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fêtes de la C.......e chez Mde. D'..... y fa belle-fœur. Ayant souvent passé plusieurs jours avec elle tant à la C.......e qu'à E....y, non-feulement je la trouvai toujours très-aimable, mais je crus lui voir aussi pour moi de la bienveillance. Elle aimoit assez à se promener avec moi; nous étions marcheurs l'un & l'autre, & l'entretien ne tarifsoit pas entre nous. Cependant, je n'allai jamais la voir à Paris, quoiqu'elle m'en eût prié & même sollicité plusieurs fois. Ses liaisons avec M. de St. L......t, avec qui je commençois d'en avoir, me la rendirent encore plus intéreffante, & c'étoit pour m'apporter des nouvelles de cet ami, qui, pour lors, étoit, je crois, à Mahon, qu'elle vint me voir à l'Hermitage.

Cette visite eut un peu l'air d'un début de roman. Elle s'égara dans la route. Son cocher, quittant le chemin qui tournoit, voulut traverser en droiture du moulin de Clairvaux à l'Hermitage : fon carrosse s'embourba dans le fond du vallon; elle voulut descendre & faire le reste du trajet à pied. Sa mignonne chauffure fut bientôt percée; elle enfonçoit dans

la crotte, ses gens eurent toutes les peines du monde à la dégager, & enfin elle arriva à l'Hermitage en bottes, & perçant l'air d'éclats de rire auxquels je mêlai les miens en la voyant arriver: il fallut changer de tout; Thérèse y pourvut, & je l'engageai d'oublier sa dignité pour faire une colation rustique, dont elle se trouva fort bien. Il étoit tard, elle resta peu; mais l'entrevue fut si gaie qu'elle y prit goût, & parut difposée à revenir. Elle n'exécuta pourtant ce projet que l'année suivante; mais, hélas! ce retard ne me garantit de rien.

Je passai l'automne à une occupation dont on ne se douteroit pas, à la garde des fruits de M. D'..... y. L'Hermitage étoit le réservoir des eaux du parc de la C.......e: il y avoit un Jardin clos de murs & garni d'espaliers, & d'autres arbres, qui donnoient plus de fruits à M. D'.....y que son potager de la C.......e, quoiqu'on lui en volât les trois quarts. Pour n'être pas un hôte abfolument inutile, je me chargeai de la direction du Jardin & de l'inspection du Jardinier. Tout alla bien jusqu'au temps des fruits; mais

à mesure qu'ils mûrissoient je les voyois disparoître, sans savoir ce qu'ils étoient devenus. Le Jardinier m'assura que c'étoient les loirs qui mangeoient tout. Je fis la guerre aux loirs; j'en détruisis beaucoup, & le fruit n'en disparoiffoit pas moins. Je guettai si bien qu'enfin je trouvai que le Jardinier lui-même étoit le grand loir. Il logeoit à Montmorenci, d'où il venoit les nuits avec sa femme & ses enfans, enlever les dépôts de fruits qu'il avoit fait pendant la journée, & qu'il faifoit vendre à la halle à Paris aussi publiquement que s'il eut eu un jardin à lui. Ce miférable que je comblois de bienfaits, dont Thérèse habilloit les enfans, & dont je nourrissois presque le père, qui étoit mendiant, nous dévalisoit aussi aisément qu'effrontément, aucun des trois n'étant assez vigilant pour y mettre ordre, & dans une seule nuit il parvint à vider ma cave, où je ne trouvai rien le lendemain. Tant qu'il ne parut s'adresser qu'à moi, j'endurai tout; mais voulant rendre compte du fruit, je fus obligé d'en dénoncer le voleur. Mde. D'..... y me pria de le payer, de le

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mettre dehors, & d'en chercher un autre, ce que je fis. Comme ce grand coquin rôdoit toutes les nuits autour de l'Hermitage, armé d'un gros bâton ferré qui avoit l'air d'une massue, & fuivi d'autres vauriens de fon espèce; pour raffurer les gouverneuses que cet homme effrayoit terriblement, je fis coucher fon fucceffeur toutes les nuits à l'Hermitage; & cela ne tranquillisant pas encore je fis demander à Mde. D'..... y un fufil que je tins dans la chambre du Jardinier, avec charge à lui de ne s'en fervir qu'au besoin, si l'on tentoit de forcer la porte ou d'escalader le jardin, & de ne tirer qu'à poudre, uniquement pour effrayer les voleurs. C'étoit assurément la moindre précaution que pût prendre pour la sûreté commune un homme incommodé, ayant à passer l'hiver au milieu des bois, feul avec deux femmes timides. Enfin, je fis l'acquisition d'un petit chien pour servir de sentinelle. De Leyre m'étant venu voir dans ce temps-là, je lui contai mon cas, & ris avec lui de mon appareil militaire. De retour à Paris il en voulut amufer Diderot à son tour, &

voilà comment le cotterie H........ e apprit que je voulois tout de bon passer Thiver à l'Hermitage. Cette constance qu'ils - n'avoient pu se figurer les désorienta, & en attendant qu'ils imaginassent quelqu'autre tracasserie pour me rendre mon séjour déplaisant, ils me détachèrent, par Diderot, ce même De Leyre, qui d'abord - ayant trouvé mes précautions toutes fim- ples, finit par les trouver inconféquentes à mes principes, & pis que ridicules, _ dans des lettres où il m'accabloit de plaifanteries amères, & affez piquantes pour m'offenser, si mon humeur eût été tour⚫née de ce côté-là. Mais alors saturé de sentimens affectueux & tendres, & n'étant fufceptible d'aucun autre, je ne voyois dans ses aigres sarcasmes que le mot pour rire, & ne le trouvois que folâtre, où tout autre l'eût trouvé extravagant.

A force de vigilance & de soins, je parvins à garder si bien le jardin, que quoique la récolte du fruit eût prefque manqué cette année, le produit fut triple de celui des années précédentes, & il est vrai que je ne m'épargnois point pour le préserver, jusqu'à escorter les

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