Cette édition, dédiée au duc d'Orléans (1), régent du royaume pendant la minorité de Louis XV, est augmentée de la XII. salire qui avait paru furtivement dès 1711, de quelques épigrammes, de plusieurs lettres et de la Dissertation sur Joconde. Elle est ornée du portrait du régent et de celui de l'auteur, gravés, le premier, d'après Santerre; le second, d'après Rigaud. Ces deux portraits sont bien supérieurs aux six estampes qui accompagnent le Lutrin. Le commentateur Brosselte, qui ne s'est point nommé, s'exprime ainsi : « Je n'avance presque rien qui ne soit tiré ou des conversations que j'ai eues avec lui (Despréaux), ou des lettres qu'il m'a écrites. La haute idée que j'avais de ses ouvrages m'ayant fait souhaiter de le connaître, je ne trouvai en lui ni cette fausse modestie, ni celle vaine ostentation, si ordinaires aux personnes qui ont acquis une réputation éclatante ; et, bien différent de ces auteurs renommés qui perdent à être vus de près, il me parut encore plus grand dans sa conversation que dans ses écrits. « Cette première entrevue donna naissance à un commerce intime qui a duré plus de douze années. La grande inégalité de son âge et du mien ne l'empêcha point de prendre confiance en moi; il m'ouvrit entièrement son cœur ; et quand je donne le commentaire, je ne fais proprement que rendre au public le dépôt que cet illustre ami m'avait confié. «S'il eut la complaisance de m'apprendre toutes les particularités de ses ouvrages, je puis dire que, de mon côté, je ne négligeai rien de ce que pouvait me donner d'ailleurs une connaissance exacte de certains faits qu'il touche légèrement, et dont il m'avouait qu'il ne connaissait pas trop bien le détail. Mes recherches ne lui déplaisaient pas, de sorte qu'un jour, comme je lui rendais compte de mes découvertes : (1) Ce prince ayant vu quelques feuilles de cet ouvrage, avait permis qu'on le lui dédiât. L'épître fut faite par Brossette, au nom des libraires, et Fabri présenta l'ouvrage au recteur. (1716, juillet): A l'air dont vous y allez, me dit-il, vous savez mieux votre Boileau que moi-même. » Quant aux passages imités des anciens, Brossette dit : « Bien loin qu'il eût honte d'avouer ces ingénieux larcins, il les proposait, par forme de défi, à ses adversaires qui s'avisaient de les lui reprocher, et c'est lui qui m'a indiqué, dans la lecture suivie de tous ses ouvrages, les sources les plus détournées où il avait puisé.... L'Avertissement de Brossette se termine par ces mots, au sujet du commentaire qu'il publie : « On ne doit pas craindre d'y trouver de ces vérités offensantes, ni de ces faits purement injurieux qui ne servent qu'à flatter la malignité, etc. Je n'ai pas dit toutes les vérités, mais tout ce que j'ai dit est véritable, ou du moins je l'ai reçu comme tel.... » L'avantage de pouvoir interroger Despréaux était inap. préciable pour un commentateur. Aussi le travail de Brossette offre-t-il de l'intérêt sous le rapport des anecdotes, quoi qu'it laisse encore bien à désirer, sous ce rapport, par des omissions importantes, et que niême il présente de graves méprises, relevées par M. de Saint-Surin, dans son beau travail sur Boileau (1). Brossette a de l'instruction, mais ses rapprochements, lorsqu'il ne les doit pas à l'auteur, offrent peude justesse. On lui sait gré de s'être affranchi des obligations que lui imposait la critique, lorsqu'on lit le petit nombre de discussions littéraires dans lesquelles il est entré. Il ne paraît pas avoir toujours saisi les explications données par le satirique. Les observations qu'il lui adressait étaient, en général, ou si minutieuses, ou si dépourvues de solidité, qu'il en recevait quelquefois des réponses bien propres à refroidir. une admiration moins dévouée, à décourager un amourpropre moins docile (2). On ne saurait trop regretter que la seconde édition, que (1) Voyez la Table des matières, t. 1, au mot Brossette. (2) Voyez le t. IV, p. 461, 476 et 578 des OEuvres de Boileau, édit. de M. de Saint-Surin Brosselte se proposait de publier, n'ait pas vu le jour; sa correspondance avec J.-B. Rousseau en fait souvent mention. Elle aurait contenu des pièces inédites que l'on n'a pas l'espoir de recouvrer. Le 1er mars 1741, il écrivait à Louis Racine dans les termes suivants : « Je vous dirai, Monsieur, non sans chagrin, que la nouvelle édition de mon nouveau travail sur Boileau est accrochée par l'entreprise que mon libraire de Genève vient de faire d'un ample commentaire sur Newton, en 3 vol. in-4. Vous jugez bien qu'un ouvrage de cette nature, tout farci d'algèbre et rempli de figures, demande beaucoup de temps. Ainsi voilà mon ouvrage suspendu, et j'ignore quand l'impression s'en achèvera. Cette édition sera bien différente de celles qui l'ont précédée. Elle comprendra quelques ouvrages en prose de M. Despréaux, qui n'ont point encore paru, el une trentaine de lettres choisies que ses amis lui avaient conseillé de publier, et qu'il avait corrigées pour les mettre en état de paraître (1). » Brosselte n'entre dans aucun détail sur la manière dont il a recueilli ces divers morceaux. On s'étonne qu'ils n'aient pas été compris dans l'envoi que l'abbé Boileau lui adressa des papiers de son frère dont il était l'exécuteur testamentaire (2). Il est à présumer qu'ils n'en faisaient point partie, puisqu'ils n'ont point été insérés dans la première édition du commentateur. Cette édition de Brosselle fut souvent réimprimée en Hollande, sous différents formats, depuis l'in-folio jusqu'à l'in-12, avec diverses remarques rédigées par Dumonteil, qui ne s'est point nommé (3), et de belles figures gravées par Bernard Picart, sur ses propres dessins. (1) Lettres de Rousseau sur differents sujets, t. ш, p. 316. (2) Voyez la lettre de l'abbé Boileau à Brossette, t. iv, p. 664, des OEuvres de Boileau, édit. de M. de Saint-Surin. (3) Les dictionnaires gardent le silence sur Dumonteil; on le connalt comme éditeur de Despréaux. La première des éditions données par Dumonteil parut en 1718; Amsterdam, David Mortier, 2 vol. in-folio et in-4. La plus recherchée est celle de 1772; La Haye, Isaac Vaillant, en 4 vol. in-12; elle réunit à la commodité du format le mérite de l'exécution. Celle de 1729 est la dernière à laquelle l'éditeur ait fait des changements; mais le format in12 n'a ni vignettes, ni culs-de-lampe. « Brosselte, dit M. Ch. du Rozoir (1), est le type du commentateur servil, enthousiaste et minutieux; tout lui est bon pour grossir son commentaire. De là ce déluge nauséabonde de notes, de remarques dont il a flanqué les œuvres de Boileau, comme autant de bastions qui puissent les rendre inattaquables à la critique. Avec quel zèle, quel soin, quelle sollicitude il couvre, il défend, il justifie jusqu'aux moindres fautes! L'amour-propre de l'auteur luimême n'aurait jamais pu aller si loin, ct surtout se mettre si bien à l'aise ; car, ce qui frappe dans Brossette, c'est la bonhomie de conviction avec laquelle il ressasse les anecdotes niaises, les observations puériles. << Il est encore curieux de remarquer son exactitude à relever et à mettre en relief les passages qne Despréaux a imités des anciens. Aujourd'hui que l'art, en travail d'une littérature entièrement propre à la nation, commence à s'émanci, per, on peut bien s'étonner que ces emprunts faits à l'antiquité aient été précisément, aux yeux de Brossette et de ses contemporains, le plus beau titre de gloire pour Despréaux. C'était, en effet, de la part du commentateur, un éminent service que de faire ressortir de semblables passages, à une époque où l'imitation constituait la base et le grand principe d'une littérature qui n'est guère que le reflet plus ou moins brillant d'une littérature ancienne..... » Malgré l'outrecuidance de ce jugement, nous devons reconnaître que le commentaire de Brossette a été et sera tou (1) Dictionnaire de la Conversation. jours d'une grande utilité à tous ceux qui lisent les ouvrages de Boileau. Que de précieux détails qui seraient aujourd'hui perdus pour nous sans le travail fait sous les yeux du satirique! Les commentateurs modernes savent bien sans doute ce qu'il nous faui avoir de reconnaissance pour Brosselle. Les divers journalistes de l'Europe s'empressèrent de parler avantageusement de son commentaire; le P. de Tournemine surtout se signala par un article qu'il fit insérer dans les Mémoires de Trévoux, du mois de mai 1717, pag. 771. Mais de peur que les louanges qu'il donnait à Brossette ne lui enflassent trop le cœur, il ajouta aussitôt un autre article intitulé : Défense du grand Corneille contre le commentateur des œuvres de M. Boileau Despréaux, pag. 792. Il attaquait Brossette avec une force et une aigreur que celui-ci ne devait pas attendre d'un homme qui se disait de ses amis, et qui lui avait témoigné quelque estime. La mauvaise humeur du P. de Tournemine tombait sur Despréaux; mais Brosselle se crut obligé, comme son interprète, et plus encore comme son ami, de démontrer l'injustice des accusations. C'est ce qu'il fit, quoique longtemps après, en envoyant à ce jésuite une réfutation en forme de lettre, dans laquelle il lui prouva qu'il avait tort dans tous les chefs (1). Soit mépris, soit manque de bonnes raisons, le P. de Tournemine ne daigna pas y faire la moindre réponse, et Brosselte, piqué de son silence, se proposa de rendre la réfutation publique, en l'insérant dans une nouvelle édition de ses remarques sur Boileau, qu'il préparait en 1735. Mais l'édition n'ayant pas eu lieu, le public n'a pas été en état de juger sur les pièces. Avant même l'époque où Brosselle publia son commentaire, il était en relation avec J.-B. Rousseau; leur correspondance nous fournit de précieux documents sur la statue équestre de Louis XIV, à Lyon; nous les complèterons quelque jour (1) Cizeron-Rival, Mémoire sur la vie et les ouvrages de feu M. Brossette, p. 246. |