, » emmenés pour en faire leurs esclaves. >> C'en est fait de notre Nation fi >> vous n'avez pitié de nos malheurs : >> nous ne demandons pas mieux que de >> vivre, comme les autres Indiens, fous >> la conduite des Missionnaires, de pro>> fiter de leurs instructions, & d'em>>> brasser la foi Chrétienne; ne nous >> refusez pas cette grace». Les deux Peres furent touchés de ce discours: ils permirent aux Payaguas de les fuivre dans leurs canots, & ils les conduifirent dans une ifle assez vaste, où ils étoient à couvert des infultes de leurs ennemis. Ce fut là que les Payaguas formerent à la hâte une espece de village où ils s'établirent avec leurs femmes & leurs enfans. Le Pere de Blende passoit les jours & les nuits à apprendre leur langue, afin de les instruire, & il le faifoit avec succès, car la crainte les avoit rendus si dociles, qu'ils écoutoient avec avidité les instructions du Missionnaire, & les répétoient fans cesse, de forte que toute l'ifle retentiffoit continuellement du nom de JesusChrift. Cependant le Pere de Arce qui cherchoit à s'ouvrir un chemin qui le menât aux bourgades des Chiquites, essaya 1 de mettre pied à terre en différens en droits, mais ce fut inutilement. Les Guaycuréens qui avoient pressenti fon dessein, tenoient la campagne, & ils étoient en fi grand nombre, qu'il n'eût pas été prudent de s'exposer à leur fureur. Le Pere prit donc le parti de chercher une autre route. Il laissa dans l'isle un de ses Néophites pour continuer d'instruire les Payaguas, & il se fit accompagner par quelques-uns d'eux qui le suivoient dans leurs canots. Après diverses tentatives toutes inutiles, il arriva enfin à un lac d'une grandeur immense, où le fleuve Paraguay prend fa fource. Les Payaguas qui étoient à la suite des Missionnaires, voyant qu'il n'y avoit plus rien à craindre des Brasiliens, projetoient fecretement entr'eux de tuer ceux qui étoient dans le vaisseau, & de s'en emparer: ils cachoient leur perfide dessein fous des marques spécieuses d'amitié & de reconnoissance, tandis qu'ils observoient avec soin ce qui se passoit dans le vaisseau, & qu'ils épioient le moment d'exécuter leur projet. Le Pere de Arce se trouvant au milieu du lac, jugea que, gagnant le rivage, il pourroit se frayer un chemin chez les Chiquites. C'est pourquoi il laissa le Pere de Blende dans le vaisseau, avec quinze Néophites Indiens & deux Espagnols qui conduisoient la manœuvre; & il le chargea de l'attendre sur ce lac jusqu'à ce qu'il ramenât le Pere Provincial qui étoit allé visiter les bourgades des Chiquites par le chemin du Pérou. Il se mit donc, avec quinze autres Indiens, dans les deux esquifs; & s'étant pourvu des provisions nécessaires, il gagna le rivage qui étoit fort éloigné. Il y aborda avec ses compagnons, il se fit lui-même une route vers les Chiquites, &, après deux mois de fatigues incroyables, il arriva à une de leurs bourgades. Les Payaguas voyant partir le Pere de Arce & un bon nombre d'Indiens, jugerent qu'il étoit temps de se rendre ınaîtres du vaisseau : ils allerent chercher leurs compagnons qui étoient dans l'ifle; &, fous prétexte de venir écouter les instructions du Missionnaire, ils monterent tous dans le vaisseau. Aufsi-tôt qu'ils y furent entrés, ils se jetterent avec furie fur nos gens qu'ils- trouverent défarmés, & ils les tuerent à coups de dards. Ils épargnerent néanmoins trois personnes; le Pere de Blende dont les manieres tout-à-fait aimables avoient gagné le cœur du chef des Payaguas; un des deux Espagnols qui gouvernoient le vaisseau, dont ils avoient besoin pour le conduire dans le lieu de leur retraite; & un Néophite de leur Nation, qui, sçachant parfaitement leur langue, devoit servir d'interprête. Ce fut, autant qu'on peut le conjecturer, au mois de Septembre de l'année 1715, qu'ils firent ce cruel mafsacre, & qu'ils enleverent le vaisseau. Aussi-tôt que les Payaguas se virent au milieu de leurs habitations, ils vendirent à d'autres Barbares le comman dant du vaisseau, qui leur étoit déformais inutile. Leur chef fit dresser une méchante hutte pour servir de logement au Pere de Blende, & il laissa auprès de lui le Néophite qu'il avoit amené pour lui fervir d'interprête. On peut aisément fe figurer ce que le Miffionnaire eut à fouffrir fous un ciel brûlant, & au milieu d'un peuple fi féroce. Il ne cessoit tous les jours de leur prêcher la loi Chrétienne, soit par lui-même, foit par le moyen de son interprête; il n'épargnoit ni les caresses ni les marques d'amitié, capables de fléchir leurs cœurs: tantôt il leur représentoit les feux éternels de l'enfer, dont ils feroient infailliblement la vict me, s'ils persévéroient dans leur infidélité & dans leurs défordres: d'autre fois il leur faisoit la peinture des récompenses que Dieu leur promettoit dans le Ciel, s'ils se rendoient dociles aux vérités qu'il leur annonçoit. Il parloit à des cœurs trop durs pour être amollis : ces vérités si touchantes ne firent que les irriter, fur-tout les jeunes gens qui ne pouvoi nt fouffrir qu'on leur parlat de renoncer à la licence & à la dissolution avec laquelle ils vivoient: ils regar derent le Pere comme un censeur importun, dont il falloit absolument se défaire, & fa mort fut bientôt conclue. Ils prirent le temps que leur chef, qui aimoit le Missionnaire, étoit allé dans des contrées affez éloignées; & auffi-tôt qu'ils le sçurent partis, ils coururent, les armes à la main, vers la cabane de l'homme apoftolique. François (c'est le nom du Néophite qui étoit son interprête) se douta de leur dessein: il eut le courage d'aller affez loin au-devant d'eux, & de s'exposer le premier à leur fureur : les ayant atteints, il leur reprocha la noirceur du crime qu'ils méditoient, & il s'efforça, tantôt par des prieres, tantôt par des menaces, de |