hors de la portée des fleches, & les Baures ayant atteint le faint homme, se jetterent fur lui avec fureur & le percerent de plusieurs coups, tandis qu'il invoquoit les faints noms de Jesus & de Marie, & qu'il offroit son sang pour la convertion de ceux qui le répandoient d'une maniere si cruelle. Enfin un de ces barbares lui arrachant la croix qu'il tenoit en main, lui déchargea fur la tête un grand coup de hache dont il expira sur l'heure. Ainfi mourut le Pere Cyprien Baraze, le 16 de Septembre de l'année 1702, qui étoit la foixante- unieme de fon âge, après avoir employé vingt-fept ans & deux mois & demi à la converfion des Moxes. Sa mort arriva le même jour qu'on célébre celle des faints Corneille & Cyprien; Dieu permit que portant le nom d'un de ces faints Martyrs, & s'étant consacré aux mêmes fonctions pendant sa vie, il fût récompensé de ses travaux par une mort semblable. Il s'étoit disposé à une fin fi glorieuse par l'exercice des plus héroïques vertus. L'amour dont il brûloit pour Dieu, & fon zele ardent pour le salut des ames, ne lui faifoient trouver rien d'impoffible; 2 1 sa mortification alloit jusqu'à l'excès. Outre les difciplines sanglantes & un rude ciliće dont il étoit presque toujours couvert, sa vie étoit un jeûne perpétuel; il ne vivoit dans tous ses voyages que des racines qui croissent dans le pays; c'étoit beaucoup lorsqu'il y ajoutoit quelque morceau de finge enfumé que les Indiens lui donnoient quelquefois par aumône. Son fommeil ne dura jamais plus de quatre heures; quand une fois il eut bâti son Eglife, il le prenoit toujours afsis au pied de l'Autel. Dans ses courses presque continuelles, il dormoit à l'air, fans se précautionner contre les pluies fréquentes ni contre le froid qui eft quelquefois très-piquant. Les Missionnaires ont coutume, quand ils navigent fur les rivieres, de se servir d'un parafol pour se mettre à couvert des rayons de feu que le soleil darde à plomb dans un pays fi voisin de la zone torride. Pour lui il ne voulut jamais prendre un foulagement si nécessaire. On fçait combien la persécution des mosquites est insupportable; il y en a quelquefois dans ces terres une quantité si prodigieuse, que l'air en eft obf curci comme d'une nue épaisse; le Pere Cyprien refusa constamment de se mettre en garde contre leurs morsures. Les bas sentimens qu'il avoit de luimême, l'avoient rendu comme infenfible aux injures & aux outrages qu'il eut souvent à souffrir des Indiens. Il y en eut parmi eux qui en vinrent jusqu'à le traiter de fou & d'insensé. Le serviteur de Dieu ne leur répondoit que par les bons offices qu'il leur rendoit. Cet excès de bonté ne fut pas même du goût de quelques - uns des Missionnaires; ils se crurent obligés de l'avertir que des Chrétiens qui respectoient si peu fon caractere, étoient punissables; que le génie des Indiens les portoit naturellement à abuser d'une telle condescendance, & que sa patience ne serviroit qu'à les rendre plus infolens. Le saint homme avoit bien d'autres pensées; il leur répondoit avec sa douceur ordinaire, que Dieu sçauroit bien trouver d'autres moyens de le maintenir dans l'autorité qui lui étoit nécessaire pour traiter avec ces peuples, & que l'amour des croix & des humiliations étant l'efprit de l'Evangile qu'il leur annonçoit, il ne pouvoit trop leur enseigner par fon exemple cette philosophie toute divine. C'étoit dans l'oraison qu'il puisoit une force fi extraordinaire; malgré la multitude de ses occupations, il passoit plusieurs heures du jour & de la nuit en prieres; la piété avec laquelle il célébroit le faint Sacrifice de la Messe, en donnoit à tous les assistans; les tendres sentimens de sa dévotion envers la mere de Dieu, en inspiroient de semblables à ses Néophytes; il avoit composé plusieurs Cantiques en son honneur, que ces peuples chantoient continuellement; on n'entendoit gueres autre chose dans les chemins & dans les places publiques. Leur piété envers cette Mere des miséricordes est si bien établie, qu'ils ne manquent jamais d'approcher des Sacremens, toutes les fois qu'on célebre quelqu'une de ses Fétes. Tant de vertus de l'homme apoftolique furent récompensées, non-feulement par une mort précieuse, mais encore par la confolation que Dieu lui donna de voir une Chrétienté nombreuse & florissante, toute formée de ses mains. Il avoit baptisé lui seul plus de quarante mille Idolâtres; il avoit trouvé des hommes dépourvus de tout fentiment d'humanité, & plus féroces que les bêtes mêmes; & il laissoit un grand peuple civilifé & rempli des plus hauts sentimens de piété & de Religion. Il n'étoit entré dans ces vastes contrées qu'avec un compagnon, & il laissoit après lui plus de trente Missionnaires héritiers de fes vertus & de fon zèle. Plaise au Seigneur de donner à fon Eglife un grand nombre d'ouvriers Evangéliques, qui retracent la vie & les vertus du Pere Cyprien Baraze, & qui, à son exemple, agrandiffent le Royaume de JesusChrist parmi tant de Nations infidelles. |