ETUDES SUR LES HISTORIENS DU LYONNAIS. ΧΙΧ. BROSSETTE. Il y a de singulières fortunes littéraires, qui tiennent moins au mérite réel d'un auteur qu'à des circonstances données et à une sorte de hasard. Brossette en est un exemple. Par luimême, il a fait peu de chose, et ses forces ne lui permettaient pas d'aller loin, mais il s'est attaché de ses deux bras au char d'un autre, et les noms de Despréaux et de Brossette sont à peu près inséparables maintenant. Le moyen, en effet, de nommer le satirique, sans avoir aussitôt présent à la pensée le fidèle Achate qui le suit partout non passibus æquis ! L'avocat lyonnais représente assez bien, pour nous, certain genre d'auteurs qui eurent autrefois de la vogue, et se donnèrent à peu de frais une passable renommée, grands faiseurs de rien, compilateurs d'anecdotes, véritables ardélions de la république des lettres. Brossette peut être regardé comme un type. Quant au volume qui lui donne rang parmi les historiens lyonnais, c'est un travail assez mince, qu'il était indispensable pourtant de rappeler. Claude Brossette, seigneur de Varennes-Dappetour, avocat au Parlement de Paris et aux cours de Lyon, naquit à Teizé(1), en Lyonnais, le 8 novembre 1671; il fut plus recommandable par sa probité et ses talents littéraires, que par sa naissance. Nous ne savons aucune des particularités de sa jeunesse; nous passerons donc rapidement à l'année 1698, époque de sa liaison avec Despréaux, liaison qui vraisemblablement ne dut son origine qu'à une visite de politesse, ou peut-être de curiosité de la part de Brossette qui se trouvait alors à Paris, où il avait été député pour les affaires de l'Hôtel-Dieu de Lyon (2). Cette première entrevue produisit un effet mutuel, et donna lieu en même temps à des rapports intimes, qui durèrent plus de douze années. C'est à leur correspondance que nous demanderons tous les secrets d'une longue amitié. Le 10 mars 1699, Brossette écrivait à Despréaux, et lui envoyait le Procès-verbal des conférences tenues par ordre du roi, entre MM. les commissaires du conseil et MM. les députés du Parlement de Paris, pour l'examen des articles de l'ordonnance civile du mois d'avril 1667, et de l'ordonnance criminelle du mois d'août 1670; Lyon, 1697 et 1700; Paris, 1709, in-4°. C'est le premier ouvrage de Brossette. « Vous trouverez dans le même paquet, disait-il à Despréaux, un livre d'une espèce bien différente: c'est l'ouvrage ridicule d'un auteur très-ridicule.... J'ai eu l'honneur de vous dire à Paris que l'année dernière un libraire de Lyon, à qui l'auteur avait envoyé son (1) Et non point à Lyon même, comme le disent les biographes. Voyez les Archives du Rhône, t. vu, p. 155. (2). Avertissement de l'édition de Boileau, 1747. - Cizerou-Rival, Lettres familières de MM. Boileau Despréaux et Brossette, t. 1, p. 77. manuscrit, me l'avait apporté pour savoir s'il ferait bien de l'imprimer; mais que je l'en avais détourné, en lui faisant voir que l'ouvrage ne valait rien. Il renvoya donc le manuscrit à Bonnecorse, qui a pris, dit-on, le parti de le faire imprimer à Marseille, et qui en a fait apporter à Lyon quelques exemplaires : Mais son livre inconnu sèche dans la poussière (1). Et l'exemplaire que je vous envoie est infailliblement le seul qui aura le bonheur d'aller à Paris (2). « On vient de m'apporter la bordure que j'ai fait faire au portrait (3) dont vous m'avez fait présent, et vous voilà placé dans le plus bel endroit de mon cabinet. Je ne doute pas que vous n'en fussiez content, si vous pouviez le voir; mais vous le seriez bien davantage, si vous étiez témoin de l'empressement qu'ont tous les honnêtes gens de vous venir rendre visite ici chez moi. Chacun tâche de renchérir sur vos louanges; il n'est pas même jusqu'à nos poètes qui n'aient travaillé sur ce sujet. Voici quatre vers de la façon d'un de nos amis : : Vous qui voulez savoir quel est le personnage Vous connaîtrez que c'est Boileau. >>> Tout en louant ces vers, Despréaux les refit; le 25 mars 1699, il écrivait à Brossette : «..... Je trouve Bonnecorce bien hardi d'envoyer un si mauvais ouvrage à Lyon; ne sait-il pas que c'est la ville où l'on obligeait les méchants écrivains à effacer eux-mêmes leurs écrits avec la langue? N'a-t-il point peur que cette mode ne se renouvelle contre lui, et ne le fasse pâlir: (1) Le Jonas inconnu sèche dans la poussière. Sat. ix. vers 91. (2) C'était apparemment une nouvelle édition du Lutrigot, ce poème ayant déjà été imprimé à Marseille, en 1686. (3) Cizeron-Rival croit que ce portrait, peint par Sauterre, était, en 1770, dans la bibliothèque des Augustins de Saint-Vincent, à Lyon. Ut Lugdunensem rhetor dicturus ad aram (1). Je suis bien aise que mon tableau y excite la curiosité de tant d'honnêtes gens, et je vois bien qu'il reste encore chez vous beaucoup de cet ancien esprit qui y faisait haïr les méchants auteurs, jusqu'à les punir du dernier supplice. C'est vraisemblablement ce qui a donné de moi une idée si avantageuse. L'épigramme qu'on a faite pour mettre au bas de ce tableau est fort jolie. Je doute que mon portrait donnât un signe de vie, dès qu'on lui présenterait un sot ouvrage, et l'hyperbole est un peu forte. Ne serait-il point mieux de mettre, suivant ce qui est représenté dans cette peinture : Le 15 mai 1699, Brossette répondait à cette lettre : ..... L'épigramme que vous m'avez envoyée.... est telle que je la pouvais souhaiter. J'en ai fait un bon usage, car je l'ai fait écrire en lettres d'or sur un cartouche ménagé dans les ornements de sculpture qui sont au haut du cadre, et j'ai fait écrire au cartouche d'en bas ces six vers de votre Epitre X, accommodés au sujet: Tu peux voir dans ces traits qu'au fond cet homme horrible, , Fut un esprit doux, simple, ami de l'équité; Qui, cherchant dans ses vers la seule vérité, Fit, sans être malin, ses plus grandes malices, A cette époque, l'Académie de Lyon commençait à se former, et Brossette fut pour beaucoup dans son rapide accrois (1) Juven. sat. 1, 44. (2) OŒuvres de Boileau Despréaux, édit. de M. de Saint-Surin; Paris, 1821, t. iv, p. 310-324. |