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pour eux-mêmes le péril dont ils le délivrerent.

Après cette petite digression, je reviens à la suite de mon voyage. La saison étant trop avancée pour passer le Cap de Horn, nous fumes contraints d'hiverner dans la riviere; car nous avions alors l'hiver dans ces contrées, pendant que vous aviez l'été en Europe. Nous nous postâmes proche des isles de Saint-Gabriel, à une lieue de terre. Aufsitôt que nous eûmes mouillé, plufieurs Indiens vinrent nous apporter de la viande, & d'autres rafraîchissemens. Ces Indiens vont à la chasse des bœufs, qu'ils prennent fort aisément : ils ne font que leur jetter au col un nœud coulant, & ensuite ils les menent par-tout où ils veulent. Avant notre départ, des Indiens d'une autre Caste vinrent nous trouver : ils font la plupart idolâtres, belliqueux & redoutés dans toute l'Amérique méridionale. Il regne parmi ces peuples un usage qui nous furprit étrangement: leur coutume est de tuer les femmes dès qu'elles passent trente ans: ils en avoient amené une avec eux qui n'avoit que 24 ans : un de ces Indiens me dit qu'elle étoit déja bien

vieille, & qu'elle n'avoit plus gueres à vivre, parce que dans peu d'années on devoit l'assommer. Nos Peres ont converti à la foi un affez grand nombre d'Indiens de cette Caste. Il est à souhaiter pour les femmes qu'on les puisse tous convertir.

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Le 25 de Septembre, on mit à la voile pour fortir de la riviere, & le lendemain on vint mouiller à Montevidiol. Lorsque nous y passames au mois d'Avril en montant la riviere, nous penfâmes y périr: nous y courûmes un danger bien plus grand cette seconde fois. Nous y fùmes pris d'un ouragan si affreux que, pendant fix heures, nous nous crûmes perdus fans ressource. Cinq ancres que nous avions mouillées ne purent tenir, & nous tombions sur la côte toute escarpée de pointes de rochers, où il n'étoit pas poffible de nous sauver. Je vis alors couler bien des larmes & former beaucoup de saintes résolutions. On fut fur le point de couper tous les mats pour foulager le navire : mais avant que d'en venir à cette exécution, j'exhortai l'équipage à implorer le secours de Dieu. Nous fimes un vœu à sainte Rose, Patrone du Pérou, & nous promîmes qu'aussi-tôt que nous ferions ar

rivés au premier port du Pérou, nous irions en procession à l'églife, nuds pieds & en habits de pénitens; que nous y entendrions une messe chantée folemnellement, & que nous participerions aux faints mysteres avec toute la dévotion dont nous étions capables. A peine eûmes-nous fait ce vœu, que nous nous apperçûmes que Dieu nous exauçoit. Nos ancres qui jusqu'alors n'avoient fait que glisser sur le fond sans pouvoir mordre, s'arrêterent tout à coup, & peuà-peu le vent s'appaifa.

Le 30, nous partîmes de Montevidiol, & fortant d'un danger, nous tombâmes dans un autre où notre navire devoit mille fois périr, fi nous eussions eu du vent. Nous rangeâmes l'Isle de Flore à la portée du canon; & étant par fon travers, nous échouâmes fur une pointe de roche, où immanquablement le navire se fût ouvert, fi nous n'eussions pas été en calme. Nous nous en tirâmes fans aucun dommage: le vent contraire qui furvint ensuite, nous obligea de rester quelques jours proche de l'Isle. Nous eûmes la curiosité d'y aller: on n'y voit que des loups & des lions marins.. Le lion marin ne differe du loup marin, que par de longues foies qui lui

pendent du col. Nous en vîmes d'auffi gros que des taureaux : on en tua quelques-uns: le corps de ces animaux n'est qu'une masse de graiffe, dont on tire de l'huile. Rien n'est plus aisé que de les tuer: il suffit de les frapper fur le bout du nez, & incontinent ils perdent tout leur fang par cette blefsure; mais pour cela il les faut surprendre endormis sur les rochers, ou un peu avancés dans les terres : comme ils ne font que ramper, il est aisé de leur couper le chemin : cependant si vous faifiez un faux pas, & qu'ils pussent vous atteindre, ce feroit fait de votre vie : d'un seul coup de dent, ils couperoient le corps. d'un homme en deux.

Le 1er de Novembre nous passâmes le détroit le Maire en peu de temps, parce que les courans nous étoient favorables. Nous entrâmes le foir dans; la baye du bon Succès pour y faire de l'eau. Cette baye est de la Terre-deFeu, vis-à-vis de l'extrémité de l'isle des Etats, qui forme, avec la Terre-de-Feu, le canal ou détroit le Maire. Nous y restâmes cinq jours. La veille de notre départ, comme nous étions à terre, un Indien fortit du bois voisin, auquel on Gin figne d'approcher. Il approcha em effet, mais toujours en défense, tenant son arc prêt à tirer. On lui présenta du pain, du vin & de l'eau-de-vie; mais à peine l'avoit-il portée à la bouche qu'il la rejettoit. On lui fit faire le signe de la croix, & on lui mit un chapelet au col. Comme nous entrions dans le canot pour retourner à bord, il jetta un cri qui ressembloit à une espece de heurlement mêlé de je ne sçai quoi de plaintif; il parut auffi-tôt une trentaine d'autres Indiens, à la tête desquels étoit une femme toute courbée de vieillesse. Ils s'approcherent du rivage pouffant de semblables cris, & tâchant par des fignes de nous engager à les aller joindre. On ne le jugea pas à propos. Ils étoient tout nuds, à la réserve de la ceinture qui étoit entourée d'un morceau de peau de loup marin. Leur visage étoit peint de rouge, de noir & de blanc. Ils portoient au col un collier fait de coquillages, & au poignet des bracelets de peau. Ils ne se servent que de fleches, & au lieu de fer, ils ont au bout une pierre à fufil, taillée en fer de pique. Ces gens-là me parurent afssez dociles, & je crois que leur conversion ne seroit pas difficile.

Les nous fortîmes de ce port, & les

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