources au condamné qui, après avoir expié sa peine, rentre dans la société, afin qu'il lui soit possible de mettre à profit les habitudes d'ordre et de travail qu'on aura cherché à lui donner. 3o La classification par moralité. 4o L'adoption d'un système d'intimidation disciplinaire, qui, sans blesser les lois de l'humanité, donne à la détention un effet répressif qu'elle n'a pas; système appuyé par une échelle de peines et de récompenses, graduées de manière à satisfaire la justice et à mettre en jeu le ressort de l'émulation. Mais il n'en est pas de même du silence absolu et de l'introduction des corporations religieuses. Tous les partisans de la réforme, dit l'auteur du rapport, sont contagionistes; tous la veulent par l'isolement; mais les uns veulent l'isolement par le confinement solitaire, les autres par le silence absolu.--Et il se prononce pour ce dernier moyen. -Il est à craindre que le règne du silence absolu, impossible à faire observer d'une manière assez complète, ne produise des fruits précisément contraires à ceux qu'on en attend. La nature de l'homme, toute communicative, est en opposition trop directe avec cette règle pour que les prisonniers, cruellement privés par elle d'un besoin indispensable, ne cherchent pas à s'en affranchir de temps à autre par tous les moyens possibles: les signes, les correspondances secrètes et les mille ruses que le besoin de reconquérir un peu de sa liberté suggère toujours à l'imagination infatigable des prisonniers; ces conversations seront d'autant plus dangereuses qu'elles seront le fruit d'une infraction à la règle et devront échapper à toute surveillance. Le confinement absolu, d'un autre côté, est une cruauté inutile qui tue le condamné ou égare sa raison. Entièrement abandonné à lui-même, il cède forcément à l'énergie de ses passions ou à la faiblesse de son caractère; livrés sans partage à l'une ou à l'autre, ses organes se sont bien vîte usés, ou dans les accès d'une fureur sauvage, ou dans ceux d'un sombre désespoir.--Quand la société punit, ce n'est pas pour se venger, car elle ne saurait avoir ni haine ni colère, mais pour rétablir l'ordre troublé. M. Bonnardet l'a dit, le coupable doit être traité comme un malade auquel il faut imposer des souffrances, mais seulement celles qui sont indispensables pour le guérir. Il nous semble qu'on aurait pu emprunter à ces deux opinions, former un système mixte plus en harmonie avec les penchants de la nature et les exigences de l'humanité. N'aurait-on pas pu, par exemple, adoucir le confinement solitaire par quelques heures de réunion, pendant lesquelles le si lence serait encore ordonné pour entendre quelques lectures ou quelques instructions, et comme récompense à ceux qui donneraient quelques espérances sérieuses de retour à de bons sentiments, la liberté de s'entretenir en petit nombre sous la surveillance d'un gardien. C'est peut-être un essai à tenter. Quant aux corporations religieuses, elles portent avec elles de bons et de mauvais fruits; s'il faut s'en servir, ce n'est qu'avec prudence et discernement. Nous concevons, que dans un siècle comme le nôtre, on n'ose demander aux hommes du monde un dévoûment semblable à celui qu'inspire aux frères et aux sœurs l'égoïsme de l'autre vie, nous concevons encore qu'avec les éléments qui nous entourent, la commission des prisons se soit vue forcée de recourir, pour une mission essentielle et qui exigeait une grande abnégation, à une corpoгаtion religieuse. Mais en subissant ce qu'elle regardait comme une nécessité, elle a dû se prémunir d'avance contre l'esprit d'empiètement qui anime le clergé, et s'être bien assuré qu'elle resterait toujours maîtresse. L'administration des hôpitaux a tellement senti la vérité de cette assertion, qu'elle a toujours voulu tenir sous sa dépendance les sœurs et les frères chargés du service. Nous désirons qu'un jour cet élément, que l'on regarde comme un auxiliaire puissant, ne devienne pas un obstacle invincible à toute amélioration. Du reste, nous ne pouvons nous empêcher de rendre justice aux sentiments éclairés de philantropie sur lesquels s'appuie M. le Rapporteur de la Commission des prisons. Son ouvrage remarquable, écrit avec la chaleur et la conviction d'un homme qui croit d'autant plus à l'utilité de son œuvre qu'elle a été consciencieusement élaborée, est rempli d'observations intéressantes et de considérations élevées. С. В. DE LA MÉDECINE LÉGALE DES ALIÉNÉS, dans ses rapports avec la Législation criminelle, par Alexandre BoTTEX; Lyon, imp. de Louis Perrin. 1838. L'auteur de ce discours ne s'est point proposé de réformer la législation criminelle relative aux aliénés. Il a compris qu'une telle réforme, en la supposant possible, ne saurait être que l'ouvrage du temps, et qu'avant d'en appeler aux législateurs, il importe surtout que les hommes spéciaux aient recueilli de nombreuses observations où viennent se ranger à peu près toutes les variétés de la folie. Aussi n'a-t-il eu d'autre but que celui de constater le vice de la législation existante, et d'élucider, autant qu'il était en lui, cette question encore si obscure. Médecin d'un hospice d'aliénés et souvent appelé en cetle qualité à éclairer la religion des tribunaux, M. le docteur Bottex a pu reconnaître que, dans l'appréciation de la criminalité, il n'est pas toujours tenu assez de compte de l'état noral de l'accusé à l'heure du délit. Si, en effet, l'intention seule fait la culpabilité, on aura peine à comprendre qu'un homme, évidemment privé de toute liberté morale au moment de la consommation du crime, puisse être puni selon toute la rigueur des lois. Qu'un fou furieux, échappant à ses gardiens, égorge le premier passant qu'il rencontre, certes il ne se trouvera pas un seul juge pour le condamner: sa folie est un fait notoire qui l'absout. Si donc, en pareil cas, le glaive de la justice doit rester dans le fourreau, n'est-il pas aussi d'autres circonstances où il doit épargner la tête du coupable, lorsque celui-ci, par exemple, bien que jouissant habituellement de la plénitude de sa raison, est devenu tout-à-coup assassin, et cela sans intérêt, sans haine, sans provocation, sans motif? Le crime que cet homme vient de commettre n'est-il pas, en effet, une preuve suffisante de folie? Qui oserait d'ailleurs affirmer, contrairement à l'expérience, qu'il |