Mde. de B.....e, ce petit jargon de Paris, tout en petits mots, tout en petites allusions fines. Il n'y avoit pas-là de quoi briller pour le pauvre JeanJacques. J'eus le bon sens de ne vouloir pas faire le gentil malgré Minerve, & je me tus. Heureux si j'eusse été toujours aussi sage ! Je ne ferois pas dans l'abîme où je suis aujourd'hui. J'étois défolé de ma lourdise, & de ne pouvoir justifier aux yeux de Mde. de B.....e ce qu'elle avoit fait en ma faveur. Après le dîner, je m'avisai de ma refsource ordinaire. J'avois dans ma poche une épître en vers écrite à Parifot pendant mon séjour à Lyon. Ce morceau ne manquoit pas de chaleur; j'en mis dans la façon de le réciter, & je les fis pleurer tous trois. Soit vanité, soit vérité dans mes interprétations, je crus voir que les regards de Mde. de B.....e disoient à sa mère: hé bien, Maman ! avois-je tort de vous dire que cet homme étoit plus fait pour dîner avec vous qu'avec vos femmes ? Jusqu'à ce moment j'avois eu le cœur un peu gros, mais après m'être ainsi yengé, je fus content. Mde. de B.....e poussant un peu trop loin le jugement avantageux qu'elle avoit porté de moi, crut que j'allois faire sensation dans Paris, & devenir un homme à bonnes fortunes. Pour guider mon inexpérience, elle me donna les Confeffions du Comte de ***. Ce livre, me ditelle, est un mentor dont vous aurez besoin dans le monde. Vous ferez bien de le consulter quelquefois. J'ai gardé plus de vingt ans cet exemplaire avec reconnoissance pour la main dont il me venoit; mais riant souvent de l'opinion que paroissoit avoir cette Dame de mon mérite galant. Du moment que j'eus lu cet ouvrage, je désirai d'obtenir l'amitié de l'auteur. Mon penchant m'inspiroit très-bien: c'est le seul ami vrai que j'aie eu parmi les gens de lettres (*) Dès-lors j'osai compter que, Mde. la baronne de B......l & Mde. la marquise de B.....e prenant intérêt à moi, ne me (*) Je l'ai cru si long temps & fi parfaitement. que c'est à lui que, depuis mon retour à Paris, je confiai le manufcrit de mes Confeffions. Le défiant J. J. n'a jamais pu croire à la perfidie & à la fausseté qu'après en avoir été la victime, laisseroient pas long-temps sans ressource, & je ne me trompai pas. Parlons maintenant de mon entrée chez Mde. D...n, qui a eu de plus longues suites. Mde. D...n étoit, comme on fait, fille de S....1 B.....d & de Mde. F......es Elles étoient trois fœurs qu'on pouvoit appeler les trois grâces. Mde. de la T....e, qui fit une escapade en Angleterre avec le duc de K......n. Mde. D...y, l'amie, l'unique & fincère amie de M. le P....e de C...i; femme adorable, autant par la douceur , par la bonté de fon charmant caractère, que par l'agrément 'de fon esprit, & par l'inaltérable gaieté de son humeur. Enfin Mde. D...n, la plus belle des trois, & la seule à qui l'on n'ait point reproché d'écart dans sa conduite. Elle fut le prix de l'hospitalité de M. D...n, à qui sa mère la donna avec une place de fermier - général & une fortune immenfe, en reconnoissance du bon accueil qu'il lui avoit fait dans sa province. Elle étoit encore, quand je la vis pour la premiere fois une des plus belles femmes de Paris, Elle me , reçut à sa toilette. Elle avoit les bras nuds, les cheveux épars, son peignoir mal arrangé. Cet abord m'étoit très-nouveau; ma pauvre tête n'y tint pas: je me trouble, je m'égare; & bref, me voilà épris de Mde. D...n. Mon trouble ne parut pas me nuire auprès d'elle; elle ne s'en apperçut point. Elle accueillit le livre & l'auteur, me parla de mon projet en personne instruite, chanta, s'accompagna du clavecin, me retint à dîner , me fit mettre à table à côté d'elle; il n'en falloit pas tant pour me rendre fou, je le devins. Elle me permit de la venir voir; j'usai, j'abusai de la permission. J'y allois presque tous les jours, j'y dinois deux ou trois fois la semaine. Je mourois d'envie de parler; je n'osai jamais. Plusieurs raisons renforçoient ma timidité naturelle. L'en trée d'une maison opulente étoit une porte ouverte à la fortune, je ne voulois pas, dans ma situation, risquer de me la fermer. Mde. D...n, toute aimable qu'elle étoit, étoit sérieuse & froide; je ne trouvois rien dans ses manières d'assez agaçant pour m'enhardir. Sa mais son, aussi brillante alors qu'aucune autre dans Paris, rassembloit des sociétés auxquelles il ne manquoit que d'être un peu moins nombreuses pour être d'élite dans tous les genres. Elle aimoit à voir tous les gens qui jettoient de l'éclat : les grands, les gens de lettres, les belles femmes. On ne voyoit chez elle que ducs, ambassadeurs, cordons - bleus. Mde. la princesse de Rohan, Mde. la comtesse de Forcalquier, Mde. de Mirepoix, Mde. de Brignolé, milady Hervey pouvoient passer pour ses amies. M. de Fontenelle, l'abbé de St. Pierre, l'abbé Sallier, M. de Fourmont, M. de Bernis, M. de Buffon, M. de Voltaire, étoient de son cercle & de ses dîners. Si fon maintien réservé n'attiroit pas beaucoup les jeunes gens, sa société d'autant mieux composée n'en étoit que plus imposante, & le pauvre J. J. n'avoit pas de quoi se flatter de briller beaucoup au milieu de tout cela. Je n'osai donc parler, mais ne pouvant plus me taire j'ofai écrire. Elle garda deux jours ma lettre fans m'en parler. Le troisième jour elle me la rendit, m'adressant ver |