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nie. Mais les sages mesures que nos Messieurs prennent pour l'empêcher, paroiffent nous mettre à couvert d'un tel défordre. Je vous prie cependant, mon Révérend Pere, de joindre vos vœux aux nôtres pour obtenir cette grace du Ciel. Je suis, &c.

LETTRE

Du Pere Ferreira, Missionnaire Apoftolique à Connani, à Monfieur***.

A Connany, ce 22 Février 1778.

MONSIEUR,

J'ai reçu jeudi dernier, dix - neuf du présent, la lettre que vousm'avez écrite. Ce jour-là même j'eus un accès de fievre, & un fecond trois jours après, qui m'obligea de me mettre au lit, & de prendre le lendemain un vomitif: le Pere Padilla en fit autant, attaqué luimême d'une fievre tierce depuis quinze jours, qui est dégénérée en fievre quarte; cette fievre, qui ne l'a point quitté jufqu'à préfent, l'a extraordinairement affoibli. Il me charge de vous dire bien des chofes, & vous prie, ainsi que moi, de présenter nos respects à Monseigneur le Préfet, à la lettre duquel nous n'avons pu répondre, tant à cause de notre situation actuelle, que parce que le temps nécessaire nous a manqué. Nous lui avions déja écrit d'Oyapoc par le Capitaine qui nous a conduit ici.

Que vous dirai-je de notre état actuel? Nous habitons dans un petit carbet, où nous sommes exposés à toutes les injures de l'air; la pluie & le vent y penetrent, & nous sommes d'autant plus sensibles à cette incommodité, que nous avons plus à fouffrir du côté de la fanté, & que nous sommes moins dans le cas d'y rémédier pour le présent. Je passe sous filence tous les autres défagrémens inséparables de la carriere dans laquelle nous ne faisons que d'entrer, & qui nous font adorer en filence les décrets d'un Dieu qui console dans les -tribulations, & qui n'humilie ses Miniftres que pour les rendre plus actifs, & plus propres à ses desseins. Nous lui -sommes déja redevables de la fatisfaction que nous avons d'être parmi les Indiens, presque tous déserteurs du Portugal, qui ont eu le bonheur d'être inftruits dès leur enfance des principes de la Religion. Il est vrai que, par le défaut de Missionnaires, ces premieres femences de l'Evangile font restées incultes parmi eux; mais ils nous témoignent la plus grande joie d'être à même aujourd'hui de mettre en pratique ce qu'ils ont appris dans leur jeuneffe; ils viennent à nous avec empressement, & confentent volontiers à construire leurs carbets autour de nous, & à former une bourgade; nous en attendons incefssamment quinze ou feize familles. Nous avons déja baptisé quinze petits enfans, & beaucoup d'autres nous feront présentés lorsqu'un temps moins pluvieux permettra aux parens de remonter de l'embouchure des rivieres appellées Maribanaré & Macari. Il y a même des adultes qui demandent le baptême, que nous ne pouvons leur accorder que dans un cas de nécessité, parce qu'ils ne font pas suffisamment inftruits: nous sçavons là-dessus l'intention de Notre Seigneur; il a dit à fes premiers Miniftres: Allez, enseignez: baptisez; mais ce qui nous cause beaucoup d'embarras, ce sont les mariages, ou plutôt le concubinage de nombre d'Indiens du Para, où ils ont laiffé leurs. femmes, & réciproquement des Indiennes leurs maris qui ont formé d'autres alliances ici, & ont même des enfans de leur commerce criminel, souvent avec plusieurs, quelques-uns même avec leurs parentes. Il y en a d'autres qui, quoique Chrétiens, ont contracté avec des infidelles, & des fidelles avec des Indiens payens. Nous avons déja la promesse de quelques-uns de ceux qui n'ont qu'une concubine, de faire, en face de l'Eglife, ce que nous leur prescrirons à cet égard. Ce font ces fortes de mariages, mon cher confrere, qui nous mettent dans le cas de recourir au Pere des lumieres; nous vous prions de les demander également pour nous. Après vous avoir exposé l'état de notre Mission quant au fpirituel, je vous dirai, pour ce qui concerne le temporel, que nous avons à notre service une très-bonne Blanchiffeuse Indienne, & fon fils âgé de 20 ans, dont nous sommes on ne peut pas plus contens; il est industrieux, fidele, laborieux, nous fait bonne cuisine, & fert bien la Messe. Il fut jadis domeftique d'un Prêtre Missionnaire parmi les Indiens du Para. Nous avons en outre deux enfans d'onze à douze ans, deux chaffeurs & deux Pêcheurs. Moyennant une certaine

rétribution ils nous approvisionnent affez bien; &, au cas que quelques-uns d'entre eux viennent à nous manquer, il s'en présente déja d'autres pour les remplacer, tant pour la chasse que pour la pêche. Communiquez, s'il vous plaît, ma lettre à Monseigneur le Préfet, s'il est encore à Cayenne, & faites-lui nos excuses de ce que nous ne lui avons point écrit , ce que nous aurions fait immanquablement fi la santé nous l'eût permis, & il falloit ces besoins pressans, j'ofe vous l'avouer, pour vous écrire dans la circonstance où je me trouve. Je fouhaite que Dieu vous l'accorde, cette santé, fi nécessaire pour remplir vos fonctions, tant au College qu'à la Paroisse. Je vous sçais toujours bon gré de m'avoir mis à même, lorsque nous étions à Cayenne, de partager avec vous les travaux du saint ministere dans la Savanne; je le ferois encore volontiers fi je ne me croyois de plus en plus appellé à la converfion des Indiens parmi lefquels je suis résolu de mourir: ma deftinée paroît fixée sur ce peuple dur & barbare, parmi lequel j'espere faire plus de fruit, Dieu aidant, que parmi une Nation plus cultivée & plus policée, dont la conduite exige plus de talent,

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