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bares de suivre la piste de nos chevaux, & de courir après nous au galop, nous nous remettions en route jusqu'à la nuit.

C'est ainsi qu'en treize jours j'arrivai à la ville de Las Corrientes. Nous pouvions faire ce voyage en dix jours, fi nous eussions eu de meilleurs chevaux, quoique néanmoins on ne marche pas ici comme on voudroit; l'eau regle les journées, felon qu'elle est plus ou moins éloignée.

Ce qui m'a le plus fatigué dans ce voyage, ce font les chaleurs brûlantes du climat. Un jour nous fûmes contraints pour nous en garantir, de nous enfoncer dans l'endroit le plus épais de la forêt. Je vous avoue que je n'ai jamais rien vu de plus agréable; j'étois environné de jasmins d'une odeur charmante.

Outre les ardeurs insupportables du foleil, les barbares avoient mis le feu dans le bois, pour en faire fortir les tigres, dont ils se nourrissent. Quelquefois nous avions le feu à notre gauche, & il nous falloit marcher sur la terre encore fumante. D'autre fois, il falloit nous arrêter pour n'être pas coupés par les flammes.

C'est ce qui arriva un jour où le feu gagna l'autre côté d'un ruisseau affez

D

large, où nous nous croyions en fûreté Nous nous fauvâmes à la hate; mais, comme le vent nous portoit au visage, il sembloit que nous fussions à la bouche d'un four.

Enfin, j'arrivai ici en parfaite santé. Je n'ai plus que foixante-dix lieues à faire pour me rendre à mon terme. Il me faudra traverser un marais pendant quatre -lieues, & l'on m'assure que ce sera bien marcher si je fais ces quatre lieues en deux jours.

Je pourrai dans la suite vous mander des choses plus intéressantes. Deux nouveaux Miffionnaires viennent d'entrer dans le pays des Guananas, pour travailler à la converfion des infidèles qui l'habitent. Ces Indiens font, dit-on, d'un excellent naturel. Comme cette nouvelle Mission n'est pas éloignée de celle de Parana, si j'y reste, je serai à portée d'être informé des bénédictions que Dieu répandra fur leurs travaux, & je ne manquerai pas de vous en faire part.

Il ne faut pas juger de ce pays par comparaison avec celui d'Europe. Les fatigues qu'on a à essuyer, fur-tout dans les voyages, font inconcevables. On passe tout-à-coup des chaleurs les plus ardentes à un froid glaçant,

Cependant, malgré ces fatigues, il y a peu de Missionnaires qui n'aillent audelà de soixante ans. La plupart de ceux que nous avons trouvés, étoient fi infirmes & fi cassés de vieillesse, qu'il falloit les porter en chaise à l'Eglife pour y remplir les fonctions de leur ministere. Il semble que Dieu ait différé à les récompenfer de leurs travaux, qu'ils euffent des successeurs de leur zèle. Peu de temps après notre arrivée, ils acheverent leur carriere les uns après les autres. Je recommande à vos prieres la converfion de tant de barbares, & fuis avec ref pect, &c,

SECONDE

LETTRE

Du Pere Chomé, Missionnaire de la Compagnie de Jefus, au Pere Vanthiennen, de la même Compagnie.

A Buenos-Ayres, ce 21 Juin 1732.

MON RÉVÉREND PERE,

La paix de Notre Seigneur.

Il y a environ deux ans que je vous écrivis de la ville de Las Corrientes, par où je passois pour me rendre aux Miffions des Guaranis, auxquelles j'étois deftiné, & où j'arrivai au mois d'Octobre de l'an 1730. Je m'appliquai d'abord à apprendre la langue de ces peuples; graces à la protection de Dieu, • & au goût fingulier qu'il m'a donné pour les langues les plus difficiles, en peu de mois d'une application conftante, je fus en état de confeffer les Indiens, & de leur annoncer les vérités du falut.

Je vous avoue qu'après avoir été un peu initié aux mysteres de cette langue,

je fus surpris d'y trouver tant de majesté & d'énergie; chaque mot est une définition exacte qui explique la nature de la chose qu'on veut exprimer, & qui en donne une idée claire & distincte. Je ne me ferois jamais imaginé qu'au centre de la barbarie l'on parlat une langue, laquelle, à mon sens, par fa noblesse & par fon harmonie, ne le céde gueres à aucunes de celles que j'avois apprises en Europe; elle a d'ailleurs fes agrémens & ses délicatesses, qui demandent bien des années pour la posséder dans sa perfection.

La Nation des Indiens Guaranis est partagée en trente peuplades, où l'on compte cent trente-huit mille ames, qui, par la ferveur de leur piété, & par l'innocence de leurs mœurs, nous rappellent les premiers fiécles du Chriftianisme. Mais ces peuples ressemblent assez à ces terres arides qui ont besoin d'une continuelle culture. Ce qui ne frappe pas les fens, ne laisse dans leurs esprits que des traces légeres; c'est pourquoi il faut sans cesse leur inculquer les vérités de la foi, & ce n'est que par les soins affidus qu'on se donne à les instruire, qu'on les main tient dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes.

Ces contrées font infestées de bêtes

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