troublé la limpidité de son cœur, qu'on a fait bouillonner le sang aux veines d'un pauvre jeune homme; se dire, à part soi, que si les choses les plus dignes de respect et d'amour tombent à chaque moment sous des huées sacriléges, que si les saintes traditions expirent sous les moqueries d'une impiété grossière, on est la cause de toutes ces ruines peut-être, oh! en vérité, c'est une désolante pensée! Aujourd'hui, ne devons-nous pas être heureux de voir que la plupart des écrivains d'un ordre supérieur sont aussi des hommes graves, qui s'éloignent des honteuses routes battues par la licence et la perversité de quelques esprits téméraires et orgueilleux? Nous trouverions sous notre plume de grands et honorables noms, s'il en était besoin. Pour ne pas sortir, des contrées où nous transportent les deux volumes de Poésies inédites, c'est bien quelque chose déjà que la même nation puisse présenter, en tête de toutes les gloires récentes, deux poètes aussi admirables par leur foi simple et soumise que par leurs œuvres puissantes et fortes. Manzoni et Pellico sont, de nos jours, les deux représentants de la littérature italienne. L'un, Walter-Scott chrétien, a composé un beau roman, dont l'intérêt ne repose pas sur les imperturbables niaiseries, non plus que sur les inventions puériles des conteurs à la mode, mais vous attache et vous émeut surtout par de larges peintures où l'Evangile a distillé sa charité divine. Poète, Manzoni certainement n'a rien de plus achevé, de plus grandiose que ses Hymnes sacrés. L'autre, et c'est Pellico, a trouvé la gloire véritable et pure dans son martyre du Spielberg. Quel merveilleux talent n'a-t-il pas fallu pour ce livre d'une si miséricordieuse douleur? Et quels trésors de sentiment naturel. simple, sublime, naïf et profond tour-à-tour dans ce pauvre prisonnier, qui vous fait aller d'émotions en émotions a travers les longues souffrances de son cachot! Après cela, comment lui restait-il un peu de courage pour écrire ces divins chapitres de douce et tendre morale ajoutés au livre de l'Imitation? Avant d'user les meilleures années de sa vie au château du Spielberg, Pellico s'était fait connaître en Italie par sa Françoise de Rimini, tragédie qu'avait inspirée le plus bel épisode de Dante, sans excepter le sombre drame des enfants d'Ugolino. D'autres œuvres dramatiques avaient ajouté depuis à cette première gloire si fraîche et si pure, mais c'est aux Prisons et aux Devoirs que Pellico est redevable de sa popularité européenne. Cependant, fidèle au souvenir de la muse qui souriait à sa jeunesse, il composa, même dans les cachots, des vers qu'il ne pouvait confier au papier. Les habitudes lyriques ne s'en vont pas si vite de l'ame, et lorsque, en se frappant le front, celui qui fut sacré poète s'aperçoit, comme Chénier, qu'il y a là quelque chose, il faut bien que l'ame épanche ses richesses et que les flots d'harmonie s'échappent tôt ou tard. Ainsi de Pellico. Voilà donc l'origine de ses deux volumes de Poésies inédites. «La plus grande partie des vers que je publie, dit l'auteur, << se rapporte principalement à mes vicissitudes, à mes douleurs, à mes espérances, aux consolations qui me sont « venues de la foi. » Mais, en révélant de la sorte l'intérieur de son ame, il met toujours au commencement de toutes choses le nom de Dieu. Souvenirs de la patrie embellis par l'horizon de ses douces collines, oh! dolci colli, de ses plaines riantes et de ses eaux pures; joies naïves et tristesses de l'enfance; pensées de gloire et d'éclat, poétiques et suaves amours de jeune homme voilà ce qui occupe une grande place dans deux ou trois pièces de ce recueil. Il y a telle autre pièce qui nous permettra de rassembler les trames de cette vie tant de fois brisée, mais ce ne seront que les plus saisissables à l'œil. Une ode sur les églises, le Chiese, s'annonce par ces beaux vers: «Oh! douces maisons de prière, de vérité, de consolation, « de sublimes pensées, oh ! maisons de Dieu! - Dès mes plus << tendres années, j'avais coutume de tourner vers vous mes regards avec une respectueuse tendresse, comme vers l'asile « qu'un enfant malade trouve dans la demeure d'un excellent père, qui est toujours attentif aux plaintes de son fils! » Vient ensuite uu ravissant tableau de la vie du poète. On sait que Pellico naquit à Saluces, en 1789; ainsi, il n'a guère qu'un an de plus que notre Lamartine, et il est moins âgé que Manzoni, que La Mennais. Son enfance, robuste d'abord, fut soudain flétrie par une affreuse langueur, par des spasmes qui rendirent le jeune Silvio excessivement triste; il semblait, toute heure, que la mort dût le prendre, puis elle se mettait à le dédaigner, mi sdegnava. Au milieu de la troupe rieuse de ses gracieux compagnons, ce lui était un amer supplice de voir que son frêle corps ne pût seconder l'ardeur de son âme; ses courtes joies en étaient interrompues, il allait cacher ses larmes solitaires, et, quand on le trouvait pleurant à chaudes larmes, le pauvre innocent, on le traitait de fou, parce qu'on ignorait la cause de ses précoces tristesses. Le nom de Silvio est le nom d'un poète aimé dans ces régions-là. De Saluces, où il était né, où il avait été baptisé, où il venait d'essayer ses premiers pas dans la vie, Pellico fut transporté à Pignerol, toujours maladif et voisin de la tombe. Il garde un fidèle souvenir des heures qu'il passait à l'église. Là, dans l'ombre du soir, aux lueurs de la sainte lampe, il priait, avec sa mère et son frère, la reine miséricordieuse des anges et des affligés, lui demandant ou quelque appui, « ou le tombeau. » " C'est au séjour à Pignerol que se rattachent pour Silvio Pellico des souvenirs religieux empreints de tout le charme pur et candide que la jeunesse répand sur les moindres joies. Mais néanmoins ce moment solennel chez une ame encore pure d'innocence et d'amour spontané, l'heure sainte où l'homme reçoit son Dieu, pour la première fois, Pellico ne put la passer à l'église; ses parents et ses frères pleuraient autour de lui, quand le pain céleste vint à sa couche de douleur. On croyait ses jours désespérés, et il disait à la nuit sombre : O nuit, tu vas dans ton ombre Il fut sauvé toutefois, et s'avança dans la vie, d'un pas ardent et rapide. Alors, cette ame pieuse fut étrangement bouleversée au souffle impur de ce XVIIIe siècle qui se couchait dans la tombe, en se débattant dans les fureurs de ses agonies. Pellico fut égaré par un prêtre apostat, et il a raison de dire : Quanto è alta luce pio, ver sacerdote, Tant'è funesto mastro ogui Iscariote ! Ce ne furent pas seulement les jours mauvais de 93 qui enfantèrent de tristes rénégats; les doctrines du plein XVIIIe siècle avaient tout préparé. La gangrène dévorait au cœur beaucoup de pauvres religieux, beaucoup de prêtres que des temps agités se réservaient de traîner dans la boue. Nous avons appris d'un homme qui sait bien ces choses-là, M. Sainte-Beuve, que le bon P. Dotteville, connu par quelques traductions d'auteurs latins, se permettait d'infâmes sourires contre le sacrifice des autels, et, au lit de mort, se faisait réciter, pour suprême consolation, ces vers d'Horace : Eheu! fugaces, Posthume, Posthume, « Hélas! hélas! Posthumus, les années s'envolent rapide<<ment. » Et l'Oratorien n'était pas le seul qui fût descendu si bas. Malheureusement ces hommes infidèles à leurs vœux, et plus à plaindre encore qu'à blâmer, unissaient quelquefois le savoir à l'amabilité, nouvelle chance de séduction pour la jeunesse qui pouvait les entendre. Pellico donna contre un écueil semblable, non pas assez pour se briser, mais beaucoup trop pour son repos et pour son bonheur. La prière, en passant par ses lèvres, savait toujours le chemin du ciel, et son pied connaissait encore le chemin des églises. Notre magnifique primatiale de Saint-Jean le vit souvent agenouillé sous ses voûtes mystérieuses « O belle église, continue-t-il, ah! «combien de fois, incliné dans la prière et la méditation, je pleurai là et le sol de la patrie, et les régions italiques : « par moi abandonnées, et le foyer lointain, où étaient assis << mon père, ma mère, mes frères! Je gémissais en même temps sur mes ténèbres, sur mes doutes, sur mes pas«<sions, sur la perte de mon Dieu. » Dieu n'était pas cependant perdu pour (Pellico, non plus que pour la France; les temples se r'ouvraient, et ce fut à Lyon que Silvio fut témoin d'un imposant spectacle. Le 12 juin 1803, il y eut dans nos murs une procession solennelle, racontée par Châteaubriand, qui se trouvait ici depuis le 22 mai de cette même année, et décrite aussi en vers admirables par Pellico. Le jeune homme vit-il l'auteur du Génie? Nous avons dit ailleurs que les deux grands écrivains ne se rencontrèrent jamais (1). il se Pellico résidait à Lyon, chez un vieux cousin maternel, très riche et très digne de ses richesses. Tout ce qui peut enchanter un cœur désireux d'élégance et d'amour avait parsemé de délices la première ardeur de sa jeunesse, et si Pellico aime les Français, nous savons qu'il garde pour les Lyonnais une affection toute spéciale. Pellico nous quitta vers l'année 1810. De retour Italie, et fixé à Milan, chez ses parents, il cultivait les lettres et voyait le grand monde. En même temps, liait d'amitié avec les seigneurs italiens et les poètes, avec Monti, avec Foscolo. Celui-ci, âpre et sauvage, d'une nature sombre et irritable, fut pour Silvio le meilleur et le plus fidèle ami ; il devint son guide poétique. Foscolo avait publié un petit poème d'environ trois cents vers, et dans le genre des poèmes de notre Legouvé. Les Sepolcri n'ont de beau que le vers luimême ; la pensée en est froide et païenne, mais c'est toujours un excellent poète que l'auteur des Tombeaux et de Ricciarda, un poète auprès de qui Pellico dut apprendre beaucoup. Leur style ne manque pas d'une certaine ressemblance. Si le doute effleurait l'ame de Pellico, il avait bien plus de prise sur celle de son noble ami. Les Dernières Lettres de Jacopo Ortis, roman coupé sur le patron du Werther de Goethe, peuvent (1) Revue du Lyonnais, t. vi, p. 401-402. |