à la fuite du recueil, trop volumineux pour que je puisse espérer de les fouftraire à la vigilance de mes argus, je les tranfcrirai dans cet écrit même, lorfqu'elles me paroîtront fournir quelque éclaircissement, soit à mon avantage foit à ma charge: car je n'ai pas peur que le lecteur oublie jamais que je fais mes confessions pour croire que je fais mon apologie; mais il ne doit pas s'attendre non plus que je taise la vérité, lorsqu'elle parle en ma faveur. Au reste, cette seconde partie n'a que cette même vérité de commune avec la première, ni d'avantage sur elle que par l'importance des choses. A cela près, elle ne peut que lui être inférieure en tout. J'écrivois la première avec plaifir, avec complaisance, à mon aise, à Wootton ou dans le château de Trie: tous les souvenirs que j'avois à me rappeler étoient autant de nouvelles jouissances. J'y revenois fans cesse avec un nouveau plaifir, & je pouvois tourner mes defcriptions sans gêne jusqu'à ce que j'en fuffe content. Aujourd'hui ma mémoire & ma tête affoiblies me rendent presque incapable de tout travail; je ne m'occupe de celuici que par force & le cœur ferré de détresse. Il ne m'offre que malheurs, arahisons, perfidies, que souvenirs attriftans & déchirans. Je voudrois pour tout au monde pouvoir enfevelir dans la nuit des temps ce que j'ai à dire, & forcé de parler malgré moi, je suis réduit encore à me cacher, à rufer, à tâcher de donner le change, à m'avilir aux choses pour lesquelles j'étois le moins né; les planchers sous lesquels je suis, ont des yeux, les murs qui m'entourent ont des oreilles; environné d'espions & de surveillans malveillans & vigilans, inquiet & diftrait, je jette à la hate fur le papier quelques mots interrompus qu'à peine j'ai le temps de relire, encore moins de corriger. Je fais que malgré les barrières immenfes qu'on entasse sans cesse autour de moi, l'on craint toujours que la vérité ne s'échappe par quelque fiffure. Comment m'y prendre pour la faire percer? Je le tente avec peu d'efpoir de fuccès. Qu'on juge si c'est-là de quoi faire des tableaux agréables & leur ! donner un coloris bien attrayant! J'avertis donc ceux qui voudront commencer cette lecture, que rien en la poursuivant ne peut les garantir de l'ennui, si ce n'est le defir d'achever de connoître un homme, & l'amour sincère de la justice & de la vérité. Je me suis laissé dans ma première Partie, partant à regret pour Paris, déposant mon cœur aux Charmettes, y fondant mon dernier château en Espagne, projettant d'y rapporter un jour aux pieds de maman, rendue à elle-même, les trésors que j'aurois acquis, & comptant fur mon systême de musique, comme fur une fortune afsurée. Je m'arrêtai quelque temps à Lyon pour y voir mes connoissances, pour m'y procurer quelques recommandations pour Paris & pour vendre mes livres de Géométrie que j'avois apportés avec moi. Tout le monde m'y fit accueil. M. & Mde. de Mably marquèrent du plaifir à me revoir, & me donnèrent à dîner plusieurs fois. Je fis chez eux connoiffance avec l'Abbé de Mably, comme je l'avois déjà faite avec l'abbé de Condil lac, qui tous deux étoient venus voir leur frère. L'abbé de Mably me donna des lettres pour Paris, entr'autres une pour M. de Fontenelle & une pour le comte de Cavlus. L'un & l'autre me furent des connoissances très-agréables, fur-tout le premier qui jusqu'à sa mort n'a point cessé de me marquer de l'amitié, & de me donner dans nos tête-àtêtes des conseils dont j'aurois dû mieux profiter. Je revis M. Bordes avec lequel j'avois depuis long-temps fait connoiffance, & qui m'avoit souvent obligé de grand cœur & avec le plus vrai plaifir. En cette occafion je le retrouvai toujours le même. Ce fut lui qui me fit vendre mes livres, & il me donna par lui-même ou me procura de bonnes recommandations pour Paris. Je revis M. l'Intendant dont je devois la connoiffance à M. Bordes, & à qui je dus celle de M. le duc de Richelieu qui passa à Lyon dans ce tempslà. M. Pallu me présenta à lui. M. de Richelieu me reçut bien, & me dit de l'aller voir à Paris; ce que je fis plufieurs fois, fans pourtant que cette haute connoissance dont j'aurai souvent à parler dans la suite, m'ait été jamais utile à rien. Je revis le muficien David qui m'a voit rendu service dans ma détresse, à un de mes précédens voyages. Il m'avoit prêté ou donné un bonnet && des bas que je ne lui ai jamais rendus & qu'il ne m'a jamais redemandés, quoique nous nous soyions revus souvent depuis ce temps-là. Je lui ai pourtant fait dans la fuite un présent à-peu-près équivalent. Je dirois mieux que cela, s'il s'agissoit ici de ce que j'ai dû; mais il s'agit de ce que j'ai fait, & malheureusement ce n'eft pas la même chose. Je revis le noble & généreux Perri chon, & ce ne fut pas fans me reffentir de sa magnificence ordinaire, car il me fit le même cadeau qu'il avoit fait auparavant au gentil Bernard, en me défrayant de ma place à la diligence. Je revis le chirurgien Parifot, le meilleur & le mieux-faifant des hommes; je revis sa chère Godefroy qu'il entretenoit depuis dix ans, & dont la douceur de caractère & la bonté de cœur faifoient |