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montagnes, & il fera impossible de les retenir dans les bourgades où on les a rassemblés avec tant de peine, fi on ne leur procure de la tranquillité & du repos.

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LETTRE

Du Pere Bouchet, Missionnaire de las Compagnie de Jefus, au Pere J. B. D. H. de la même Compagnie.

A Pondichery, ce 14 Février 1716

MON RÉVÉREND PERE,

La paix de Notre Seigneur.

La relation que je vous adresse m'a paru finguliere, & j'ai cru vous faire plaifir de vous la communiquer. Elle est du Révérend Pere Florentin de Bourges, Miffionnaire Capucin, qui arriva à Pondichery vers la fin de l'année 1714. La route extraordinaire qu'il a tenue pour venir aux Indes, les dangers & les fatigues d'un long & pénible voyage, le détail où il entre de ces flo

rissantes Miffions du Paraguay, qui font sous la conduite des Jésuites Espagnols, & qu'il a parcourues dans fa route, la certitude avec laquelle il m'a assuré qu'il n'avance rien dont il ne se soit instruit par ses propres yeux; tout cela m'a paru digne de l'attention des personnes qui ont du zele pour la converfion des Infideles. C'est son original méme que je vous envoie; il a eu la bonté de m'en laisser le maître pour en disposer à mon gré. Je suis, &c.

Voyage aux Indes Orientales par le Paraguay, le Chili, le Pérou, &c.

Ce fut du Port-Louis le 20 Avril de l'année 1711, que le Révérend Pere Florentin mit à la voile pour les Indes. Il raconte d'abord divers incidens qui le conduifirent à Buenos-ayres; & comme c'est-là que commence cette route extraordinaire, qu'il fut contraint de prendre pour se rendre à la côte de Coromandel, c'est-là aussi que doit proprement commencer la relation qu'il fait de fon voyage. Tout ce qui fuit, font ses propres paroles qu'on ne fait ici que tranfcrire.

A mon arrivée à Buenos-ayres, je me trouvai plus éloigné du terme de ma Mission, que lorsque j'étois en France; cependant j'étois dans l'impatience de m'y rendre, & je ne sçavois à quoi me déterminer, lorsque j'appris qu'il y avoit plufieurs navires françois à la côte du Chili & du Pérou. Il me falloit faire environ sept cens lieues par terre pour me rendre à la Conception, ville du Chili, où les vaisseaux françois devoient aborder. La longueur du chemin ne m'effrayoit point, dans l'espérance que j'avois d'y trouver quelque vaisseau, qui de-là feroit voile à la Chine, & enfuite aux Indes Orientales.

Comme je me disposois à exécuter mon defsein, deux gros navires que les Caftillans appellent Navios de registro, aborderent au port; ils portoient un nouveau Gouverneur pour Buenos-ayres, avec plus de cent Missionnaires Jésuites, & quatre de nos fœurs Capucines qui alloient prendre possession d'un nouveau Monastere qu'on leur avoit fait bâtir à Lima. Je crus d'abord que la Providence m'offroit une occafion favorable d'aller au Callao, qui n'est éloigné que de deux lieues de Lima; c'est de ce port que les vaisseaux françois vont par la mer du fud à la Chine, & il me sembla que j'y

trouverois toute la facilité que je fou haitois pour aller aux Indes. Mais quand je fis réflexion aux préparatifs qu'on faisoit pour le voyage de ces bonnes Religieuses, à la lenteur de la voiture qu'elles prenoient, au long séjour qu'elles devoient faire dans toutes les villes de leur passage, je revins à ma premiere pensée, & je réfolus d'aller par le plus court chemin à la Conception.

Après avoir rendu ma derniere visite aux personnes que le devoir & la reconnoissance m'obligeoient de saluer, je partis de Buenos-ayres vers la fin du mois d'Août de l'année 1712, & au bout de huit jours j'arrivai à Sancta-; c'est une petite bourgade éloignée d'environ 60 lieues de Buenos-ayres; elle est située dans un pays fertile & agréable, le long d'une riviere qui se jette dans le grand fleuve de la Plata. Je n'y demeurai que deux jours, après quoi je pris la route de Corduba. J'avois déja marché pendant cinq jours, lorsque les guides qu'on m'avoit donnés à Sancta-disparurent tout-à-coup; j'eus beau les chercher, je n'en pus avoir aucune nouvelle, le peu d'espérance qu'ils eurent de faire fortune avec moi, les détermina fans doute à prendre parti ailleurs.

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Dans l'embarras où me jetta cet ac cident au milieu d'un pays inconnu, & où je ne trouvois personne qui pût m'enseigner le chemin que je devois tenir, je pris la résolution de retourner à Sančta-fé, prenant bien garde à ne pas m'écarter du sentier qui me paroiffoit le phus battu. Après trois grandes journées, je me trouvai à l'entrée d'un grand bois; les traces que j'y remarquai, me firent juger que c'étoit le chemin de Sancta fé. Je marchai quatre jours, & je m'enfonçai de plus en plus dans d'épaisses forêts fans y voir aucune issue. Comme je ne rencontrois personne dans ces bois déferts, je fus tout-à-coup faifi d'une certaine frayeur qu'il ne m'étoit pas, poffible de vaincre, quoique je misse toute ma confiance en Dieu. Il étoit difficile que je retournasse sur mes pas, à moins que de m'expofer au danger de mourir de faim & de miseres; mes petites provifions étoient confommées, & je sçavois que je ne trouverois rien dans les endroits où j'avois déja paffé, au lieu que dans ces bois, je trouvois des ruiffeaux & des fources dont les eaux étoient excellentes, quantité d'arbres fruitiers, des nids d'oiseaux, des œufs d'Autruche & même du gibier dans les endroits où

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