le tenoit toujours en sa compagnie, & le faisoit manger avec lui; il l'employoit même dans les fonctions apoftoliques. Ce perfide oubliant tant de bienfaits, se mit à la tête d'une troupe d'Indiens qu'il avoit féduits par ses artifices, pour ôter la vie à son pere en Jesus-Christ & à son Maître. Il prit le temps que le Pere alloit travailler à la converfion des Piros, & l'ayant joint dans le chemin, il lui donna le premier coup: c'étoit le signal qui avertisfsoit les Indiens de sa suite de se jetter sur le Mifsionnaire, & de lui arracher la vie. Ces barbares massacrerent en même temps deux Espagnols qui accompagnoient le Pere, l'un qui étoit de Quito, & l'autre qui étoit venu de Lima. Ils entrerent ensuite chez les Chipés, où ils exercerent le dernier acte de leur cruauté fur le vénérable Don Jofeph Vasquez, Prêtre Licencié, que son zele & sa vertu avoient porté depuis plusieurs années à se joindre aux Missionnaires Jésuites, & à travailler avec eux à la converfion des Gentils. Telle fut la fin glorieuse du P. Richler, qui, ayant passé des climats glacés du septentrion dans les terres brûlantes de l'Inde occidentale, a ouvert la porte ! du Ciel à plus de douze mille infideles qu'il a convertis à la Foi. Le P. Samuel Fritz, de qui nous avons la carte & les particularités du fleuve des Amazones, étoit venu aux Indes avec le P. Richler; il suivit le cours de la riviere Maragnon jusques vers son embouchure: on fut quelques années sans recevoir de ses nouvelles, ce qui fit croire ou qu'il avoit péri dans les eaux, ou que les barbares l'avoient massacré : on avoit même enjoint pour lui dans la Compagnie les prieres ordinaires qui s'y font pour les défunts. Il reparut enfin lorsqu'on ne s'attendoit plus à le revoir, & l'opinion qu'on avoit eue de sa mort, le fit regarder comme un homme ressufcité. On sçut de lui que le Gouverneur d'une place Portugaise l'avoit pris pour un efpion, & que l'ayant renfermé pendant deux ans dans une étroite prison, il avoit eu bien de la peine après un temps fi considérable à lui rendre la liberté. Ce Pere a établi sa Miffion fur cette grande riviere, laquelle en plufieurs endroits ressemble à une vaste mer. Il a soin de trente Nations Indiennes qui habitent autant d'Isles, de celles dont le Maragnon eft couvert, depuis l'endroit où font les Pelados jusqu'à fon embouchure. LETTRE Du Pere Ignace Chomé, Missionnaire de la Compagnie de Jefus, au Pere Vanthiennen, de la même Compagnie. De Tarija, le 3 d'Octobre 1735. MON RÉVÉREND PERE, La paix de Notre Seigneur. Il y avoit peu de temps que j'étois dans la Mission des Indiens Guaranis, lorsque la Providence me destina à une autre Mission sans comparaison plus pénible, & où l'on me promettoit les plus grands travaux, & des tribulations de toutes les fortes. Voici ce qui donna lieu à ma nouvelle destination. Le R. P. Jérôme Herran Provincial, faisant la visite des diverses peuplades, qui composent laMission des Guaranis, reçut des lettres très-fortes du Viceroi du Perou, & du Président de l'Audience de Chiquisaca, par lesquelles ils lui demandoient avec inftance quelques Missionnaires, qui travaillaffent de nouveau à la conversion des Indiens Chiriguanes. Ce font des peuples intraitables, du naturel le plus féroce, & d'une obstination dans leur infidélité, que les plus fervens Miffionnaires n'ont jamais pu vaincre. On compte plus de vingt mille ames de cette Nation, répandues dans d'affreuses montagnes, qui occupent cinquante lieues à l'est de Tarija, & plus de cent au nord. Les lettres que reçut le R. P. Provincial, sembloient infinuer que le temps de la conversion de ces peuples étoit enfin venu, & qu'ils paroissoient disposés à écouter les Ministres de l'Evangile. Il nomma le Pere Julien Lizardi, le Pere Joseph Pons, & moi pour une entreprise fi glorieuse, dont le succès devoit faciliter la conversion de plusieurs autres Nations infidelles, & il voulut nous accompagner, afin de régler par lui-même tout ce qui concerneroit cette nouvelle Miffion. Nous étions éloignés de plus de 800 lieues de la ville de Tarija, laquelle confine avec le Pérou & avec la province de Tucuman. Nous nous embarquâmes au commencement de Mai sur le grand fleuve Uruguai, & il nous fallut plus d'un mois pour nous rendre à Buenos-Aires. Delà il nous restoit encore près de 500 lieues à faire. Nos voyages se font ici en charrette, comme je vous l'ai déja mandé, mais il n'en fut plus question quand nous arrivâmes à saint Michel de Tucuman. Les montagnes qu'il faut traverser ensuite, y sont si prodigieusement hautes, qu'on ne peut plus se servir que de mules, & encore avec beaucoup de peine. Pour vous donner quelque idée de leur hauteur, il suffit de vous dire que nous trouvant déja bien avant sous la Zone torride, & au commencement de Novembre, que les chaleurs font excessives dans le Tucuman, nous avions néanmoins à essuyer une neige abondante qui tomboit fur nous. Une nuit fur-tout la gélée fut fi forte, qu'elle nous mit prefque hors d'état de continuer notre voyage. Enfin, après bien des dangers & des fatigues, nous arrivâmes à Tarija, vers la fin du mois de Novembre. Nous fûmes bien surpris de trouver les chofes tout autrement disposées que nous ne nous l'étions figuré sur les lettres qui nous avoient été écrites. La paix n'étoit pas encore faite entre les Espagnols & ces infideles: s'il y avoit fufpension d'armes, c'est que de part & |