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qu'elle avoit fait exécuter. Souvenir immortei d'innocence et de jouissance! Ce fut dans ce bos quet qu'assis avec elle sur un banc de gazon,

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tant de rapport, qu'il étoit impossible qu'ils ne se mêlassent pas en quelque chose; et toutefois, au milieu de cette dangereuse ivresse, jamais elle ne s'est oubliée un moment; et moi je proteste, je jure à la face du ciel, que, si quelquefois égaré par mes sens j'ai tenté de la rendre infidèle, jamais je ne l'ai véritablement desiré. La véhémence de ma passion la contenoit par elle-même. Le devoir des privations avoit exalté mon ame. L'éclat de toutes les vertus ornoit à mes yeux l'idole de mon cœur: en souiller la divine image eût été l'anéantir. J'aurois pu commettre le crime; il a cent fois été commis dans mon cœur: mais avilir ma Sophie! ah! cela se pouvoit-il jamais! non, non; je le lui ai cent fois dit à elle-même: eussé-je été le maître de me satisfaire, sa propre volonté l'eût-elle mise à ma discrétion, hors quelques courts moments de délire, j'aurois refusé d'être heureux à ce prix. Je l'aimois trop pour vouloir la posséder.

Il y a près d'une lieue de l'Hermitage à Eaubonne; dans mes fréquents voyages il m'est arrivé quelquefois d'y coucher: un soir, après avoir soupé, tête à tête, nous allâmes nous promener au jardin, par un très beau clair de lune. Au fond de ce jardin étoit un assez grand taillis par où nous fúmes chercher un joli bosquet, orné d'une cascade dont je lui avois donné l'idée et qu'elle avoit fait exécuter. Souvenir immortel d'innocence et de jouissance! Ce fut dans ce bos quet qu'assis avec elle sur un banc de gazon, sous un acacia tout chargé de fleurs, je trouvai, pour rendre les mouvements de mon cœur, un langage vraiment digne d'eux. Ce fut la première et l'unique fois de ma vie; mais je fus sublime, si l'on peut nommer ainsi tout ce que l'amour le plus tendre et le plus ardent peut porter d'aimable et de séduisant dans un cœur d'homme. Que d'enivrantes larmes je versai sur ses genoux! que je lui en fis verser malgré elle! Enfin, dans un transport involontaire, elle s'écria: Non, jamais homme ne fut si aimable, et jamais amant n'aima comme vous! Mais votre ami Saint-Lambert nous écoute, et mon cœur ne sauroit aimer deux fois. Je me tus en soupirant; je l'embrassai;.... quel embrassement! Mais ce fut tout. Il y avoit six mois qu'elle vivoit seule, c'est-àdire loin de son amant et de son mari; il y en avoit trois que je la voyois presque tous les jours, et toujours l'amour en tiers entre elle et moi. Nous avions soupé tête à tête, nous étions seuls, dans un bosquet, au clair de la lune, et, après deux heures de l'entretien le plus vif et le plus tendre, elle sortit, au milieu de la nuit, de ce bosquet et des bras de son ami, aussi intacte, aussi pure de corps et de cœur qu'elle y étoit entrée. Lecteur, pesez toutes ces circonstances; je n'ajouterai rien de plus.

Et qu'on n'aille pas s'imaginer qu'ici mes sens me laissoient tranquille, comme auprès de Thérèse et de maman. Je l'ai déja dit; c'étoit de l'amour cette fois, et l'amour dans toute son énergie et dans toutes ses fureurs. Je ne décrirai ni les agitations, ni les frémissements, ni les palpitations, ni les mouvements convulsifs, ni les défaillances de cœur que j'éprouvois continuellement, on en pourra juger par l'effet que sa seule image faisoit sur moi. J'ai dit qu'il y avoit loin de l'Hermitage à Eaubonne: je passois par les coteaux d'Andilly, qui sont charmants. Je rêvois, en marchant, à celle que j'allois voir, à l'accueil caressant qu'elle me feroit, au baiser qui m'attendoit à mon arrivée. Ce seul baiser, ce baiser funeste, avant même de le recevoir, m'embrasoit le sang à tel point, que ma tête se troubloit; un éblouissement m'aveugloit, mes genoux tremblants ne pouvoient me soutenir, j'étois forcé de m'arrêter, de m'asseoir; toute ma machine étoit dans un désordre inconcevable: j'étois prêt à m'évanouir. Instruit du danger, je tâchois, en partant, de me distraire et de penser à autre chose. Je n'avois pas fait vingt pas que les mêmes souvenirs et tous les accidents qui en étoient la suite revenoient m'assaillir sans qu'il me fût possible de m'en délivrer, et, de quelque façon que je m'y sois pu prendre, je ne crois pas qu'il me soit jamais arrivé de faire seul ce trajet impunément. J'arrivois à Eaubonne, foible, épuisé, rendu, me soutenant à peine. A l'instant que je la voyois, tout étoit réparé; je ne sentois plus auprès d'elle que l'importunité d'une vigueur inépuisable et toujours inutile. Il y avoit sur ma route, à la vue d'Eaubonne, une

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