1 ment que je portois moi-même sur l'application des traits dont elle auroit pu s'offenser. Mon imbécillité fut telle, que je ne doutois pas qu'elle ne fût enchantée de mon procédé. Elle ne me fit pas là-dessus les grands compliments que j'en attendois, et jamais, à ma très grande surprise, elle ne me parla du cahier que je lui avois envoyé. Pour moi, toujours charmé de ma conduite dans cette affaire, ce ne fut que long-temps après que je jugeai, sur d'autres indices, de l'effet qu'elle avoit produit. J'eus encore, en faveur de son manuscrit, une autre idée plus raisonnable, mais qui, par des effets plus éloignés, ne m'a guère été plus avantageuse; tant tout concourt à l'œuvre de la destinée quand elle appelle un homme au malheur. Je pensai d'orner ce manuscrit des dessins des estampes de la Julie, lesquels dessins se trouvèrent être du même format que le manuscrit. Je demandai à Coindet ces dessins, qui m'appartenoient à toutes sortes de titres, et d'autant plus que je lui avois abandonné le produit des planches, lesquelles eurent un grand débit. Coindet est aussi rusé que je le suis peu. A force de se faire demander ces dessins, il parvint à savoir ce que j'en voulois faire. Alors, sous, prétexte d'ajouter quelques ornements à ces dessins, il se les fit laisser, et finit par les présenter lui même. Ego versiculos feci, tulit alter honores. : Cela acheva de l'introduire à l'hôtel du Luxem bourg sur un certain pied. Depuis mon établissement au petit château, il m'y venoit voir très souvent, et toujours dès le matin, sur-tout quand M. et madame de Luxembourg étoient à Montmorency. Cela faisoit que, pour passer avec lui la journée, je n'allois point au château. On me reprocha des absences : j'en dis la raison. On me pressa d'amener M. Coindet; je le fis: c'étoit ce que le drôle avoit cherché. Ainsi, graces aux bontés excessives qu'on avoit pour moi, un commis de M. Thelusson, qui vouloit bien lui donner quelquefois sa table quand il n'avoit personne à dîner, se trouva tout d'un coup admis à celle d'un maréchal de France, avec les princes, les duchesses, et tout ce qu'il y avoit de grand à la cour. Je n'oublierai jamais qu'un jour, qu'il étoit obligé de retourner à Paris de bonne heure, M. le maréchal dit après le dîné à la compagnie: Allons nous promener sur lechemin de St.-Denis, nous accompagnerons M. Coindet. Le pauvre garçon n'y tint pas; sa tête s'en alla tout-à-fait. Pour moi, j'avois le cœur si ému, que je ne pus dire un seul mot. Je suivois par derrière, pleurant comme un enfant, et mourant d'envie de baiser les pas de ce bon maréchal : mais la suite de cette histoire de copie m'a fait anticiper ici sur les temps. Reprenons-les dans leur ordre, autant que ma mémoire me le permettra. Sitôt que la petite maison de Mont-Louis fut prête, je la fis meubler proprement, simplement, et retournai m'y établir, ne pouvant renoncer à cette loi que je m'étois faite en quittant l'Hermitage d'avoir toujours mon logement à moi; mais je ne pus me résoudre non plus à quitter mon appartement du petit château. J'en gardai la elef, et, tenant beaucoup aux jolis déjeùnés du péristyle, j'allois souvent y coucher, et j'y passois quelquefois deux ou trois jours, comme à une maison de campagne. J'étois peut-être alors le particulier de l'Europe le mieux et le plus agréablement logé. Mon hôte, M. Mathas, qui étoit le meilleur homme du monde, m'avoit absolument laissé la direction des réparations de MontLouis, et voulut que je disposasse de ses ouvriers, sans même qu'il s'en mêlât. Je trouvai donc le moyen de me faire d'une seule chambre au premier un appartement complet, composé d'une chambre, d'une antichambre et d'une garderobe. Au rez-de-chaussée étoit la cuisine et la chambre de Thérèse. Le donjon me servoit de cabinet, au moyen d'une bonne cloison vitrée et d'une cheminée qu'on y fit faire. Je m'amusai, quandj'y fus, à orner la terrasse qu'ombrageoient déja dcux rangs de jeunes tilleuls; j'y en fis ajouter deux pour faire un cabinet de verdure; j'y fis poser une table et des bancs de pierre; je l'entourai de lilas, de seringa, de chèvre-feuille; j'y fis faire une belle plate-bande de fleurs paralléle aux deux rangs d'arbres, et cette terrasse, plus élevée que celle du château, dont la vue étoit du moins aussi belle, [et sur laquelle j'avois appri voisé des multitudes d'oiseaux, ] me servoit de salle de compagnie pour recevoir M. et madame de Luxembourg, M. le duc de Villeroy, M. le prince de Tingry, M. le marquis d'Armentières, madame la duchesse de Montmorency, madame la duchesse de Boufflers, madame la comtesse de Valentinois, madame la comtesse de Boufflers, et beaucoup d'autres personnes de ce rang qui, du château, ne dédaignoient pas de faire, par une montée très fatigante, le pélerinage de Mont Louis. Je devois à la faveur de M. et de madame de Luxembourg toutes ces visites; je le sentois, et mon cœur leur en faisoit bien l'hommage, C'est dans un de ces transports d'attendrissement que je dis une fois à M. de Luxembourg en l'em brassant: Ah! M. le maréchal, je haïssois les grands avant que de vous connoître, et je leshais davantage encore, depuis que vous me faites si bien sentir combien il leur est aisé de se faire adorer. Au reste, j'interpelle tous ceux qui m'ont vu durant cette époque, s'ils se sont jamais aperçus que cet éclat m'ait un seul instant ébloui, que la vapeur de cet encens m'ait porté à la tête; s'ils m'ont vu moins uni dans mon maintien, moins simple dans mes manières, moins liant avec le peuple, moins familier avec mes voisins, moins prompt à rendre service à tout le monde, quand jeľ'ai pu, sans me rebuter jamais des importuni tés sans nombre et souvent déraisonnables dont j'étois sans cesse accablé. Si mon cœur m'attiroit 4 au château de Montmorency par mon sincère attachement pour les maîtres, il me ramenoit de même à mon voisinage goûter les douceurs de cette vie égale et simple, hors de laquelle il n'est point de bonheur pour moi. Thérèse avoit fait amitié avec la fille d'un maçon mon voisin, nommé Pilleu: je la fis de même avec le père; et, après avoir le matin dîné au château, non sans gêne, mais pour complaire à madame la maréchale, avec quel empressement je revenois le soir souper avec le bon homme Pilleu et sa famille, tantôt chez lui, tantôt chez moi! Outre ces deux logements, j'en eus bientôt un troisième à l'hôtel de Luxembourg, dont les maîtres me pressèrent si fort d'aller les y voir quelquefois, que j'y consentis malgré mon aversion pour Paris, où je n'avois été depuis ma retraite à l'Hermitage que les deux seules fois dont j'ai parlé: encore n'y allois-je que les jours convenus, uniquement pour souper et m'en retourner le lendemain matin. J'entrois et sortois par le jardin qui donnoit sur le boulevard, de sorte que je pouvois dire avec la plus exacte vérité que je n'avois pas mis le pied sur le pavé de Paris. Au sein de cette prospérité passagère se préparoit de loin la catastrophe qui devoit en marquer la fin. Peu de temps après mon retour à Mont-Louis, j'y fis, et bien malgré moi comme à l'ordinaire, une nouvelle connoissance qui fait encore époque dans mon histoire. On jugera 1 |