Plusieurs savants, de ses amis, invitaient Brossette à pu blier deux commentaires qu'il avait faits depuis long-temps déjà, l'un sur les œuvres de Molière, et l'autre sur celles de Regnier. Instruit particulièrement de la vie, de la mort, des mœurs et de la fortune de ce poète satirique, par les papiers même de sa famille, il s'était essayé sur ses poésies avant de travailler au commentaire sur Boileau. Il ne manquait plus que la dernière main à cet ouvrage, mais Brossetle s'excusa sur son peu de loisir et n'acheva pas. Regnierum edideram, invidit Bolœus, at iste : Coustou, sculpteur habile neveu et élève du fameux Coisevox, passant à Lyon en 1718, l'occasion tenta Brossette. Il lui fit faire en marbre le buste de Despréaux; l'artiste travailla sous les yeux de Brossette, d'après l'estampe gravée par Drevet sur le portrait que Coutard avait fait peindre par Rigaud, en 1704, et il réussit au point de ne pouvoir rien ajouter à la ressemblance, qui était parfaite....... « Si je savais, disait Brossette à Rousseau, un moyen plus propre pour éterniser ma reconnaissance envers cet illustre ami, et la vénération que j'ai pour sa mémoire, soyez assuré que je l'emploierais (3). » Au reste, ce fut sur les invitations réitérées de Rousseau et de l'abbé d'Olivet, que Brossette se détermina enfin à (2) Lettres de Rousseau sur différents sujets, t. u, p. 280. (3) Lettres de Rousseau sur différents sujets, t. 1, p. 263-4. achever ses notes sur Regnier. Il employa les vacances de 1721 à conférer toutes les éditions qu'il put recouvrer de cet ancien auteur, dont il parvint à rétablir le texte dans toute sa pureté. Débarrassé de cette partie, la plus importante et la plus utile de son travail, mais en même temps la plus ennuyeuse et la plus difficile, il y ajouta des notes pour l'éclaircir; mais elles ne furent pour lui qu'une espèce d'amusement, et le public était à la veille de jouir du fruit de ses recherches à cet égard, lorsqu'il fut nommé administrateur de l'Hôtel-Dieu de la ville de Lyon, en 1722. Les devoirs inséparables de cette nouvelle fonction étaient incompatibles avec des travaux littéraires. Brosselle ne tarda pas à s'en apercevoir; et, dès ce moment, il abandonna les siens pour se consacrer tout entier au service des pauvres de cet hôpital, dont il embrassa plus d'une fois la défense avec un zèle qui lui mérita les justes applaudissements de ses supérieurs et de ses confrères. Rendu à lui-même, au bout de deux années, en 1724 (1), il se remit à travailler avec ardeur à son commentaire, mais ce ne fut pas pour long-temps. La voix publique l'appela, en 1727, à la place d'avocat-recteur de l'hôpital général de la Charité, qu'allait quitter Bertin, auquel il n'était pas possible de donner un plus digne successeur que Brossette, dont les talents, dont le crédit auprès du maréchal de Villeroy étaient généralement connus de toutes les personnes qui composaient alors le bureau de cette maison. Chargé, en conséquence, de ses intérêts les plus chers, il fut peu de temps après au mois de mai 1728, envoyé à Paris, où il obtint non-seulement la confirmation des anciens priviléges de la Charité, mais encore des lettres-patentes du roi (septem (1) M. Et. Dagier, Hist. chron. de l'hôpital-général et grand Hotel-Dieu de Lyon, t. 11, p. 77, marque bien la sortie de Brossette, mais ne donne aucun des documents que nous venons d'emprunter à Cizeron-Rival, Recreations litt., p. 250-1. bre 1729), lesquelles lui en accordaient de nouveaux. Il fit plus, il l'acquitta gratuitement, à son retour, de la somme de 700 livres, dont il était créancier, pour reste des dépenses et déboursés qu'il avait été obligé de faire pour elle en cette occasion. Cet abandon était d'autant plus généreux que Brossette n'était pas riche; le bureau, qui savait cela, fut pénétré de la plus vive reconnaissance, et la lui fit témoigner par ses députés, le 11 novembre 1729. Brossette n'avait pas attendu jusque-là pour remplir les engagements qu'il avait contractés envers le public, en lui faisant annoncer dans le Mercure de France de 1727, la prochaine édition de son commentaire sur les œuvres de Regnier. Il avait mis la dernière main à ce travail, avant d'aller à Paris, où les affaires de la Charité le retinrent quinze à seize mois, ce qui vraisemblablement lui procura la facilité d'envoyer son manuscrit à Londres. Il y fut magnifiquement imprimé, au mois de septembre 1729, en 1 volume in-4, chez Lyon, et Woodman (1). Brossette avait conféré beaucoup d'éditions, afin de donner un texte pur. Quant aux notes, elles ne sont pas aussi nombreuses que celles du commentaire sur Boileau, et n'en valent peut-être que mieux.«J'aurais voulu, dit l'auteur, couvrir d'épaisses ténèbres les endroits peu modestes, que la licence de ses mœurs (de Regnier) ou de son siècle, a laissé malheureusement échapper à sa plume. Il faut toujours qu'un écrivain soit honnête homme, mais cela doit paraître surtout quant il a entrepris d'expliquer un auteur licencieux. » Rien ne paraît, dans les notes de Brossette, démentir des sentiments si honorables (2). (1) Les Satyres et autres œuvres de Regnier avec des remarques, 403 pages, sans l'avertissement, les jugements sur Régnier, son épître dédicatoire au roi Henri-le-Grand, une ode à Régnier sur ses Satyres, par Pierre Molin, et la table des pièces, avec une autre table alphabétique. (2) Voyez le Journal des Sav., 1730, p. 435-442. Cet ouvrage était attendu depuis longtemps et avec trop d'impatience pour ne pas être bien accueillis le succès n'en fut point équivoque, et les louanges que lui prodiguèrent les plus habiles littérateurs dédommagèrent amplement Brossette de celles que lui refusaient Desfontaines et Lenglet du Fresnoy. Ce dernier surtout, qui lui en voulait par rapport à sa liaison avec Rousseau dont il était ennemi, se déchaîna avec animosité, et donna même, en 1733, une nouvelle édition des œuvres de Regnier (1), qui devait être dédiée à Rousseau, par une épître satirique sous le nom de Brossette. Mais le poète ayant été informé de ce projet par l'abbé de Vayrac, qui était alors dans les Pays-Bas, mit tout en œuvre pour faire supprimer l'épître; il employa le crédit du comte de Sintzindorf, alors ambassadeur de Charles VI, en Hollande. L'épître ne parut donc pas dans l'édition de Regnier; elle ne fut pas perdue pour cela, car l'abbé Lenglet, jaloux de conserver ce monument de sa colère, l'inséra à la fin tome Ier de son livre: De l'usage des Romans. En 1822, M. Viollet Le Duc publia les OŒuvres de Mathurin Regnier, etc.; Paris, Desoer, in-18, édition elzévirienne. Les notes sont celles de Brossette, auxquelles l'éditeur a fait des changements très-légers, quelques retranchements et un fort petit nombre d'additions. On ne pouvait mieux faire que de réimprimer ce commentaire, qui a mérité les suffrages des gens de lettres; mais pourquoi, en le reproduisant, n'a-t-on pas inscrit le nom de Brossette sur le frontispice? C'est un reproche que nous, qui sommes de notre pays, pouvons bien faire à M. Viollet Le Duc. Cuique suum. Il faut que chacun recueille la gloire et l'honneur qui lui reviennent (2). : : (1) Sous le titre : Les Euvres du poète Regnier, avec quelques nouvelles notes et des poésies qui n'étaient pas dans les anciennes editions; Amsterdam, 1733, in-4°. (2) Breghot du Lut, Melanges, t. it, p. 79.-Archives du Rhône, t. vm, p. 152. Les deux années du rectorat de Brossette étant expirées au mois de décembre 1729, la cour ne mit point d'intervalle entre les services qu'il venait rendre à l'hôpital de la Charité et la juste récompense qu'elle crut lui devoir à cet égard. Elle le nomma, dans le courant du même mois, echevin de la ville de Lyon pour les années 1730 et 31. Cette charge, à laquelle les vœux des citoyens appelaient depuis long-temps Brossette, ne pouvait être mieux remplie. Il ne s'y distingua pas moins par sa conduite pleine d'équité, de discernement et de lumières, que par son amour pour les sciences et pour ceux de ses compatriotes qui les cultivaient avec succès. Toujours attentif à leur procurer de nouveaux avantages, il engagea, en 1731, Pierre Aubert, doyen des avocats et ancien échevin de la ville de Lyon, à donner sa belle et nombreuse bibliothèque à MM. du Consulat, à condition qu'elle serait destinée au public (1). Les livres en devaient être déposés et gardés dans une des salles de l'Hôtel-de-Ville; mais cette clause n'ayant pas eu lieu, ils furent transportés dans l'hôtel de Flechères, à côté du palais de justice. La direction de cette même bibliothèque fut confiée dès-lors à Brossette; entre ses mains, elle s'augmenta de tout ce qui parut de plus intéressant dans notre littérature, pendant l'espace de dix années (2). Les pénibles fonctions auxquelles Brossette était assujetti èn qualité d'échevin gradué, n'étaient pas finies lorsque Chauvelin, maître des requêtes, chargé de l'inspection de la librairie, et sous les auspices duquel les libraires de Paris préparaient une édition des œuvres de Molière, en six vol, in-4, lui écrivit, le 19 février 1731, pour l'engager à donner au public ses remarques sur cet auteur. Le temps ne pouvait être plus mal pris pour faire cette demande; aussi Brosselte (1) L'acte de donation est du 22 mai 1731. (2) P. Aubert s'en était réservé la jouissance pendant sa vie, ce qui fit qu'elle ne fut ouverte qu'en 1735. Cizeron-Rival, Recreations hist., p. 255. |