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Ce débordement de la riviere nous arrêta quatre à cinq jours; & voyant la fin de nos petites provisions, nous fongions dejà à chercher quelques racines pour subsister. Heureusement la riviere baissa confidérablement, & un de nos Indiens étant allé examiner s'il n'y avoit pas quelqu'endroit où elle fût guéable, il trouva le rivage tout couvert de poiffons que le courant avoit jettés contre les pierres & qui étoient à demi morts. La grande quantité qu'il nous en apporta, nous dédommagea de la rigoureuse absti nence que nous venions de faire. Nous en eûmes suffisamment pour gagner la vallée des Salines & nous rendre enfin à Tarija.

A mon arrivée, je fus nommé pour aller passer fix semaines dans une Mission moins laborieuse à la vérité, mais beaucoup plus fatisfaisante: elle est à quarante lieues de Tarija, dans la vallée de Zinti, où j'eus la consolation d'instruire & de confeffer jusqu'à quatre mille Néophytes.

A mon retour, j'appris que le Pere Pons devoit accompagner cent quarante foldats Espagnols qui alloient dans la vallée des Salines, pour engager les Capitaines des bourgades infidelles à y venir traiter de la paix, & moi j'eus ordre

de conduire dans la même vallée cent foixante Indiens nouvellement convertis, à douze lieues plus haut de l'endroit où alloient les foldats.

Les Capitaines infideles refuserent constamment de fortir de leurs montagnes & de leurs forêts, sans que les offres qui leur furent faites par les Espagnols, pussent jamais vaincre leur défiance. Le Pere Pons se hafarda à les aller trouver, accompagné d'un seul Indien Metis (1), & il cacha fi bien sa marche, qu'il arriva à Itau, sans qu'ils en eussent le moindre pressentiment. Il conféra avec le Capitaine, & il obtint de ce Chef des infideles, la permiffion, pour lui & pour nous, de visiter ses bourgades. Ainsi l'entrée de ces terres barbares nous fut heureusement ouverte. Le Pere Pons alla du côté de la riviere Parapiti, qui est au nord du grand fleuve de Picolmayo où j'étois. Il crut d'abord qu'il n'y avoit qu'à arborer l'étendard de la croix au milieu de ces bourgades, mais il ne fut pas

(1) Les Espagnols appellent ainsi ceux qui font nés d'un Indien & d'une Espagnole, ou d'un Espagnol & d'une Indienne. Note de l'ang çienne édition,

long-temps fans se désabuser. Le temps de sa derniere profession étant arrivé, il retourna à Tarija pour la faire, & le Pere Lizardi vint le remplacer.

On compte dans cette contrée douze bourgades de Chiriguanes, où il y a environ trois mille ames. Nous nous mêmes en chemin, le Pere Lizardi & moi, pour les reconnoître. Etant arrivés à Itau, où nous fûmes assez bien reçus, le Pere Lizardi prit sa route vers la riviere de Parapiti, & moi je tournai du côté d'une bourgade nommée Caaruruti.

A peine y fus-je entré, que je me vis environné des hommes, des femmes & des enfans, qui n'avoient jamais vu chez eux de Missionnaires. Ils m'accueillirent avec de longs fifflemens, qui leur font ordinaires quand ils font de bonne humeur. Je mis pied à terre au milieu de la' place, fous un toit de paille où ils reçoivent leurs hôtes; & après les premiers complimens, je fis présent aux principaux de la bourgade, d'aiguilles, de grains de verre, & d'autres bagatelles semblables dont ils font beaucoup de cas. Ils goûtoient affez mon entretien lorsque je leur parlois de choses indifférentes; mais aussi-tôt que je faifois tomber le difcours fur les vérités de la Religion, ils cessoient de m'écouter.

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Au bout de deux jours, j'allai visiter cinq ou fix cabanes qui font à un quart de lieue de là. Je n'avois fait encore que peu de chemin, lorsque j'apperçus un Indien qui couroit à toutes jambes pour me joindre, l'arc & les fleches à la main. C'étoit pour m'avertir que le capitaine d'une bourgade voisine, nommée Beriti, venoit me voir, & vouloit m'entretenir.

L'Indien qui m'accompagnoit, n'eut pas plutôt oui fon nom, que me tirant à part, « ce capitaine qui te demande, >>> me dit-il, fut fait autrefois prifonnier >> par les Espagnols, & condamné aux >> mines de Potosi, dont il fut assez >>> heureux que de s'échapper; tiens-toi >> sur tes gardes, & ne te fies point à » lui ».

Cet avis ne m'effraya point, je retournai à Caaruruti, où je trouvai ce Capitaine, accompagné de dix Indiens choisis & bien armés. Je pris place parmi eux, je leur distribuai des aiguilles, & ils parurent si contens de moi, qu'ils me presserent de les aller voir dans leur village, ce que je leur promis.

Delà j'allai à Carapari, autre bourgade où l'on m'attendoit, car la nouvelle de mon arrivée s'étoit déjà répandue de toutes parts. Le Capitaine témoigna affez de joie de me voir, & ne s'effaroucha point comme les autres, lorsque je lui exposai les vérités chrétiennes. Je n'y demeurai pourtant qu'un jour, parce que mon dessein étoit de me fixer dans une autre bourgade nommée Cayfa, qui est la plus nombreuse, & la plus propre à y établir la correfpondance avec nos plus anciennes Missions du Paraguay : car de cette bourgade au fleuve Paraguay, il n'y a guere plus de cent quarante lieues, au lieu qu'il y en a plus de mille en y allant, comme nous fîmes, par BuenosAires.

Caysa est à l'est de Tarija, & en est éloigné d'environ quatre-vingt lieues, c'est proprement le centre de l'infidélité. Avant que d'y arriver, j'eus à grimper une montagne beaucoup plus rude que toutes celles par où j'avois passé jusqu'alors. En la defcendant, je trouvai en embuscade sept ou huit Indiens de Tareyri, bourgade qui est à l'autre bord du fleuve Picolmayo, mais par une protection finguliere de Dieu, ils me laisserent passer sans me rien dire: enfin, j'entrai dans Cayfa. Je vous

avoue

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