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cini dans l'élaboration du rapport à l'Institut de droit international dont il vient d'être parlé et, depuis, s'attachait à la même œuvre avec tant de zèle que son nom se trouve lié, maintenant, à un grand nombre des travaux que cette association de jurisconsultes a produits en vue de l'unification du Droit international privé.

C'est, en effet, l'un des principaux objets de l'Institut de droit international que de « donner son concours à toute tentative de codification graduelle et progressive du droit international et de poursuivre la consécration officielle des principes qui auront été reconnus comme étant en harmonie avec les besoins des sociétés modernes ». Aussi a-t-il, dès le début même de ses études, en 1874, au sujet de la question traitée par MM. Asser et Mancini, « reconnu l'évidente utilité et même, pour certaines matières, la nécessité de traités par lesquels les Etats civilisés adoptent d'un commun accord des règles obligatoires et uniformes de droit international privé x et déclaré « que le meilleur moyen d'atteindre ce but serait que l'Institut lui-même préparât des projets textuels de ces traités, soit généraux, soit concernant des matières spéciales ». Il ajoutait que « ces projets de traités pourraient servir de base aux négociations officielles et à la rédaction définitive qui seraient confiées à une conférence de jurisconsultes et d'hommes spéciaux délégués par les différents Etats ou, du moins, par quelques-uns d'entre eux, en accordant, dans ce dernier cas, aux autres Etats, pour ce qui concerne les matières à l'égard desquelles ce système peut être adopté sans inconvénient, la faculté d'y accéder successivement ».

C'étaient là des vues très justes. Pour que les Etats en arrivent à se concerter et à se lier par de mutuels engagements sur la solution des conflits de lois et des autres matières du Droit international, il est nécessaire que les questions parviennent à une maturité complète, en passant successivement par les méditations et les recherches de la science individuelle, puis par les délibérations de jurisconsultes appartenant aux divers pays intéressés, enfin par l'assentiment de délégués officiellement investis du mandat de discuter en conférence et de soumettre à leurs Gouvernements, comme susceptibles, à leurs yeux, de recevoir la suprême sanction des Etats, les règles issues de ce long travail. Mais aussi avait-on le droit d'espérer que, tôt ou tard, de si grands et si sages efforts porteraient leurs fruits, qu'après les tentatives de 1865, de 1874 et de 1881, viendrait enfin l'heure du succès.

Peut-être l'heure du succès a-t-elle été hâtée par la réalisation d'une entreprise bien plus difficile et plus hardie, à première vue, en tout cas bien plus vaste, qui s'est accomplie dans le Congrès sud-américain de Droit international privé tenu à Montevideo, du 25 août 1888 au 18 février 1889. Là, dans ce court espace de temps, sept traités ont été conclus : sur le droit civil international, sur la propriété littéraire et artistique, sur le droit pénal international, sur le droit de procédure, sur les marques de commerce et de fabrique, sur les brevets d'invention, sur l'exercice des professions libérales. Les Etats représentés au Congrès étaient la République Argentine, l'Uruguay, le Paraguay, le Brésil, le Chili, le Pérou et la Bolivie. Leurs délégués n'ont pas seulement adopté des projets de conventions; revêtus de la qualité de plénipotentiaires, ils ont eux-mêmes négocié dans la forme diplomatique et conclu des conventions au nom des Etats qu'ils représentaient. Il ne manquait à ces conventions pour devenir obligatoires que la sanction du pouvoir exécutif et l'approbation du pouvoir législatif dans chacun des Etats au nom desquels ils avaient été stipulés. Le protocole était, en outre, ouvert à l'adhésion des Puissances européennes 1.

Le Gouvernement des Pays-Bas fut peut-être encouragé par cet exemple à soumettre aux Gouvernements invités à la Conférence un programme embrassant l'ensemble du Droit international privé proprement dit, c'est-à-dire le conflit des lois civiles. Mais il n'eut pas, du moins, la pensée qu'un traité pût se conclure dès le premier contact des Etats qui répondraient à ses offres et, sans doute, il ne fut pas surpris de voir le caractère de la Conférence de La Haye se dessiner promptement tout autre que n'avait été celui du congrès de Montevideo. Cette Conférence a eu simplement en vue de formuler les bases d'une entente internationale; elle n'a pris d'engagements, au nom des Etats représentés, à aucun degré. Elle a même dû, ne disposant que d'un temps restreint, réduire l'objet de ses travaux à quelques matières particulièrement importantes. C'est qu'en effet les divergences des lois sont beaucoup plus profondes en Europe, où se trouvent en présence des peuples de races, de religions, de mœurs, de. traditions différentes, que dans l'Amérique espagnole. « Il n'y a guère d'antagonisme entre les législations hispano-américaines, dit M. Pradier-Fodéré1, elles ont une origine commune; les principes sur lesquels elles reposent, les règles qui les constituent diffèrent peu d'Etat à Etat. » Les conflits de lois sont donc, en Europe, incomparablement plus graves que dans l'Amérique du Sud et, par conséquent, la solution n'en pourra être obtenue d'un accord des Etats qu'après des études et des discussions plus approfondies. Il faudra, pour atteindre le but, franchir des étapes successives; un Congrès semblable à celui de Montevideo sera précédé de plusieurs conférences analogues à celle de La Haye.

1. V. l'exposé de M. Pradier-Fodéré dans Revue de droit international, 1889, t. XXI, p. 217 et s., 561 et s.

II

Si la Conférence de La Haye n'a eu qu'une ambition modeste, soit quant à l'étendue, soit quant à la portée immédiate de son œuvre, elle a voulu, du moins, fonder cette œuvre sur un solide principe.

Il y a désaccord, en théorie, à l'égard du titre auquel il convient, dans chaque pays, de faire une place à l'application des lois étrangères. Sur le continent européen, la grande majorité des jurisconsultes admet que la justice même le prescrit. La jurisprudence anglo-américaine, jusqu'à présent, du moins en général, a nié toute obligation, a soutenu que les Etats, étant souverains, n'agissent que par bienveillance, n'acceptent tout au plus que les conseils suggérés par le sentiment de l'intérêt commun.

La première de ces deux conceptions est celle dont se sont inspirés la presque unanimité des auteurs qui, dans l'ancien droit de l'Europe, ont édifié la Théorie des statuts, source du Droit international moderne. Sans qu'elle ait été proclamée, si ce n'est, en dernier lieu, aux xvii et xviiie siècles, notamment dans les ouvrages de Rodenburgh, de Boullenois et de Bouhier, elle a dirigé les longs efforts dont nous recueillons le fruit.

1. Revue de droit international, XXI, p. 230.

La seconde est née dans les Pays-Bas, à la fin du xvu siècle; elle a été ébauchée par Paul Voet, mise en axiomes pratiques par Ulric Huber, théoriquement exposée par Jean Voet, dont la doctrine se résume ainsi : Le droit, summum jus, autorise les Etats à écarter de leur territoire les lois étrangères, mais il convient qu'en certains points chaque nation en tolère l'application ex comitate, liberaliter et officiose ultro citroque, nullo alioquin ad id jure obstricta1. Cette conception caractérise l'ancienne théorie hollandaise des statuts. De nos jours, la jurisprudence anglo-américaine se l'est appropriée; sous le nom de courtoisie, la comitas conseillée par les Voet et par Huber est son seul guide.

Eh bien, l'Europe continentale et chrétienne croit qu'un principe supérieur de justice impose aux Etats souverains, à l'égard de certains rapports juridiques, le respect des lois étrangères. Dans sa session de Genève, en 1874, l'Institut de droit international, en même temps qu'il préconisait la solution des conflits de lois par les traités, proclamait que l'inspiration en devait étre puisée dans le sentiment du droit, de la justice. II disait : « Dans l'état actuel de la science du droit international, ce serait pousser jusqu'à l'exagération le principe de l'indépendance et de la souveraineté territoriale des nations que de leur attribuer un droit rigoureux de refuser absolument aux étrangers la reconnaissance de leurs droits civils et de méconnaître leur capacité juridique naturelle de les exercer partout. Cette capacité existe indépendamment de toute stipulation des traités et de toute condition de réciprocité. L'admission des étrangers à la jouissance de ces droits et l'application des lois étrangères aux rapports de droit qui en dépendent ne pourraient être la conséquence d'une simple courtoisie et bienséance (comitas gentium), mais la reconnaissance et le respect de ces droits de la part de tous les Etats doivent être considérés comme un devoir de justice internationale 2. >>>

Mais, jusqu'à présent, ce langage n'avait été tenu qu'entre jurisconsultes. Il était réservé au Ministre des affaires étrangères des Pays-Bas, à l'un des compatriotes de Jean Voet, de le faire entendre aux délégués de treize Etats de l'Europe continentale. Voici, à ce sujet, quelques passages du discours d'inauguration de M. van Tienhoven : « La sécurité des intérêts privés par la sûreté des droits, non seulement dans les rapports d'un même pays, mais aussi dans ceux avec l'étranger, est la condition indispensable du bien-être des individus et des nations, en même temps que de tout progrès social... Pour garantir les intérêts qui, à notre époque, unissent les différentes nations, on ne saurait nier, dans les relations internationales, la nécessité absolue de règles précises et uniformes destinées à mettre fin à l'incertitude qui résulte de la différence des lois des divers pays. Comment établir ces règles tout en respectant l'autonomie et la souveraineté de chaque Etat ?... Au dessus de la souveraineté des peuples s'élève la souveraineté de la justice et du droit devant laquelle s'inclinent toutes les nations civilisées. Il ne s'agit pas, en effet, ici, d'une conséquence découlant de la comitas gentium, ni d'une nécessité créée exclusivement par les intérêts matériels, mais avant tout du principe primordial de justice qui veut qu'à chacun soit attribué ce qui lui revient, jus suum cuique. Le triomphe de ce principe, appliqué à toutes les situations, dans tous les pays, n'est qu'une question de temps. >>>

1. Commentarius ad Pandectas, lib. 1, tit. IV, De statutis.

2. Revue de droit international, t. VII, p. 362.

C'est ce principe qui a présidé aux travaux de la Conférence. Il n'a suscité aucune protestation, aucune réserve. Des dissentiments se sont produits sur d'autres points; sur celuilà, ni les rapports des commissions ni les procès-verbaux des séances n'en contiennent le moindre indice; il est arrivé, au contraire, que tel des délégués l'a, à son tour, hautement affirmé au nom de la commission dont il était le rapporteur.

L'adoption du principe de la justice a pour conséquence, entre autres, de rendre plus aisées les transactions sans lesquelles aucune entente ne serait possible entre les représentants de législations dont chacune peut différer des autres non seulement quant à ses lois internes, mais même quant à la solution qu'elle a donnée jusque-là du conflit de ses lois internes avec les lois étrangères. Aussi M. Asser put-il, en ces termes, faire appel à l'esprit de sacrifice nécessaire au succès de la Conférence : « Je suis sûr d'exprimer votre pensée, quand je dis que, pour atteindre le but, nous serons tous obligés de nous faire des concessions réciproques; nous devrons sacrifier, sur l'autel de l'entente internationale, des

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