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gnie, & le zèle avec lequel vous pro curez les progrès de la Foi dans les pays les plus éloignés, nous oblige de vous en marquer notre reconnoifsance. C'est pour m'acquitter de ce devoir, & pour vous rendre compte de notre voyage de la Chine dont nous n'avons encore fait que la moitié, que je prends la liberté de vous écrire. Comme dans ce temps de guerre les Anglois & les Hollandois nous fermoient le passage des Détroits de la Sonde & de Mataque, qu'il faut passer l'un ou l'autre en faisant la route des Indes par l'orient; on a jugé plus à propos, pour éviter ce danger, de nous faire prendre le chemin du Détroit de Magellan & de la mer du Sud.

Ce fut fur la fin de l'année 1703 que nous partîmes de Saint-Malo, les Peres de Brasles, de Rives, Hebrard & moi fur deux (1) vaisseaux destinés pour aller à la Chine, & commandés par Messieurs du Coudray-Perée & Fouquet, hommes habiles, & fort expérimentés dans la navigation. Nous mimes à la voile le 26 de Décembre avec un vent favorable, qui nous conduifit

(1) Le Saint Charles & le Murinet.

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en quinze jours aux Canaries, que nous ne fîmes que reconnoître. Après avoir fouffert des calmes fâcheux sous la ligne pendant un mois entier, nous continuâmes notre route; &, après trois mois de navigation, nous nous trouvâmes environ à foixante lieues du Détroit de Magellan, que nous voulions passer pour entrer dans la mer du Sud.

Il me paroît assez inutile de vous faire une description de ce fameux Détroit, dont Ferdinand Magellan, si célebre par ses voyages autour du Monde, fit la premiere découverte il y a près de deux cens ans (1). J'ai mieux aimé vous en envoyer un plan correct & fidele, fait sur les dernieres observations, qui font beaucoup plus exactes que les précédentes. Nous étions déja entrés dans le premier canal qui se présente à l'entrée de ce Détroit, & nous avions même mouillé dans un enfoncement en deça de la baye Gregoire, lorsqu'il survint tout à coup un vent si impétueux, qu'il nous rompit fuccessivement quatre cables, & nous

(1) Ce fut en 1520. Tome VIII.

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fit perdre deux ancres. Nous nous trouvámes en danger de faire naufrage; mais Dieu, sensible à nos prieres & à nos vœux, voulut bien nous en délivrer pour nous réserver, comme nous l'espérons, à de plus rudes épreuves, & à fouffrir une mort plus glorieuse pour la gloire de fon nom & pour la défense de notre fainte Religion.

Pendant quinze jours que nous reftâmes. en ce premier canal pour chercher les ancres que nous avions perdues, & pour faire de l'eau dans une riviere que M. Baudran de Bellestre, un de nos Officiers, découvrit, & à qui il donna son nom, j'eus le plaisir de defcendre quelquefois à terre, pour y glorifier le Seigneur dans cette partie du monde où l'Evangile n'a point encore pénétré. Cette terre est rafe & unie, entrecoupée de petites collines. Le terroir me parut affez bon, & affez propre pour être cultivé. Il y a bien de l'apparence que c'est en ce lieu le moins large du Détroit, que les Espagnols, sous le regne de Philippe II, bâtirent la forteresse de Nombre de Dios, quand ils formerent la téméraire & inutile entreprise de fermer aux autres Nations le passage de Magellan, en y batissant deux villes. Ils

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envoyerent à ce dessein une nombreuse flotte sous la conduite de Sarmiento; mais la tempête l'ayant battue & difsipée, ce Capitaine arriva au Détroit en très-mauvais état. Il bâtit deux forteresses, l'une à l'entrée du Détroit, que je crois être Nombre de Dios, & l'autre un peu plus avant, qu'il appella la Ciudad del Rey Philippe, apparemment dans le lieu qu'on nomme aujourd'hui le Port-Famine, parce que ces malheureux Espagnols y périrent milérablement, faute de vivre & de tous les autres fecours. Cependant il ne paroît aucun vestige de ces forteresses, ni dans l'un, ni dans l'autre endroit. Nous ne vîmes aucun des habitans du pays, parce que ces peuples, aux approches de l'hiver, ont coutume de se retirer plus avant dans les terres. Mais quelques vaisseaux François qui nous ont précédé & qui nous ont suivi, en ont vu plusieurs plus avant dans le Détroit. Ils nous ont même assuré que ces peuples, qui paroissent dociles & fociables, font pour la plupart forts & robuftes, d'une taille haute, & d'une couleur basanée, semblable à celle des autres Américains.

Je ne vous parlerai point ici, mon Révérend Pere, de leur génie ni de leurs coutumes, pour ne rien dire d'incertain ou de faux; mais je prendrai la liberté de vous marquer les sentimens de compassion que la grace & la charité de Jesus-Christ m'inspirent sur cela, à la vue des épaisses ténebres qui font répandues fur cette terre abandonnée. Je considérois d'un côté le peu d'apparence qu'il y avoit qu'on pût entreprendre la conversion de ces pauvres peuples, & les difficultés immenses qu'il faudroit furmonter; de l'autre, la prophétie de Jesus-Christ touchant la propagation de l'Evangile dans tout l'Univers, me revenoit souvent à l'esprit; que Dieu a ses temps & fes momens marqués pour répandre en chaque climat les trésors de sa miféricorde; que depuis vingt ans nos Peres avoient porté l'Evangile dans des lieux aussi éloignés de la lumiere que ceux-ci; que peut-être Notre-Seigneur ne nous conduisoit à la Chine par ces routes nouvelles, qu'afin que quelqu'un de nous, touché du besoin de ces pauvres barbares, se déterminât à s'y arrêter; que bien de florissantes Missions devoient leur origine à un naufrage, ou à quelqu'autre rencontre qui paroissoit ne

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