Images de page
PDF
ePub

mes devoirs. Quoique mon travail ne fût pas fort pénible, fur-tout avec l'aide de l'abbé de B...s, comme la correfpondance étoit très-étendue & qu'on étoit en temps de guerre, je ne laissois pas d'être occupé raisonnablemnt. Je travaillois tous les jours une bonne partie de la matinée, & les jours de courrier quelquefois jusqu'à minuit. Je consacrois le reste du temps à l'étude du métier que je commençois, & dans lequel je comptois bien, par le succès de mon début, être employé plus avantageusement dans la suite. En effet, il n'y avoit qu'une voix sur mon compte, à commencer par celle de l'ambassadeur, qui se louoit hautement de mon service, qui ne s'en est jamais plaint, & dont toute la fureur ne vint dans la suite que de ce que m'étant plaint inutilement moi-même, je voulus enfin avoir mon congé. Les ambassadeurs & ministres du roi avec qui nous étions en correfpondance, lui faisoient sur le mérite de fon secrétaire des complimens qui devoient le flatter, & qui dans sa mauvaise tête produisirent un effet tout contraire. Il en reçut un sur-tout, dans une circonftance essentielle, qu'il ne m'a jamais pardonné. Ceci vaut la peine d'être expliqué. Il pouvoit si peu se gêner, que le samedi même, jour de presque tous les courriers, il ne pouvoit attendre pour sortir que le travail fût achevé, & me talonnant fans cesse pour expédier les dépêches du Roi & des Ministres, il les fignoit en hâte, & puis couroit je ne sais où, laissant la plupart des autres lettres fans fignature, ce qui me forçoit, quand ce n'étoit que des nouvel les, de les tourner en bulletins; mais lorsqu'il s'agissoit d'affaires qui regardoient le service du Roi, il falloit bien que quelqu'un signât, & je signois. J'en ufai ainsi pour un avis important que nous venions de recevoir de M. Vins cent, chargé des affaires du Roi à Vienne. C'étoit dans le temps que le Prince de Lobkowitz marchoit à Naples, & que le Comte de Gages fit cette mémorable retraite, la plus belle manœuvre de guerre de tout le fiècle, & dont l'Europe a trop peu parlé. L'avis portoit qu'un homme dont M. Vincent nous envoyoit le signalement, partoit de Vienne & devoit passer à Venise allant furtivement dans l'Abruzze, chargé d'y faire foulever le peuple à l'approche des Autrichiens.

En l'absence de M. le Comte de M....... qui ne s'intéressoit à rien, je fis poffer à M. le Marquis de l'H.....l cet avis si à propos, que c'est peut-être à ce pauvre Jean-Jacques si bafoué, que la maison de Bourbon doit la conservation du royaume de Naples.

Le Marquis de l'H.....l, en remerciant fon collègue, comme il étoit juste, lui parla de son secrétaire & du service qu'il venoit de rendre à la cause commune. Le Comte de M......., qui avoit à se reprocher sa négligence dans cette affaire, crut entrevoir dans ce compliment un reproche, & m'en parla avec humeur. J'avois été dans le cas d'en user avec le Comte de C........e, Ambassadeur à Constantinople comme avec le Marquis de l'H.....1, quoiqu'en choses moins importantes. Comme il n'y avoit point d'autre pofte pour Conftantinople que les courriers que le fenat envoyoit de temps en temps à son Bayle, on donnoit avis du départ de ces courriers à l'Ambassadeur de France, pour qu'il pût écrire par cette voie à fon collègue, s'il le jugeoit à propos. Cet avis venoit d'ordinaire un jour ou deux à l'avance: mais on faisoit si peu de cas de M. de M......., qu'on se contentoit d'envoyer chez lui, pour la forme, une heure ou deux avant le départ du courrier; ce qui me mit plusieurs fois dans le cas de faire la dépêche en son abfence. M. de C........e, en y répondant, faisoit mention de moi en termes honnêtes; autant en faisoit à Gênes M. de Jonville; autant de nouveaux griefs.

J'avoue que je ne fuyois pas l'occafion de me faire connoître; mais je ne la cherchois pas non plus hors de propos, & il me paroissoit fort juste, en servant bien, d'aspirer au prix naturel des bons services, qui est l'estime de ceux qui font en état d'en juger & de les récompenfer. Je ne dirai pas fi mon exactitude à remplir mes fonctions étoit de la part de l'Ambassadeur un légitime sujet de plainte, mais je dirai bien que c'est c'est le seul qu'il ait articulé jusqu'au jour de notre séparation.

Sa maison, qu'il n'avoit jamais mise sur un trop bon pied, se remplissoit de canaille: les François y étoient mal traités, les Italiens y prenoient l'ascendant, & même parmi eux les bons serviteurs, attachés depuis long-temps à l'ambassade, furent tous mal - honnêtement chassés, entr'autres fon premier Gentilhomme, qui l'avoit été du Comte de F.....y, & qu'on appeloit, je crois, le comte Peati, ou d'un nom très-approchant. Le second gentilhomme, du choix de M. de M....... étoit un bandit de Mantoue, appelé Dominique Vitali, à qui l'ambassadeur confia le soin de fa maison, & qui, à force de patelinage & de basse lésine, obtint sa confiance & devint son favori, au grand préjudice du peu d'honnêtes gens qui y étoient encore, & du secrétaire qui étoit à leur tête. L'œil intègre d'un honnête homme est toujours inquiétant pour les fripons. Il n'en auroit pas fallu davantage pour que celui - ci me prît en haine; mais cette haine avoit

une autre caufe encore, qui la rendit.

Second Suppl. Tome I.

D

« PrécédentContinuer »