rement. M. de Richelieu commença judicieusement par s'informer de qui étoient les vers de ce monologue. Je lui présentai le manufcrit qu'il m'avoit envoyé, & qui faisoit foi qu'ils étoient de Voltaire. En ce cas, dit-il, c'est Voltaire seul qui a tort. Durant la répétition tout ce quiétoit de moi fut successivement improuvé par - Mde. de la Poplinière & juftifié par M. de Richelieu. Mais enfin j'avois affaire à trop forte partie, & il me fut fignifié qu'il y avoit à refaire à mon tra vail plusieurs choses sur lesquelles il falloit consulter M. Rameau. Navré d'une con i - clusion pareille, au lieu deséloges que j'attendois, & qui certainement m'étoient dus, je rentrai chez moi la mort dans le cœur. J'y tombai malade, épuisé de fatigue, dévoré de chagrin ; & de fix semaines je ne fus en état de fortir. Rameau, qui fut chargé des changemens indiqués par Mde. de la Poplinière, m'envoya demander l'ouverture de mon grand opéra, pour la substituer à celle que je venois de faire. Heureusement je sentis le croc-en-jambe, & je la refusai. Comme il n'y avoit plus que cinq ou fix jours, jusqu'à la représentation, il n'eut pas le temps d'en faire une, & il fallut laisser la mienne. Elle étoit à l'italienne & d'un style très-nouveau pour lors en France. Cependant elle fut goûtée, & j'appris par M. de Valmalette, maître d'hôtel du roi & gendre de M. Mussard, mon parent & mon ami, que les amateurs avoient été trèscontens de mon ouvrage, & que le public ne l'avoit pas diftingué de celui de Rameau; mais celui-ci, de concert avec Mde. de la Poplinière, prit des mesures pour qu'on ne sût pas même que j'y avois travaillé. Sur les livres qu'on diftribue aux spectateurs, & où les auteurs font toujours nommés, il n'y eut de nommé que Voltaire; & Rameau aima mieux que son nom fût supprimé, que d'y voir afsocier le mien. Si tôt que je fus en état de sortir, je voulus aller chez M. de Richelieu: il n'étoit plus temps. Il venoit de partir pour Dunkerque, où il devoit commander le débarquement destiné pour l'Ecoffe. A fon retour, je me dis, pour autorifer ma paresse, qu'il étoit trop tard. Ne l'ayant plus revu depuis lors, j'ai perdu l'honneur que méritoit mon ouvrage, l'honoraire qu'il devoit me produire; & mon temps, mon travail, mon chagrin, ma maladie & l'argent qu'elle me coûta, tout cela fut à mes frais, sans me rendre un sol de bénefice, ou plutôt de dédommagement. Il m'a cependant toujours paru que M. de Richelieu avoit naturellement de l'inclination pour moi, & pensoit avantageusement de mes talens. Mais mon malheur & Mde. de la Poplinière empêchèrent tout l'effet de sa bonne volonté. Je ne pouvois rien comprendre à l'aversion de cette femme, à qui je m'étois efforcé de plaire, & à qui je faifois assez régulièrement ma cour. Gauffecourt m'en expliqua les causes. D'abord, me dit-il, fon amitié pour Rameau, dont elle est la prôneuse en titre, & qui ne veut fouffrir aucun concurrent ; & de plus un péché originel qui vous damne auprès d'elle, & qu'elle ne vous pardonnera jamais, c'est d'être Genevois. Là-dessus, il m'expliqua que l'abbé Hubert qui T'étoit, & fincère ami de M. de la Popli nière, avoit fait ses efforts pour l'empêcher d'épouser cette femme qu'il connoiffoit bien, & qu'après le mariage elle lui avoit voué une haine implacable, ainsi qu'à tous les Genevois. Quoique la Poplinière, ajouta-t-il, ait de l'amitié pour vous, & que je le sache, ne comptez pas fur fon appui. Il est amoureux de sa femme; elle vous hait, elle est méchante, elle est adroite, vous ne ferez jamais rien dans cette maison. Je me le tins pour dit. Ce même Gauffecourt me rendit à peu près dans le même temps un service dont j'avois grand besoin. Je venois de perdre mon vertueux père, âgé d'environ foixante ans. Je fentis moins cette perte que je n'aurois fait en d'autre temps où les embarras de ma fituation m'auroient moins occupé. Je n'avois point voulu réclamer de fon vivant ce qui restoit du bien de ma mère, & dont il tiroit le petit revenu. Je n'eus plus là-dessus de scrupule après sa mort. Mais le défaut de preuve juridique de la mort de mon frère, faifoit une difficulté que Gauffecourt se chargea de lever, er, & qu'il leva en effet par les bons offices de l'avocat de Lolme. Comme j'avois le plus grand besoin de cette petite ressource, & que l'événement étoit douteux, j'en attendois la nouvelle définitive avec le plus vif - empressement. 1 : , Un foir en rentrant chez moi, je trouvai la lettre qui devoit contenir cette nouvelle, & je la pris pour l'ouvrir avec un tremblement d'impatience, dont j'eus honte au-dedans de moi. Eh quoi ! me dis-je avec dédain, Jean-Jacques se laiffera-t-il subjuguer à ce point par l'intérêt & par la curiofité? Je remis sur le champ la lettre fur ma cheminée. Je me déshabillai, me couchai tranquillement, dormis mieux qu'à mon ordinaire, & me levai le lendemain assez tard, fans plus penser à ma lettre. En m'habillant je l'apperçus, je l'ouvris sans me presser; j'y trouvai une lettre-de-change. J'eus bien des plaisirs à la fois; mais je puis jurer que le plus vif fut celui d'avoir fu me vaincre. J'aurois vingt traits pareils à citer en ma vie, mais je suis trop preffé pour pou voir tout dire. J'envoyai une petite partie |