paraître. Un ami prêta cet écrit à M. Vinet, qui désira que le Semeur en dit un mot et trouva la force de dicter l'article que nous réimprimons. C'était le 10 avril 1847, au fort de sa dernière maladie M. Vinet a ainsi achevé son œuvre avec sa vie. On a cru devoir disposer, dans cette seconde édition, les articles réunis dans ce volume suivant un nouvel ordre, qui fera mieux ressortir, quelques-unes des intentions de l'auteur. Le premier morceau, rétabli d'après les notes de M. Vinet et les cahiers de ses auditeurs, est la seule addition faite à l'ouvrage par les éditeurs. SUR BLAISE PASCAL. I. BLAISE PASCAL. 1623-1662. Fragment d'un Cours sur les moralistes français, donné à Bâle en 1833. Pascal, Messieurs, nous appartient sous tous les rapports; il occupe dans le siècle de Louis XIV une place qui touche à tout. Religion, science, philosophie, politique même, histoire des lettres, sa main puissante s'est empreinte sur tout. Il a précisé, armé, vivifié, fixé la prose française. Il a fondé l'apologétique sur le sens moral et sur les besoins de l'homme. Si l'on voulait résumer ce que fut Pascal, il faudrait détacher cette page du livre des Pensées : La distance infinie des corps aux esprits figure « la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité; car elle est surnaturelle. Tout l'éclat des grandeurs n'a point de lustre a pour les gens qui sont dans les recherches de l'esprit. La grandeur des gens d'esprit est invisible « aux riches, aux rois, aux conquérants, et à tous a ces grands de chair. La grandeur de la sagesse ( qui vient de Dieu est invisible aux charnels et aux gens d'esprit. Ce sont trois ordres de différents « genres. Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leurs victoires, et n'ont nuls besoins des grandeurs charnelles, qui n'ont nuls rapports avec celles qu'ils cherchent. Ils sont vus des esprits, « non des yeux; mais c'est assez. Les saints ont leur empire, leur éclat, leurs grandeurs, leurs victoires, << et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles ou << spirituelles qui ne sont pas de leur ordre, et qui « n'ajoutent ni n'ôtent à la grandeur qu'ils désirent. «Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps < ni des esprits curieux: Dieu leur suffit. « Archimède, sans aucun éclat de naissance, serait « en même vénération. Il n'a pas donné des batailles, « mais il a laissé à tout l'univers des inventions admi«rables. Oh! qu'il est grand et éclatant aux yeux de « l'esprit! Jésus-Christ, sans bien et sans aucune pro«duction de science au dehors, est dans son ordre de sainteté. Il n'a point donné d'inventions, il n'a « point régné; mais il est humble, patient, saint de vant Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. «Oh! qu'il est venu en grande pompe et en une pro« digieuse magnificence aux yeux du cœur, et qui avoient la sagesse! « Il eût été inutile à Archimède de faire le prince << dans ses livres de géométrie, quoiqu'il le fût. Il eût « été inutile à notre Seigneur Jésus-Christ, pour écla«ter dans son règne de sainteté, de venir en roi: mais << qu'il est bien venu avec l'éclat de son ordre! ... « Il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s'il n'y en avait pas de spirituelles; et d'autres qui n'admirent que les spirituelles, comme s'il n'y en avait pas d'infiniment « plus hautes dans la sagesse. « Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre « et les royaumes, ne valent pas le moindre des es« prits; car il connaît tout cela, et soi-même; et le < corps, rien. « Tous les corps et tous les esprits ensemble, et << toutes leurs productions, ne valent pas le moindre « mouvement de charité; car elle est d'un ordre infi«niment plus élevé. « De tous les corps ensemble on ne saurait tirer la << moindre pensée : cela est impossible, et d'un autre « ordre. Tous les corps et les esprits ensemble ne << sauraient produire un mouvement de vraie charité : « cela est impossible, et d'un autre ordre tout sur« naturel (1). Par son exemple, tout autant que par ses paroles, Pascal nous a appris à mettre entre la charité et la plus haute valeur de l'esprit la distance qui les sépare. Nous ne le sentons guère naturellement; une de nos misères, c'est de préférer aux grâces morales, aux (1) II Partie, Art. X, § 1. |