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opinions et des idées qui nous sont chères. Nous nous rendrons compte aussi des objections, des hésitations, des scrupules qu'on ne manquera pas de rencontrer dans plus d'un Etat, quand il s'agira de faire sanctionner les règles que nous aurons projetées, et nous n'oublierons pas que, pour assurer à ces règles l'assentiment des législateurs, ce n'est pas toujours le système le plus radical qui est le plus recomman

dable. >>>

III

Appelée à poser les bases de l'identité des législations et surtout celles d'un traité international sur le conflit des lois, invitée, de plus, à accomplir cette œuvre dans l'esprit qui vient d'être exposé, la Conférence de La Haye aurait pu réunir tous les Etats de l'Europe continentale et chrétienne, et bien peu, d'ailleurs, n'y furent pas représentés, mais il eût été étonnant qu'elle obtînt le concours de la Grande-Bretagne.

Aujourd'hui, le droit civil, soit interne, soit international, présente en Angleterre des caractères tels que l'on concevrait difficilement l'entrée de ce pays dans l'Union préparée par la Conférence de La Haye. Le droit civil anglais, particulièrement le droit qui régit le conflit des lois anglaises avec les lois étrangères, n'est pas codifié. La connaissance, l'interprétation, l'enseignement même, en quelque sorte, comme l'application, en sont confiés aux juges; c'est par les décisions judiciaires qu'il se manifeste peu à peu, au jour le jour, se fixe et, sous forme de précédents, acquiert une existence officiellement constatée. Comment se prêterait-il à l'adoption soudaine de règles portées par le pouvoir législatif et identiques à celles des autres peuples? Le droit_civil anglais, particulièrement en ce qui concerne les immeubles, est encore tout imprégné d'esprit féodal, et, pour le conflit des lois, à l'esprit féodal correspond la territorialité stricte et absolue du droit. Jusqu'à l'acte du 12 mai 1870, il ne fut même pas permis aux étrangers d'acquérir des immeubles en Angleterre. Aujourd'hui encore, les conséquences de l'état des personnes, telles que tutelle, puissance paternelle, interdiction, légitimation, sont, à l'égard des étrangers, lorsqu'elles se produisent en Angleterre, soumises en principe à la loi anglaise. Les successions immobilières, surtout, sont étroitement liées au sol. Comment un tel droit pourrait-il, en vertu de certaines considérations théoriques, faire place à des lois étrangères dont le caractère est tout autre? Lorsque, par exception, comme en matière de mariage, on veut bien admettre la loi d'un autre pays, c'est à titre de faveur, non pas au nom du droit, par courtoisie, non par obéissance à un principe supérieur de justice. Et des jurisconsultes anglais le déclarent hautement, taxant d'offense à la souveraineté des Etats l'idée qu'au dessus de la souveraineté des Etats règne la souveraineté de la raison, de même qu'ils se rient des efforts faits par les jurisconsultes du continent pour édifier des théories de nature à passer dans le droit positif. Comment une nation animée de cet esprit se ferait-elle représenter dans une Conférence où serait proclamé et présiderait, elle le sait, un principe tout contraire?

Cependant, lorsque Mancini, dans une circulaire du 16 septembre 1881, fit adresser aux Gouvernements étrangers des ouvertures tendant à un accord sur certains conflits de lois, la réponse du Gouvernement anglais ne fut pas défavorable; on y désigna même, comme pouvant être l'objet d'une entente, les questions de nationalité, de mariages mixtes, de domicile, de successions, d'exécution des sentences émanées des tribunaux étrangers; et Mancini put se croire autorisé à dire : <<< Par le résumé qui précède de la réponse faite par lord Granville à la proposition italienne, on voit que celle-ci serait loin de rencontrer, si elle se tient dans un cadre limité, les obstacles absolus que le caractère spécial de la législation britannique aurait pu laisser appréhender 1. »

Mancini se fit-il à cet égard illusion, ou bien le Gouvernement anglais se trouvait-il, en 1882, dans des dispositions d'esprit exceptionnelles ? Quoi qu'il en soit, en 1893, il déclina l'offre du Gouvernement des Pays-Bas. « La Grande-Bretagne a cru devoir s'abstenir, dit M. Asser 2, eu égard à la nature spéciale du droit anglais. » Peut-être est-elle au nombre des Etats dont M. le ministre van Tienhoven a dit que, « hésitant devant les grandes difficultés de l'œuvre projetée, ils n'ont cependant pas manqué de donner des preuves de l'intérêt qu'elle leur inspire. >>>

1. V. Clunet 1886, p. 45-47.

2. Revue de droit international 1893, T. XXV, p. 528.

Ce n'est pas, en effet, que la Grande-Bretagne ait le parti pris de se tenir isolée du mouvement qui, dans notre siècle de pénétration des peuples les uns par les autres, entraîne les esprits à la recherche de règles uniformes de droit international. Un certain nombre de ses plus éminents jurisconsultes, au contraire, y prêtent l'attention la plus vive et même s'y associent en qualité de membres de l'Institut de droit international. Plusieurs d'entre eux, notamment M. Westlake, ont ainsi pris part aux délibérations d'où sont issues des conclusions diamétralement opposées à la conception actuelle du droit international privé en Angleterre. Quelques-uns, il est vrai, dans ce cas, ont exprimé leurs réserves. Mais ils ont du moins siégé dans des assemblées où le système anglais, mis en parallèle avec les doctrines du continent, n'a pas eu l'avantage, et parmi eux il en est qui n'ont pas protesté. C'est qu'ils étaient venus dans ces assemblées sans mandat officiel, et, demeurés libres, en qualité de jurisconsultes uniquement soucieux de la vérité, ils pouvaient en accepter les décisions. Mais le caractère d'une Conférence comme celle de La Haye n'est pas celui d'une réunion de l'Institut de droit international; une certaine responsabilité incombe aux délégués; s'ils n'ont en aucune façon le pouvoir d'obliger leurs Gouvernements, ils s'engagent du moins eux-mêmes à leur recommander les règles qu'après débat ils auront estimées justes et utiles.

IV

Il était manifeste que la Conférence ne prendrait pas comme base de ses travaux le vaste projet de programme rédigé par les soins du Gouvernement des Pays-Bas et préalablement adressé aux Gouvernements étrangers. Les délégués des PaysBas, avant la réunion de la Conférence, en détachèrent ce qui pouvait être matière à l'adoption de principes essentiels. Sous la rubrique Dispositions générales par rapport aux conflits de droit privé, ils présentèrent un avant-projet en huit articles, concernant l'état et la capacité des personnes, les biens, les successions et les testaments, les obligations conventionnelles et non conventionnelles, la forme des actes, la compétence, les formes de procédure, les modes d'exécution des jugements et des actes, les moyens de preuve. Mais c'était là encore une sorte de condensation du droit international privé, un

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projet presque identique à celui du futur Code belge. La Conférence, dont le temps était limité, ne pouvait aborder une telle tâche sans s'exposer à un échec; elle devait nécessairement concentrer sur quelques points tout son effort. Ce fut l'opinion qu'exprima M. Renault; il aurait même désiré que l'on se bornât à la règlementation du mariage et de la compétence judiciaire. M. Roguin fut de même avis. La Conférence décida que l'on traiterait : 1o du mariage; 2o de la forme des actes; 3o des successions; 4o de la compétence judiciaire et des autres questions de procédure. En conséquence, quatre commissions furent nommées afin d'étudier ces matières et de présenter des avants-projets à la Conférence.

I. DU MARIAGE. La Commission fut composée de MM. Renault, délégué de France, président et rapporteur; Beelaerts van Blokland, délégué des Pays-Bas; Meili, délégué de Suisse; van den Bulcke, délégué de Belgique; le comte d'Arco-Valley, délégué d'Allemagne; Olivier y Esteller, délégué d'Espagne; de Malewsky-Malewitch, délégué de Russie.

Elle restreignit son étude aux règles de la formation du mariage; les effets de cet acte, le divorce et la séparation de corps, de même que le régime matrimonial, seront l'objet des futures conférences qui probablement seront appelées à continuer l'œuvre ébauchée par la Conférence de La Haye.

Elle présenta un projet en cinq articles.

Les trois premiers articles posaient les conditions intrinsèques de validité du mariage contracté dans un pays par des personnes de nationalité étrangère.

La règle devait être pour chacun des époux l'observation de sa loi nationale. Et cela signifiait non pas que les époux, en violant cette loi, en encourraient dans leur pays les sanctions, ce qui est du domaine des législations internes et ne devait pas préoccuper la Conférence, mais que les autorités du pays où le mariage serait célébré auraient à respecter les lois étrangères.

En statuant ainsi sur le mariage, la commission s'inspirait du principe que la loi nationale doit régir en tout lieu l'état et la capacité des personnes, principe que l'Institut de droit international a proclamé dans sa session d'Oxford, en 1880. et appliqué aux conditions du mariage, en 1888, dans sa session de Lausanne.

Cette règle importante, appuyée sur les excellents motifs qu'en donnait le rapport de M. Renault, fut admise d'emblée par la Conférence. Aucune contradiction n'y fut opposée. Elle ne donna lieu qu'à certaines réserves.

Le délégué de Hongrie, M. de Korismics, fit observer que, pour le présent, elle serait inapplicable dans ce pays. « La raison en est, dit-il, qu'en Hongrie la matière des mariages est régie par les lois religieuses des confessions, qui n'y sont pas peu nombreuses. La loi religieuse régit non seulement la forme de la célébration, mais détermine encore les conditions de capacité requises pour contracter mariage. Ces règles, à raison de la nature dogmatique de la loi religieuse, sont appliquées à quiconque veut contracter mariage en Hongrie, qu'il soit regnicole ou étranger. Ainsi, pour me servir d'un exemple, dans le cas où un catholique de nationalité étrangère, un Français ou un Italien, voudraient contracter mariage en Hongrie, l'Eglise catholique n'apprécierait pas sa capacité personnelle d'après les lois de sa nationalité, mais d'après celles de l'Eglise; et il en serait de même pour les autres confessions. Dans ces conditions, il est aisé de comprendre que, tant que la matière du mariage n'aura pas été règlementée d'une manière uniforme et dans les formes du mariage civil, le gouvernement ne pourra garantir aux étrangers l'application uniforme de leur loi nationale, ainsi que le comporterait l'article premier de l'avant-projet... La question du mariage est à l'ordre du jour en Hongrie. Les résolutions auxquelles s'arrêtera la Conférence pourront servir d'enseignement utile à l'occasion de l'élaboration des projets y relatifs. » On voit, par cet exemple, quels obstacles peuvent s'opposer à la conclusion de traités, même entre Etats de l'Europe continentale et chrétienne. De tels accords supposent que les lois en conflit, sans être semblables, offrent au moins assez d'analogie pour que, s'il y a lieu, celle d'un pays puisse recevoir son application dans un autre pays sans y apporter un trouble grave, sans s'y heurter à des institutions de droit privé confinant de très près au droit public.

D'autre part, le délégué de Danemark, M. Matzen, fit une observation que le procès-verbal rapporte en ces termes : « M. Matzen, considérant que l'établissement de règles de

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